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Orzens verse ses dernières gouttes de lait

28 juin 2013

La mort dans l’âme, l’éleveur Philippe Gonin, dernier agriculteur du village à produire du lait, cesse son activité, car son écurie n’est pas conforme aux normes en matière de protection des animaux.

Philippe Gonin, avec l’une des dernières rescapées de son élevage.

«C’est un déchirement. Je suis un éleveur passionné très attaché à ses bêtes.» Philippe Gonin, robuste paysan d’Orzens, a pris un sacré coup sur la tête suite à la visite de contrôle survenue le jeudi précédent le week-end pascal, avec, à la clé, un verdict sans appel: «Lorsqu’elles sont attachées, mes vaches ont un espace trop petit d’environ cinq centimètres entre elles.» Sans connaître la conséquence exacte de cette non conformité, Philippe Gonin a souhaité arrêter la production de lait, une activité qu’il était le dernier agriculteur du village à pratiquer. Cette évolution laisse songeur quand on sait que la laiterie Orzens, disparue depuis au profit de la Société Fromagerie coopérative du Gros-de-Vaud, basée à Vuarrens, comptait dix-sept couleurs en 1982.

Perspectives bouchées

Pour se mettre en règle, Philippe Gonin aurait dû consentir un investissement conséquent, auquel il a renoncé au vu des perspectives liées à son exploitation: «Il aurait fallu casser le béton, tout refaire et perdre une place dans l’écurie. Cela aurait coûté dans les 40 000 francs j’imagine. A quoi bon si c’est pour une période de vingt à vingt-cinq ans et que je peine à remettre?»

Car la fascination de son fils se porte sur un autre ongulé. «Il termine sa formation de maréchal-ferrant. Lui, c’est les chevaux.» Et les prospections faites dans les environs n’ont laissé entrevoir aucune collaboration potentielle. «Il y avait une association de quatre agriculteurs au village, mais eux aussi ont arrêté.»

Peu enthousiasmé à l’idée d’avoir à assumer seul, son père et sa mère ont l’âge de la retraite, cette activité très prenante, Philippe Gonin indique qu’il va arrêter totalement la production de lait d’ici la fin de la semaine, ou le début de la semaine prochaine. Il souhaite cependant continuer à cultiver des terres et élever du bétail d’engraissement ou d’allaitement.

Des neuf vaches laitières qu’il lui reste, l’agriculteur en a vendu deux et va en tarir une pour l’amener à l’abattoir, alors que le reste du contingent a été repris par son nouvel employeur, une exploitation laitière de la région pour laquelle Philippe Gonin officie en tant qu’ouvrier agricole. Ce dernier possède également du jeune bétail, qu’il va continuer à élever et vendre à mesure.

Fin de période transitoire

Le vétérinaire cantonal Giovanni Peduto explique que l’Ordonnance sur la protection des animaux du 23 avril 2008 prévoyait un délai transitoire de cinq ans pour permettre aux agriculteurs de s’adapter aux nouvelles directives. Or cette échéance arrivera à son terme le 31 août prochain.

«Si notre demande de mise en conformité n’est pas respectée, d’autres instances sont susceptibles de prendre le relais et d’agir sur les paiements directs», précise-t-il.

Giovanni Peduto indique que les contrôles liés à la protection des animaux portent sur divers aspects, tels que les dimensions des infrastructures, la luminosité, les points d’eau, la fréquence de sorties des bêtes ou l’hygiène.

 

Les petites exploitations laitières sont toujours moins nombreuses

«C’est une activité très exigeante»

Responsable de la communication pour Prométerre, l’Association vaudoise de promotion des métiers de la terre, Jacques-Henri Addor indique que la production laitière est un pôle de l’agriculture particulièrement en souffrance: «En 2012, le prix du lait était le plus bas jamais enregistré depuis une vingtaine d’années».

Selon le rapport Swissmilk, la production nationale de lait pour les mois de janvier à avril est inférieure de 66 138 tonnes à la même période en 2012, ce qui correspond à une diminution de 5.4%. «Cette évolution a permis de corriger le marché en diminuant la surproduction et fait remonter les prix», commente Jacques-Henri Addor.

Pour autant, la tendance générale qui se dessine dans les campagnes, à savoir la disparition des petites exploitations au profit de leurs homologues de moyenne et de grande taille, qui tendent à s’agrandir, n’est pas partie pour s’inverser.

S’agissant de la production laitière, le responsable communication de Prométerre précise que les nouveaux venus sont peu nombreux, car les contraintes liées à l’élevage de bovins sont grandes: «Avoir des bêtes demande d’être en permanence disponible. Si l’on veut partir en vacances, il faut trouver un remplaçant, sans parler des frais vétérinaires à assumer», conclut-il.

 

Ludovic Pillonel