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Rolf Kesselring a l’indignation tenace

12 janvier 2015

L’éditeur, journaliste et écrivain, domicilié sur le Balcon du Jura, connaissait bien l’équipe de Charlie Hebdo. Il est affecté, mais surtout définitivement indigné.

Rolf Kesselring n’a rien perdu de sa verve. © Raposo

Rolf Kesselring n’a rien perdu de sa verve.

«C’est tous les jours qu’on doit se battre pour la liberté d’expression!» Pour Rolf Kesselring, l’un des premiers éditeurs de revues satiriques en Suisse romande, les événements dramatiques de la semaine dernière en France doivent d’abord nous rappeler que la liberté d’expression est une lutte de tous les jours. S’il «admire la réaction du peuple», il espère surtout que l’assassinat de ses amis de Charlie Hebdo et de toutes les autres victimes permette aux jeunes de prendre conscience de ce qu’est la liberté: «Charb a diffusé une vidéo il y a quelques semaines dans laquelle il appelait au secours: achetez-nous! La revue était au bord de la faillite, faute d’abonnés. Les jeunes Français n’achetaient pas Charlie Hebdo. La liberté d’expression, c’est un combat permanent!»

Des années folles…

Lorsqu’il a pris connaissance des événements qui se sont produits à la rédaction de Charlie Hebdo, Rolf Kesselring n’y a d’abord pas cru: «J’ai pensé que c’était un canular et je me suis mis à appeler les potes de Paris. Ils m’ont confirmé…»

Du coup, l’éditeur qui a lancé des revues satiriques en Suisse romande et en France, et a contribué à révéler de nombreux dessinateurs et auteurs de bandes dessinées, s’est replongé dans ses années parisiennes: «Charb? J’ai été un des premiers à le publier dans L’Imbécile de Paris, que j’ai édité au tout début des années nonante. C’était un personnage sympathique et attachant. Avec Wolinski, le débat était permanent. On n’était jamais d’accord sur rien. Mais on débattait, c’est cela qui compte. Avec le professeur Choron, c’était les déconnades et l’alcool. C’est d’ailleurs ce qui m’a fait prendre conscience des dangers de l’alcool. Avec toute cette équipe -c’était l’époque d’Hara-Kiri-, on finissait parfois en s’endormant les uns sur les autres à cinq heures du matin…»

Une «une» de choc

Le changement de titre est d’ailleurs intervenu au lendemain de la mort du Général de Gaule, en novembre 1970. Alors que la France, et toute l’Europe, étaient secouées par la mort de 146 jeunes gens dans l’incendie de la discothèque «5-7» de Saint-Laurent-du-Pont, (Chartreuse/ Isère), la revue avait, pour dénoncer l’exploitation de la tragédie par la presse, pris le contrepied et titré sur la mort du Général avec «Fin de bal à Colombey: un mort.» La conséquence a été l’interdiction définitive d’Hara-Kiri, car on ne badine pas avec l’image du général.

Pression permanente

Rolf Kesselring était entré dans le groupe par François Cavanna, un homme dont il a été très proche. «Contrairement à celle du Canard Enchaîné, c’était une rédaction ouverte et elle l’est restée. On pouvait participer. C’est un milieu où je suis entré déjà à l’époque de Pilote. La censure existait. Il n’y avait pas moyen de s’exprimer librement. Parfois, le dessinateur devait recommencer son dessin à trois ou quatre reprises parce que Goscinny lui disait: ça, on ne peut pas le publier!»

Même s’il ne partage pas les idées de l’ancien président, Rolf Kesselring relève que c’est Giscard d’Estaing qui a mis fin à cette situation: «Il a fait péter la censure! Je ne me souviens plus si c’est Cabu ou Wolinski, mais l’un des deux a dit alors: si cela continue, ils vont nous donner la Légion d’honneur.»

L’écriture c’est la vie

Pour Rolf Kesselring, il est vital de perpétuer la tradition de la satire et des formes d’irrévérence qui l’accompagnent. Même s’il s’est «assagi», l’écriture le maintient en vie. Après avoir longtemps exercé comme critique littéraire à Swissinfo, il prépare désormais deux biographies, l’une consacrée à André Malby -elle devrait être intitulée «Monsieur Mauve», et l’autre, «De vie en aiguille», à son beaufils, le célèbre tatoueur Filip Leu.

 

Même en Suisse

34 procédures

Avec une poignée d’amis, au nombre desquels figurait le regretté dessinateur Elzingre, Rolf Kesselring a lancé, en 1969, La Pomme, un périodique satirique qui, moins qu’un prolongement des événements de mai 68, a été surtout une réaction à la xénophobie véhiculée par l’initiative Schwarzenbach «contre la surpopulation étrangère». Durant cinq ans, cette publication a été imprimée d’abord à l’Imprimerie du Journal d’Yverdon, puis, à la suite de pressions liées au contenu, à l’Imprimerie Cornaz.

Même en Suisse, la pratique de la satire n’était pas de tout repos. Ainsi, dans les années septante, Rolf Kesselring, soit en tant qu’éditeur, soit comme diffuseur au travers des ses librairies La Marge, a dû affronter pas moins de 34 procédures judiciaires. A l’époque, le Ministère public de la Confédération considérait les éditeurs, auteurs et diffuseurs de ce genre comme de dangereux anarchistes. Ils faisaient d’ailleurs l’objet d’une surveillance.

 

Estomaqué par la récupération politique

S’il est en admiration devant la réaction populaire aux événements de la semaine dernière, Rolf Kesselring se fâche tout rouge lorsqu’on évoque la présence des autorités politiques à la manifestation de dimanche à Paris. A 74 ans, il n’a pas perdu une once de sa verve: «C’est insupportable de voir certains chefs d’état à cette manifestation alors que des journalistes sont emprisonnés dans leur propre pays! Vous pensez que Charb, Cabu, Honoré, Wolinski et les autres auraient été contents de voir cela? C’est vraiment pas sérieux lorsqu’on sait ce qui se passe dans certains pays.» Et l’écrivain-journaliste d’ajouter: «Je suis par contre ému par la réaction du peuple, parce qu’elle vient des tripes.» Rolf Kesselring a lui accompagné son fils Mathieu, samedi, au rassemblement qui a eu lieu à Besançon, la capitale de la Franche-Comté.

Isidore Raposo