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«A Cuba, la volonté de résister reste immense»
L’ambassadrice de Cuba en Suisse depuis le 14 janvier, Laura Ivet Pujol Torres.  michel duperrex

«A Cuba, la volonté de résister reste immense»

27 février 2025 | Textes: Jean-Philippe Pressl-Wenger
Edition N°3901

Avec l’arrivée de Donald Trump au pouvoir aux Etats-Unis, et le renforcement du blocus économique, le quotidien de la population cubaine continue d’être difficile. L’ambassadrice de Cuba à Berne, Laura Ivet Pujol Torres, était récemment de passage à Yverdon-les-Bains, l’occasion de faire le point.

A son arrivée dans l’arrière-salle du  Starmania, à la rue de la Plaine, vendredi dernier, Laura Ivet Pujol Torres était détendue.  Avec 27 ans d’expérience dans la diplomatie au service de son pays, les rencontres informelles comme celle de la semaine dernière, initiée par l’Association Suisse-Cuba de la Cité thermale, n’ont pas de secret pour elle. Longuement en poste au Brésil, en Belgique, puis en Italie, Madame l’Ambassadrice a pris ses fonctions à Berne le 14 janvier dernier.

Quelles sont vos préoccupations actuelles, ici en Suisse ?

Nous sommes en train de prendre nos marques et je suis encore dans une phase de présentation auprès des diverses autorités locales. Je fais également la connaissance de personnes du corps diplomatique. Et évidemment je prends contact avec des ressortissants cubains vivant en Suisse pour comprendre un peu mieux leurs soucis et leurs questions, tout ça dans un contexte particulier pour notre île. Les restrictions très importantes imposées à notre pays nous forcent à agir avec une grande urgence pour obtenir des résultats.

En 2024, Cuba a accueilli 10% de touristes en moins par rapport à 2023. En sachant que c’est un des moteurs économiques du pays, dans quelle mesure cela vous inquiète-t-il ?

La question de la diminution du nombre de touristes s’explique surtout par le fait que nous n’avons pas réussi à récupérer le nombre de visiteurs d’avant la pandémie. Nous espérions avoir une meilleure croissance dans ce domaine, mais les pressions subies par l’industrie touristique rendent le tout compliqué. Il y a eu moins de vols depuis la pandémie, la reprise de vols réguliers aide un peu maintenant. La situation économique représente aussi un frein au tourisme. Les touristes qui viennent à Cuba doivent ensuite demander un visa pour rejoindre les Etats-Unis, et ça, c’est un motif de découragement. Les Américains, qui devraient constituer le marché naturel de Cuba, ont l’interdiction de voyager à Cuba. Heureusement, les Canadiens, eux, viennent volontiers.

Et les Chinois, également…

Oui, on a des touristes chinois qui représentent un marché très intéressant. Nous avons plus de connexions aériennes avec la Chine. notamment via une connexion directe depuis Pékin. le vol fait une escale en Europe, ce qui peut éventuellement contribuer à abaisser les prix pour les Européens.

Cuba a vécu des pannes générales d’électricité en octobre et décembre 2024. Comment offrir une stabilité dans la qualité de vie de la population ?

Nous avons toujours eu des soucis avec le renouvellement des sources d’énergie. Nous avons fait des investissements sur le réseau électrique national, toutefois, on se retrouve en difficulté pour trouver du combustible afin de faire fonctionner les usines. Nous manquons également de pièces de rechange pour les réparations requises. Ces technologies ont un prix élevé pour un pays en développement comme Cuba. Actuellement, on doit aussi vivre avec la persécution des bateaux qui livrent le combustible. Par exemple, un bateau qui accoste dans un port à Cuba n’a pas le droit d’accoster aux Etats-Unis durant six mois. Cela tient parfois de la magie de réussir à trouver des bateaux qui veuillent bien nous livrer. Il y a aussi quelque chose d’ironique là-dedans, parce qu’après, lorsque l’on explique ces problèmes, on nous répond que la faute est du côté de notre administration. Mais qui pourrait résoudre les problèmes que nous connaissons avec plus d’efficacité ?

La Suisse, via la Direction au développement et à la coopération, a mis un terme à sa coopération avec La Havane en 2024 pour réorienter ses priorités. Quelles sont les relations actuelles de Cuba avec la Suisse ?

