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A la recherche du beau son
Il faut une patience d’horloger à Gérard David pour assembler la partie mécanique de l’instrument.

A la recherche du beau son

27 février 2025 | Texte: Robin Badoux | Photos: Michel Duperrex
Edition N°3901

Dans le monde, on peut les compter sur les doigts d’une main. Les facteurs de harpe de concert sont en effet une vraie rareté. Rencontre avec un de ces artisans d’exception sur le Balcon du Jura, reconnu dans le monde entier.

Nombreux sont les musiciens, de par le monde, à connaître le son des harpes David. Un son qui a amoureusement été travaillé, artisanalement et même scientifiquement, au fil des années sur le Balcon du Jura. C’est là que Gérard David et sa femme Anne-Marie perfectionnent l’art très rare de la fabrication des harpes de concert à pédales.

Reconnaissance mondiale

L’histoire des harpes David commence en 1986. «Au départ, mon épouse et moi travaillions dans une entreprise concurrente, explique Gérard David. Elle était dans l’administration, et moi je faisais des cordes. Puis nous avons fini par quitter le navire et nous avons créé notre atelier en indépendants. Je me souviens qu’on nous avait dit qu’on ne tiendrait pas six mois.»

Très vite, une première harpe est assemblée en 1987 (photo en page 1). S’ensuit un crochet par le prestigieux Congrès Mondial de la Harpe triennal à Vienne la même année. «On n’avait pas froid aux yeux. L’organisateur, que je connaissais, nous avait placés derrière le stand des Japonais. On avait présenté trois harpes qui ont toutes été vendues. C’était pas mal pour un coup d’essai!»

Après quoi, le succès est allé crescendo. Une première harpe de concert – les précédentes étant des instruments d’étude – est montée en 1989. La production et les commandes augmentant, le couple engage du personnel et change de locaux plusieurs fois, mais toujours à Sainte-Croix.

Les maîtres du son

«Ce qui nous pousse, c’est la passion. Celle de faire une belle mécanique et la recherche du beau son.» Et pour trouver ce son, le fabricant n’a pas lésiné sur les moyens. Cela a commencé par la venue d’un chercheur en physique nucléaire de Saint Andrews, en Écosse, spécialiste en acoustique, qui a travaillé sur les fréquences, tandis qu’Ernst Zürcher, ingénieur forestier suisse, a apporté son expertise sur les bois. Un riche apport scientifique qui ne fait pas tout, car au final, c’est le savoir-faire de l’artisan qui sublime la matière. «C’est un mélange de technologie et d’empirisme. Les calculs c’est intéressant, mais l’instrument bouge. On part de la science, puis on navigue à vue.»

D’érable, d’épicéa, d’acier et de laiton

Aujourd’hui, un peu plus de 1000 harpes de concert sont sorties de la manufacture David. Alliance de l’ébénisterie et de la mécanique – plus de 1600 pièces sont nécessaires pour faire fonctionner le mécanisme à pédales, qui servent à changer la hauteur des cordes –, il faut entre 220 et 300 heures de travail pour fabriquer un modèle standard. «Nous faisons tout nous-mêmes, de la forêt au client, et nous n’avons pas de revendeur», assure Anne-Marie David. Seules quelques pièces spécifiques en métal ne sont pas usinées sur place. «Nous, on connaît nos instruments et on est proches de nos clients, contrairement à certains concurrents qui engagent des gugusses déguisés en croque-morts prêts à vendre n’importe quoi», ajoute son mari.

La manufacture fonctionne toujours à bonne allure, avec des clients partout dans le monde. Gérard David continue d’ailleurs de voyager pour se rendre au chevet de ses harpes lorsqu’un orchestre appelle au secours. «Je suis allé partout. Au Japon, à Singapour, en Afrique du Sud, en Norvège.»

Malgré tout, à 75 ans, l’artisan se sait vieillissant. Mais il ne compte pas lâcher l’affaire pour autant: «Vous savez, les luthiers travaillent sept jours sur sept jusqu’à ce qu’ils tombent», sourit-il. Quant à la relève, elle n’est pas assurée: «Beaucoup de jeunes sont intéressés, mais peu se rendent compte de ce que c’est vraiment. Il n’y en a pas beaucoup qui veulent travailler le week-end et c’est un métier de passion qui ne rend pas riche, et qui demande à connaître la mécanique, la lutherie et l’ébénisterie», appuie l’artisan qui, malgré sa grande expertise, admet sans sourciller: «Je n’ai jamais appris à en jouer! Pour moi, c’est un moyen pour garder un son pur.»