Durant plus d’une semaine, du bois a carbonisé dans une meule à charbon près du refuge de Croy, sous les yeux méticuleux de Bastien Siggen et Nicolas Allamand, les gardes forestiers du vallon du Nozon.
Plus d’une semaine à dormir dehors, à manger au coin du feu et à se réveiller toutes les deux heures pour surveiller leur précieuse meule à charbon, c’est ce que viennent de vivre Bastien Siggen et Nicolas Allamand, les deux gardes forestiers du Groupement forestier du vallon du Nozon (GFVN). «Le but était de mettre en valeur le travail du GFVN tout en faisant perdurer ce savoir. C’était aussi l’occasion d’inviter les municipaux des communes du groupement pour venir nous rencontrer», explique le premier.
Ils ont choisi d’établir leur campement près du refuge de Croy. Facile d’accès, assez bien abrité des courants et plat, le lieu se prêtait bien à l’accueil de leur meule à charbon. Il s’agit là d’une méthode ancestrale pour façonner du charbon de bois, un combustible utilisé depuis l’Antiquité et qui, encore aujourd’hui, est l’élément immanquable pour des grillades réussies. Le charbon s’obtient par pyrolyse. C’est-à-dire que, sous l’effet de la chaleur et du manque d’oxygène, le bois carbonise. «C’est en fait la distillation du bois, c’est peut-être plus parlant comme ça», sourit Bastien Siggen.
La meule ressemble à une petite colline, constituée d’une cheminée et de stères de bois entassés (ici dix). Le tout est recouvert de paille, puis de poussier (un mélange de cendre et de terre récupéré de la dernière meule réalisée). Cette dernière couche est essentielle, puisqu’elle empêche l’oxygène de pénétrer dans la meule, ce qui assure la carbonisation. Une fois la meule montée, il s’agit de l’allumer en déversant des braises à l’intérieur et en attisant le foyer avec des bûches, avant de couvrir la cheminée avec un couvercle métallique. Des trous sont également réalisés sur tout le pourtour de la meule, ce qui permet de jauger l’alimentation en oxygène si besoin.
Que la veille commence
Débute ensuite la phase de surveillance. Un processus long durant lequel de nombreux imprévus peuvent subvenir. Jour et nuit, il faut vérifier toutes les deux heures que la meule ne fume pas trop, qu’elle ne soit pas en feu ou qu’elle ne s’affaisse pas. «Le plus dur, c’est de se lever et d’enfiler sa combinaison froide», rit Bastien Siggen. Il est d’autant plus important de la contrôler de nuit, car quand la température baisse, c’est là que la carbonisation est la plus rapide.
Cette fois, la meule a connu des fortes pluies dans la journée de lundi, avant de voir arriver un temps sec, ensoleillé, mais venteux à cause de la bise. Autrement, pas de catastrophes à déplorer. Tout s’est bien déroulé, même si les deux gardes forestiers admettent avoir été quelque peu soucieux durant tout le processus. «Ce qui est déstabilisant, c’est qu’il n’y a pas de marche à suivre exacte. C’est avec l’expérience qu’on apprend comment réagir», explique Nicolas Allamand. Heureusement, ils pouvaient compter sur le soutien
d’Henri Geissbühler qui en réalise une à deux par année et qui a une longue expérience du procédé.
Le moment tant attendu
Le grand événement de la semaine, c’était l’ouverture de la meule vendredi. Une petite trentaine d’habitants du coin s’étaient déplacés pour assouvir leur curiosité et découvrir avec plaisir le résultat final. Mais pour cela, il fallait de l’organisation et des bras supplémentaires pour ouvrir la meule, râteler, peller, pousser les brouettes de poussier et de charbon, les vider et surveiller les andins. Encore chaud, le charbon peut s’enflammer plusieurs heures après. Il est donc nécessaire de l’étendre sur le sol et de l’arroser là où des braises apparaissent. C’est pour cette raison que l’ouverture se fait de nuit: les braises sont plus facilement visibles.
Pendant deux heures, un bal de brouettes et de râteaux ont donc dansé dans la fumée et la poussière, sous les baguettes de deux chefs d’orchestre, Bastien Siggen du côté de la meule et Henri Geissbühler vers les andins de charbon. Une fois la meule déblayée, l’équipe tout sourire aux visages noircis par la suie a pu souffler un moment, mais pas trop. Il faut encore surveiller le charbon pour que les braises soient complètement éteintes. Mais le jeu en valait la chandelle. Au final, la meule a produit plus d’une tonne de charbon !