C’est une question de politique interne à la Suisse, et je me garderai bien d’intervenir dans ce cadre en tant qu’ambassadrice d’un pays étranger. Mais je pense que la question est plus large que la relocalisation d’un budget. Pour nous, c’est dommage, car les projets qui étaient en cours ont toujours mené à des expériences positives et ont donné à la Suisse une très bonne visibilité au sein de la population cubaine. La Suisse a été un partenaire fiable qui a produit d’excellents résultats pendant des années. Dans un moment où Cuba a grandement besoin de ces projets dédiés à la société civile, aux jeunes, à l’éducation ou à la santé, cela va nous manquer évidemment.

Le retour au pouvoir de Donald Trump a coïncidé avec le retour de sanctions économiques encore plus sévères. Comment les Cubains vivent-ils ce retour en arrière ?

Ce qui est en vigueur aujourd’hui, c’est ce que nous avons connu durant plus de 60 ans de révolution. L’agressivité, la confrontation a toujours été le schéma choisi par les Etats-Unis. C’est un choix qui a été fait par les 13 derniers présidents américains, avec la notable exception de Barack Obama. Le clan Biden n’a véritablement agi que trois jours avant l’entrée en fonction de la nouvelle administration Trump, c’était presque une blague. Trois jours après, tout était revenu à l’état précédent.

Quels sont les moyens que Cuba peut mettre en œuvre pour que sa population puisse supporter ce blocus ?

On est très bien entraînés à survivre avec des agressivités extérieures inimaginables pour quelqu’un qui vit une autre réalité. Nos capacités sont évidemment mises à l’épreuve par ces différentes vagues de mesures injustes. Les ressources sont minimes, mais la volonté de résister reste immense. L’être humain est capable de faire ressortir, dans les moments de grandes difficultés, des capacités exceptionnelles. Nous l’avons démontré par le passé, notamment durant les graves crises des années 1990. L’important est que notre système nous permet de tirer le meilleur des gens, car la principale préoccupation de la société n’est pas l’argent. Ce qui nous sauve du désespoir reste la conscience très répandue dans notre population que nous sommes en train de construire une nation juste. Mais ces difficultés ont aussi poussé des Cubains à quitter l’île, pour chercher une meilleure vie ailleurs et c’est compréhensible. Même en direction des USA où certaines lois facilitaient jusqu’à maintenant leur arrivée sur sol américain. A voir si ce sera toujours le cas dans les mois à venir.


Amnesty International pointe encore l’île du doigt

Dans son rapport 2023/24 sur Cuba, Amnesty International relève que plus de 700 personnes sont encore emprisonnées pour avoir pris part à des manifestations qui s’étaient déroulées en juillet 2021. Ces reproches sont entendus, mais pas tolérés par l’ambassadrice Laura Ivet Pujol Torres. «On reste un pays qui a des choses à apprendre et à améliorer, et aussi des choses à transmettre, répond-elle. Je trouve toujours injuste qu’on insiste autant sur ces cas. Cela ne nous définit pas. Notre pays respecte les droits de l’homme, permet à chacun d’avoir une vie digne dans tous les domaines. Y compris dans le domaine politique. Nous faisons tous les efforts pour respecter les conventions des droits de l’homme, dont Cuba est signataire.» Elle insiste ensuite sur le fait que selon elle, les vraies violations aux droits de l’homme sont celles que la population cubaine endure depuis 60 ans. «Les Nations unies ont demandé à 28 reprises de lever ces sanctions (ndlr : seuls les USA et Israël s’y sont récemment opposés). Nous sommes prêts à discuter de cela avec tous les interlocuteurs. Nous ne faisons pas tout juste, mais il n’est pas tolérable de se voir mettre de côté comme un mauvais élève par rapport aux droits de l’homme.»

Reste que la question demeure légitime: y  a-t-il encore de la place à Cuba pour un mouvement politique dissident, qui propose une autre vision que celle de la politique en place ? La réponse s’avère assez claire et puise ses racines dans les choix politiques effectués et choisis aussi par une majorité de la population. «Nous avons choisi un système à un seul parti, rappelle l’ambassadrice de Cuba en Suisse. En 2019, nous avons fait voter une nouvelle constitution qui a été acceptée par plus de 80% de la population. Il n’y a qu’un parti, pourtant les citoyens ont l’opportunité d’élire démocratiquement leurs représentants, mais aussi de révoquer les mandats des dirigeants qui ne conviennent pas. Quand on parle de dissidence, on doit savoir qu’à Cuba comme dans n’importe quel autre pays, il y a des règles à suivre pour asséner des critiques, ou pour participer à la vie politique. Ces règles ont été votées par le peuple cubain et doivent être respectées. Tant que l’on reste dans ce cadre, tout est possible.»