Seniors - À l’occasion de la première édition du mois de la santé mentale dans le canton de Vaud, La Région a rencontré Salvatore Stagnitta et Nathalie Dao, de l’Association pour la santé, la prévention et le maintien à domicile (Aspmad) du Nord vaudois. Ils évoquent un sujet parfois tabou chez les seniors et un nombre de défis sociaux et sanitaires à relever dans les prochaines années.
L’arrivée de la génération du baby-boom à la retraite et l’allongement de la durée de vie y sont pour quelque chose: le nombre de personnes âgées de 65 ans et plus va fortement augmenter ces vingt prochaines années dans le monde, et la Suisse ne fait pas exception.
Ces changements démographiques risquent de mettre sous tension le système de santé. Dans le canton de Vaud, une personne sur cinq a recours à l’aide et aux soins à domicile dès l’âge de 65 ans. Les centres médico-sociaux (CMS) sont donc au cœur de ces évolutions et doivent s’adapter.
La question de la santé mentale des aînés est l’un des grands défis de santé publique. Dans les cantons latins, l’Enquête suisse sur la santé 2017 montre qu’environ un quart des seniors interrogés faisaient état de symptômes dépressifs.
Si ce sujet a davantage été documenté ces dernières années, notamment en raison du Covid, il reste relativement tabou et les pathologies mal diagnostiquées. Salvatore Stagnitta, responsable des prestations pour l’Aspmad (qui regroupe les CMS du Nord vaudois) et Nathalie Dao, infirmière experte clinique en santé mentale, ont répondu aux interrogations de La Région.
La question de la santé psychique des seniors nécessite-t-elle davantage d’attention ?
S. Stagnitta: Les seniors ont très mal vécu ces deux années de pandémie et la santé mentale des personnes déjà fragilisées s’est péjorée. La santé mentale est une priorité, et le Covid a également mis en lumière un déficit de soins.
Comment améliorer cela?
S. Stagnitta: Au CMS, nous sommes en train de travailler sur trois axes principaux concernant la santé mentale. Nous souhaitons d’abord augmenter les compétences des collaborateurs sur ces questions, surtout ceux qui ne sont pas spécialisés. Le deuxième axe, c’est de travailler en partenariat avec le client et sa famille sur l’identification des signaux d’alerte. Le troisième axe, c’est la prévention. Bien vieillir, ce n’est pas seulement être en bonne santé physique, mais aussi être bien sur le plan mental.
Justement, ces compétences, quelles sont-elles?
S. Stagnitta: Il existe par exemple des formations en évaluation du risque suicidaire, qui sont données aux infirmiers des institutions psychiatriques. Nous les avons adaptées à toutes nos équipes pluridisciplinaires, comme aux auxiliaires et aux infirmiers. La santé mentale est l’affaire de tous. On voulait donner ces compétences à tous les collaborateurs.
N. Dao: Les notions de crise sont aussi abordées. Comment déceler des signaux d’alerte et des symptômes? Si une personne dit qu’elle en a marre, que veut-elle dire par là? Il ne faut surtout pas banaliser.
Vous parlez de signaux d’alerte et de symptômes… quels peuvent-ils être?
S. Stagnitta: Les signaux d’alerte chez la personne âgée sont très souvent compliqués à déceler, car il peut y avoir d’autres facteurs de comorbidité avec des symptômes similaires. Il est donc important de sensibiliser les proches aidants à pouvoir détecter, par exemple, une fatigue plus marquée qu’avant, un sommeil altéré ou une perte d’appétit. Ils peuvent tous être des signaux d’alerte de la déprime. Et il faut les détecter dès que possible.
La détection précoce de certaines pathologies est donc un défi?
S. Stagnitta: Entre 60 et 70% des dépressions chez la personne âgée sont méconnues ou négligées. Les plus de 65 ans ont une prévalence à la dépression entre 8 et 16%. Et sur ce pourcentage, si la moitié n’est pas détectée… ça fait beaucoup! Le vieillissement est une étape très importante, et pour certaines personnes, il s’agit presque d’un deuil à faire. Il faut pouvoir accompagner cette transition. La plupart des cas ne nécessitent pas l’accompagnement d’un soignant, mais c’est quand même un moment très délicat et qu’on sous-évalue.
Donc, d’après vous, on ne fait pas assez pour aider cette transition vers l’âge avancé?
