Le Petit Corbeau se fait une place dans la gastronomie romande sous la direction de Bryan Lauper, lequel a succédé en 2016 à son père Olivier. L’établissement fête cette année ses 135 ans!
Plusieurs fois, ces dernières années, des architectes ont conseillé à Bryan Lauper de changer le sol du bistrot, mais aussi de repeindre l’acajou installé par son grand-père, à côté du bar, là où son père Olivier s’installe pour boire le café le matin. A chaque fois, Bryan a dit non. On ne touche pas à l’identité et à l’âme de « La Meule », le café-restaurant dont il est devenu le patron en 2016.
«Ce lieu a un esprit, une atmosphère. J’y tiens beaucoup. Je l’ai fait évoluer, avec mes idées, mais il y a des choses auxquelles on ne touche pas. Ici, on trouve toujours le verre de blanc ou de rosé à moins de quatre francs. Je ne transige pas là dessus », explique le restaurateur à succès (13 au Gault&Millau), qui a su faire du Petit Corbeau une adresse incontournable de la région, en à peine cinq ans à sa tête, lui qui est littéralement né dans l’établissement et y est revenu, après être allé faire de prestigieuses expériences en Suisse et à l’étranger.
«J’ai hésité entre le vin et la restauration. Et mon père n’arrêtait pas de me dire que ma place était ici… Une fois à l’école hôtelière, j’ai beaucoup écouté ce qu’on m’y enseignait. Il était question de tradition, de concurrence, d’excellence… Au fur et à mesure, je me rendais compte qu’avec le restaurant de mon père, j’avais tout ce dont j’avais besoin pour m’épanouir pleinement », explique-t-il aujourd’hui. Alors, il a succédé à Olivier et, accompagné de son épouse Typhaine, il a fait évouler cet établissement emblématique de Chavornay, lui faisant franchir un énorme palier sur le plan gastronomique… tout en gardant l’esprit «pinte de village».
«Je suis très fier qu’un de mes fils ait repris l’établissement», se réjouit Olivier, qui a appris à chacun d’eux la valeur du travail. «Depuis tout petit, je donne un coup de main. A trois ou quatre ans, j’étais déjà à la salle, c’est comme ça qu’on apprend la vie. Et à jouer aux cartes », sourit Bryan, qui sait exactement ce qu’il doit à ses deux parents, Olivier et Maria.
Olivier, d’ailleurs, rappelle que si le Petit Corbeau a pris son envol et atteint des sphères culinaires que lui-même n’a jamais cherché à atteindre, ce n’est pas pour autant que le Café Laurent était resté figé dans le temps. «On a toujours cherché à avancer. Oui, la Meule était une pinte de village, avec des plats du jour, mais il y avait toujours un élément nouveau, comme quand Maria, mon épouse, est arrivée. Elle était la première Brésilienne à Chavornay ! Elle faisait de temps en temps des feijoadas, mais elle cuisinait surtout suisse. Elle s’est adaptée très vite aux clients et… les clients à elle ! » La rencontre de deux mondes et le symbole d’une évolution inéluctable et bien acceptée, malgré les changements.
«Quand j’étais le patron, on faisait un monde pas possible chaque dimanche de votations ou d’élections. Les gens venaient voter et montaient de dix mètres pour commenter les résultats ici… », explique Olivier. Bryan répond : «Mon premier dimanche de votations, j’ai servi un café… Les temps ont changé. »
Le nouveau patron ne compte pas ses heures, ni ses efforts (voilà trois étés qu’il gère également le restaurant de la piscine d’Orbe) et il n’hésite pas à surprendre ses clients… notamment en réduisant toujours un peu plus sa carte. «Je leur demande de me faire confiance et ils suivent ! Tenez, ce week-end, c’est la chasse. Le restaurant est déjà complet, mais je ne sais pas encore ce que je vais proposer. Je vais me décider au marché, le matin, en fonction des produits frais qui me seront proposés. Et ce, tous les jours de l’année. On revient à la cuisine à l’instinct, celle de nos grand-mères, qui préparent ce qu’elles trouvent au marché ». La recette surprend, et elle séduit une clientèle invitée à faire confiance. Avec bien sûr des classiques incontournables en cette période de chasse, comme la selle de chevreuil et le gibier à plumes.
Bryan Lauper, la cinquième génération
Le Café Laurent a été ouvert en 1886 par Charles Laurent. «Mais la maison existe depuis 1884», explique Olivier Lauper, qui a retrouvé des documents. Le café n’a jamais fermé ses portes depuis. Emile, fils de Charles, a assuré la succession, suppléé ensuite par sa femme Hélène. La famille Lauper a ensuite pris le relais, par alliance. Werner a continué l’aventure et Olivier a pris la tête de l’établissement en 1986… pile pour le centenaire! Et puis, en 2016, place à Bryan, lequel a renommé l’établissement pour la première fois de son histoire, en choisissant Le Petit Corbeau, un nom inspiré du gentilé des habitants de Chavornay
«Dans les années 70, une seule dame venait ici!»
Evidemment, Olivier Lauper a mille anecdotes sur ce lieu mythique de la restauration nord-vaudoise, lui qui en a été le patron de 1986 à 2016. Trente ans de service, donc, et des clients par milliers, tous avec leur surnom et leur «spécialité».
«Certains passaient leur journée ici. On pourrait passer la matinée à parler d’eux. Il y avait celui qui allait acheter ses quatre tommes en face. Il en mangeait une en sortant de la laiterie, l’autre sur le pas de la porte du bistrot et les deux dernières dans la foulée! Il y avait les insortables, les inrentrables… Si ces murs pouvaient parler, ils en auraient des choses à dire!», explique le «Moutze», avec une tendresse non dissimulée pour chacun de ces personnages qui, à leur manière, ont chacun écrit un bout de l’histoire du Café Laurent, tout au long de ces 135 années, essentiellement masculines… en tout cas au début!
«On appelait ça un bouchon, c’est à dire un endroit où on pouvait venir boire un verre, un débit de boissons en gros. Mon grand-père servait la goutte aux paysans… Quand j’étais gamin, dans les années 70, il n’y avait qu’une seule dame qui venait au café, c’était la Louise. L’endroit ne leur était pas interdit, c’était juste qu’elles ne venaient pas. Mais la Louise était là. Il y avait un jukebox, avec une chanson qui passait souvent quand elle était là, une sorte de valse. Au bout d’un moment, tellement on entendait cette musique, on criait la meule!» D’où le surnom «officiel» du Café Laurent… «Ensuite, un autre client utilisait souvent cette expression aussi et c’est resté», explique Olivier Lauper.
Une terrasse à venir à côté de la forge
Si le Petit Corbeau devient une adresse gastronomique réputée dans la région, l’absence de terrasse se fait sentir, surtout en période de Covid comme dernièrement. Bonne nouvelle, un espace extérieur tout neuf devrait arriver l’été prochain! «Oui, nous nous en réjouissons beaucoup. Notre terrasse sera à côté de l’ancienne forge, ce qui me donne déjà des idées de synergies!», explique Bryan Lauper, jamais à court de projets nouveaux et de bonnes idées. «On pourrait très bien imaginer des soirées à thème ou des repas avec des conférences sur le travail du forgeron… Il y a plein de choses à faire ici.»