Orbe – Michel Rochat, de retour dans la Cité aux deux poissons, parlera de son itinéraire atypique lors d’une conférence proposée ce soir, au Musée, par l’Association des amis de Pro Urba. Rencontre avec cette pointure musicale dont la passion n’a pas vieilli.
Sorti de son cadre urbigène et en occultant quelques objets emblématiques tels que le vieux pendule familial, l’intérieur des Rochat dégage un parfum d’Asie. Quelques objets d’art suspendus aux murs confèrent au salon une atmosphère feutrée et contemplative, en parfaite harmonie avec le maître de céans.
Michel Rochat, 86 ans, a ramené bien plus que des objets de l’épopée taïwanaise qu’il évoquera ce soir au Caveau du Musée d’Orbe. Cette certitude se consolide à l’écoute de son parcours musical. Le natif de La Brévine n’avait pas froid aux yeux en choisissant l’île d’Asie du Sud-Est pour exercer ses talents de chef d’orchestre, de pédagogue et faire éclore ses premières compositions.
Soumis à la loi martiale imposée par le Parti nationaliste chinois de Tchang Kaïchek, Taïwan s’ouvrait alors à la culture occidentale, à la faveur de son alliance avec les Etats-Unis. Mais son exigence envers les «maîtres» d’outre-Pacifique a eu raison de nombreuses collaborations.
Pas le premier venu
Michel Rochat a pu se payer le luxe de partir de son propre chef, après quinze ans d’intense activité, de surcroît au plus grand regret de ses hôtes. Il faut dire qu’il n’avait pas atterri à Taipei sans arguments, en 1985.
L’ascension de l’artiste a, pour ainsi dire, commencé dans la Cité aux deux poissons, où il a pris, dans les années 1960, la baguette de chef d’orchestre de l’Harmonie Sainte-Cécile. Une aubaine, tant l’univers de la musique est soumis à une rude concurrence dictée par l’arrivée des paroles sur les grands écrans. «Il y avait peu de débouchés. Toutes les places à l’Orchestre de la Suisse romande étaient prises. Celui du théâtre avait été créé pour accueillir les musiciens au chômage suite à la fin du cinéma muet et former les jeunes. Je faisais partie de la seconde catégorie quand j’y jouais comme clarinettiste. Nous avions l’équivalent de huit mois de salaire, qu’on complétait en donnant des cours», indique Michel Rochat. Le Nord- Vaudois savoure à sa juste valeur la chance d’avoir pu côtoyer cette génération de musiciens polyvalents, capables d’accorder leur instrument tant au ballet qu’à l’opérette et à la symphonie quand les virtuoses du moment ont leur spécialité.
Spectacle urbigène
De son expérience de huit ans à la tête de l’Harmonie Sainte-Cécile, Michel Rochat relève le spectacle «Images de mon pays», porté à bout de bras avec les sociétés de danse et de chant locales.
Sa montée en puissance se poursuit à travers les postes successifs de directeur de l’Harmonie de Lausanne et de l’Union chorale de Vevey. Ses études à l’Académie de musique de Bâle sanctionnent d’un diplôme ses compétences de chef d’orchestre et le Conservatoire de Lausanne, où il a appris ses gammes, lui transmet ses rênes en 1963. Une belle opportunité non dénuée de contraintes. «Ce poste de directeur m’a permis de tisser des relations, mais il y avait toute la partie administrative de cette grosse structure de 85 professeurs et 1500 élèves à gérer. Je devais aussi défendre notre budget auprès du Conseil d’Etat et de la Commune de Lausanne.»
La consécration arrive en 1980 à Rio de Janeiro. Michel Rochat y remporte le premier prix, la médaille d’or et le Prix Villa-Lobos du concours international pour chefs d’orchestre, convoité par 80 candidats. Les portes s’ouvrent aux quatre coins du monde. Le lauréat, invité à performer en Europe et en Amérique du Sud, quitte le Conservatoire et pose ses valises à Izmir, en Turquie, où le Gouvernement lui confie l’orchestre national. L’aventure dure trois ans, avant qu’un programme d’échanges de musiciens avec Taïwan ne conditionne sa destinée.
Revenu en Suisse en 2000, Michel Rochat est domicilié à Orbe avec son épouse depuis dix-huit mois. Il partage son temps entre la lecture, la réalisation de la généalogie de sa famille et l’écriture de nouvelles compositions.
«Nous allons peut-être retourner à Taïwan cet automne. Je ne m’y suis plus rendu depuis 2006, mais j’y ai gardé des contacts», indique le fringuant Urbigène.
Ce soir à 20h au Caveau du Musée d’Orbe : «De la Sainte-Cécile d’Orbe à l’Opéra Chinois de Taipei, itinéraire d’un enfant du pays». Entrée libre, chapeau à la sortie.
Michel Rochat attache beaucoup d’importance à la transmission
Bien respirer et savoir écouter
L’apprentissage de la musique à la jeune génération occupe une place à part dans le parcours de Michel Rochat. «J’ai toujours voué beaucoup d’intérêt aux grands courants pédagogiques et cherché à savoir comment les élèves pouvaient progresser», commente-t-il.
L’une des clés, selon lui, réside dans la maîtrise de la technique du souffle. «Trop de musiciens ont tendance à la délaisser. J’ai suivi, pendant deux ans, des cours de yoga, afin de comprendre la manière de procéder pour la transmettre», indique ce formateur patenté, auteur de plusieurs publications. L’utilisation de l’ouïe, pour «apprendre à écouter», constitue une autre pierre angulaire de son approche. La chanson populaire représente, à ses yeux, un socle solide sur lequel développer ses compétences. «C’est la base pour se former l’oreille, car il s’agit d’un bon indicateur du rythme et du langage.» Partant de ce principe, Michel Rochat s’est plongé dans le répertoire taïwanais dans le but de mener à bien ses mandats de professeur de musique dans les écoles et de chef de l’orchestre national d’instruments chinois, pour ne citer que ces exemples. Les mélodies traditionnelles rythment également ses compositions, dont l’opéra
«A l’écoute des fleurs» est, à ses yeux, l’une des œuvres majeures. «On y retrouve des instruments électroniques, chinois, un choeur, un ballet, une mise en scène à la grecque ainsi que des voix off évoquant des sentences de Confucius. Cette pièce très philosophique retrace les neuf épisodes de la vie d’un homme. Sa partie finale est souvent jouée à l’occasion de la fête nationale de Taïwan», précise Michel Rochat. L’auteur cite aussi «Princesse Kamalan», un opéra ballet mettant en scène la légende des premiers occupants de l’île d’Asie du Sud-Est, lui aussi encore interprété à ce jour.