S. Stagnitta: Je pense que c’est une vision sociétale. D’une part, on n’a pas le droit de ne pas aller bien et, d’autre part, il y a une stigmatisation de la psychiatrie. Donc on banalise cela.
N. Dao: Chez la personne âgée, la dépression n’est pas forcément visible parce qu’elle passe par des maux physiques et répétés. Il faut faire attention à ne pas les banaliser et prendre le temps d’aller à la rencontre de l’autre. Avec ce rythme de vie où l’on doit toujours être en pleine forme, on ne prend pas forcément le temps de s’arrêter et d’écouter la personne qui est en face de nous. C’est un point important. Mais pour aller à la rencontre de l’autre il faut soi-même être disponible, et ce n’est pas toujours le cas pour les soignants… Notamment à cause de la pénurie de personnel qui touche les institutions de soins du pays.
La pénurie est-elle l’un des défis majeurs auxquels vous devez faire face?
S. Stagnitta: D’ici à 2050, le canton de Vaud va dépasser le million d’habitants. C’est une croissance démographique importante. On vit également plus longtemps, les soins évoluent et deviennent plus spécialisés qu’avant, et on ressent les effets du baby boom. D’ici à 2040, les plus de 80 ans vont presque doubler. Ça, c’est très important pour nous, car au CMS, plus de la moitié de nos clients ont plus de 80 ans. Les 7500 clients que l’on a aujourd’hui augmenteront significativement.
N. Dao: Alors qu’il n’y a pas forcément plus de soignants! Le défi de l’accessibilité aux soins est réel. Parce qu’il manque des soignants et que les besoins sont de plus en plus grands.
S. Stagnitta: Oui, le défi de santé publique est impressionnant. Et si l’on considère que 60 à 70% des dépressions ne sont pas diagnostiquées, sur la totalité des personnes âgées de 2040, ce sera énorme.
Vous parlez de l’horizon 2040… C’est demain. Est-ce que ça va assez vite, au vu des défis qui nous attendent ?
S. Stagnitta: On a beaucoup à faire, mais on y arrivera. Il est important que l’on continue ce travail de partenariat avec nos clients et leurs proches, car ce sont ces derniers qui sont tous les jours avec eux. L’un des objectifs est donc de les accompagner et pour ce faire, au CMS, on est en train d’embaucher des infirmières spécialisées en psychiatrie de l’âge avancé. Nous offrons également des prestations de soutien individuel aux proches aidants.
Vous misez donc beaucoup sur la formation des collaborateurs et le travail avec les familles?
N. Dao: Et avec le client! Il faut travailler en partenariat, mais ça implique que la personne ait un certain degré d’autonomie et comprenne ce qui lui arrive. À partir de là, on peut mettre en place un accompagnement adapté. Parfois on n’est pas forcément formés à tout cela. Comment se soutenir les uns les autres? Comment bien s’entourer? C’est comme ça que l’on arrive à s’en sortir, car tout seul c’est très difficile. Et c’est pour cela qu’il y a un vrai travail à faire avec l’entourage et tout le réseau de soins.
Cette volonté de mettre plus de moyens dans les questions de santé mentale à plus large échelle?
S. Stagnitta: Des démarches sont faites partout. Il y a des projets en cours au niveau cantonal, comme «Vieillir 2030», et au niveau de l’Avasad (ndlr: association faîtière des CMS du canton de Vaud) avec «Bien Vieillir». Il y a différents axes dans ce dernier, et celui de la prévention est très important. Il vise à accompagner le client pour trouver des stratégies lorsque ça va moins bien.
Est-ce là que tout se joue?
S. Stagnitta: La promotion et la prévention, c’est vraiment la clé. Si l’on arrive à faire de la bonne prévention pour toutes les maladies, on aura moins de personnes à prendre en charge dans vingt ans, car elles seront en meilleure santé. Ce n’est pas qu’une question d’alimentation ou de sport, mais aussi de liens sociaux. D’ailleurs, la prévention commence dès la naissance!
N. Dao: C’est ça! Si l’on apprend plus tôt, c’est ça de gagné pour plus tard.
S. Stagnitta: Et c’est ça l’objectif de notre travail à domicile. C’est de faire en sorte que les clients restent chez eux le plus longtemps possible et dans les meilleures conditions. C’est une mission très importante, au vu des défis que l’on a cités tout à l’heure. Car il n’y aura pas suffisamment de lits hospitaliers et d’EMS si on ne travaille pas là-dessus.
Texte: Laura Manent
Photo: Keystone