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Une Yverdonnoise auprès des réfugiés en Grèce

22 décembre 2016 | Edition N°1898

Yverdon-les-Bains n Infirmière de formation, Aline Pellerin vient de passer quatre mois dans un camp de réfugiés du nord de la Grèce, organisé par Médecins du Monde. Retour d’expérience.

Les tentes du camp d’Oerokastro sont implantées sous le couvert d’un vaste entrepôt. Selon Aline Pellerin, les réfugiés redoutent beaucoup d’être «oubliés» dans ces structures. ©DR-Kristof Vadino

Les tentes du camp d’Oerokastro sont implantées sous le couvert d’un vaste entrepôt. Selon Aline Pellerin, les réfugiés redoutent beaucoup d’être «oubliés» dans ces structures.

Thessalonique. Nord de la Grèce. La neige qui se fait attendre ici est déjà tombée là-bas. Dans les deux camps de la ville gérés par Médecins du Monde, les conditions de vie se sont durcies. Aline Pellerin, 35 ans, a séjourné là-bas pendant quatre mois.

 

La Région Nord vaudois : où s’est déroulée votre dernière mission pour Médecins du Monde ?

Aline Pellerin : Dans deux camps implantés à Thessalonique. Celui de Diavata, qui compte environ un millier de personnes. Et celui d’Oreokastro, qui rassemble quelque 1500 réfugiés. C’est là que j’ai travaillé pendant quatre mois. Ce camp est plein. Médecins du Monde en assure le suivi médical, mais des délégués des Nations Unies et la police sont aussi présents : le camp reste un lieu ouvert d’où les gens peuvent entrer et sortir.

 

Il s’agit d’un site présentant une configuration particulière…

Ce camp se déploie dans un très vaste entrepôt désaffecté à l’intérieur duquel des tentes ont été installées. D’autres sont dressées à l’extérieur. Les lieux ne disposent ni de l’électricité ni de l’eau chaude et sont imprégnés d’humidité. Et désormais, il y fait très froid…

 

La neige a-t-elle fait son apparition ?

Quand je suis partie à la toute fin novembre, il a neigé. Les gens étaient constamment transis. Cette situation va durcir les conditions de vie des réfugiés et faire peser des risques sur les personnes les plus fragiles. Je pense surtout aux enfants en bas âge et aux personnes âgées.

 

Quel était votre quotidien durant ces mois?

En tant qu’infirmière, j’étais surtout affectée à la clinique…

 

Clinique ? Pouvez-vous préciser ce qu’il faut entendre par ce terme ?

…Clinique, ça veut dire une vingtaine de mètres carrés dont la moitié est dédiée aux consultations et l’autre au stockage de médicaments et du matériel ! Le camp est très bien équipé pour de la médecine de base et pour des cas d’urgence. Assez bien doté pour sauver une vie, c’est-à-dire être en mesure d’attendre une ambulance en cas de malaise cardiaque par exemple. Le dispositif tel qu’il a été conçu fonctionne très bien.

 

L’équipe médicale est importante ?

Eh bien, chaque jour un généraliste ou un pédiatre assure la permanence médicale. Et une fois par semaine, les deux praticiens sont là conjointement.

Une sage-femme est aussi présente, se partageant entre les deux camps pour suivre les grossesses, notamment celles à risque. Je devais assurer le tri des patients.

 

Le tri des patients, ça consiste en quoi ?

J’avais l’impression d’être une rock-star ! Les gens criaient autour de moi. Ils voulaient tous consulter, ils voulaient un ticket, tout de suite !

Le flux était constant et je devais définir des priorités en fonction des demandes. Seules les femmes se regroupaient pour présenter les enfants au pédiatre quand il était là. Les enfants représentaient près de 40% des consultations.

J’effectuais aussi de nombreux pansements, jusqu’à une cinquantaine par jour, pour traiter des plaies infectées.

 

Comment expliquez-vous ces cris, ce besoin pressant de consulter. Il en allait tous les jours ainsi ?

Non, j’ai noté ça surtout les premiers temps. Puis avec les mois, ils criaient beaucoup moins. Je les sentais sombrer dans une forme de dépression.

Pour moi, ces cris témoignaient de leur envie de montrer «qu’ils étaient là». C’était leur manière de dire «on existe !». On voyait aussi des gens qui passaient tous les jours, voire plusieurs fois par jour.

Je me dis que leur santé, c’est peut-être la dernière chose qu’ils maîtrisaient.

 

Sinon, quelles étaient les pathologies les plus fréquentes ?

Beaucoup de grippes, des toux, des refroidissements, des pathologies liées au conditions du camp. On a dû enrayer une épidémie de varicelle. On a aussi enregistré deux cas de tuberculose non active, donc pas contagieuse.

 

Quel regard portez-vous sur la vie du camp ?

L’épuisement moral guette les réfugiés. Ils sont toujours dans l’attente d’un papier, d’un mail, d’un appel.

Comme ils craignent d’être oubliés des médias, du monde, ils ont créé une page Facebook pour continuer à exister. De temps en temps, l’un d’eux tente de passer en Macédoine. Sans succès.

Mais ils ont aussi de la ressource ! Avec l’appui d’une ONG, ils ont monté une école dans le camp. Elle est animée par des enseignants qui sont aussi des réfugiés.

 

Vous a-t-il été difficile de partir ?

Oh oui ! Ça a été un déchirement. Mais en même temps, il le fallait. Je m’étais attachée à certains patients chroniques et la séparation est nécessaire pour eux comme pour moi… Mais je veux continuer cette action humanitaire ailleurs.

 

Aline Pellerin a le virus de l’humanitaire
Elle veut repartir bientôt

Native d’Yverdon-les Bains, Aline Pellerin a toujours nourri le désir d’exercer son métier d’infirmière pour une organisation non gouvernementale. Avant d’aller en Grèce, elle a passé six mois à Bangui, en Centrafrique, avec le CICR. Après ses études d’infirmière, cette jeune femme déterminée a exercé son métier à Neuchâtel pendant quelques années. Puis, elle s’est formée aux pathologies tropicales et à la gestion des camps, en Belgique, où elle a suivi une formation à l’institut de médecine tropicale de Bruxelles. Elle a, en outre, passé quelques temps à Malte. «Je voulais perfectionner mon anglais, car cette langue est nécessaire dans les ONG», explique celle qui songe à repartir bientôt sur un nouveau point chaud humanitaire. «On ne peut pas comparer les malheurs, mais à travers ces expériences, je mesure aussi ma chance d’être Suissesse», conclut-elle.

La situation humanitaire reste critique en Grèce

A l’heure où la route des Balkans demeure fermée, l’Europe envisage de pouvoir renvoyer des réfugiés en Grèce en réactivant les accords de Dublin. Or, dans les îles grecques, les centres d’accueil dépassent de 50% leurs capacités. Pour les personnes qui s’y trouvent, ainsi que pour les plus de 60 000 réfugiés forcés de résider dans les camps en Grèce continentale, les conditions de vie sont indignes «et l’urgence sanitaire s’accentue encore avec l’hiver», s’alarme Médecins du Monde. L’ONG apporte également de l’aide médicale aux ressortissants grecs et contribue, ainsi, à réduire les effets des deux crises : la crise internationale des réfugiés et la crise économique grecque.

Et l’une comme l’autre ont tendance à être oubliées… PhV + Com

Philippe Villard