Yverdon-les-Bains – Y aura-t-il vraiment une garderie à Y-Parc? C’est toute la question, puisque les deux projets prévus au 4e étage d’Explorit semblent avoir été balayés, faute de financement solide.
«Bon, il n’y a pas grand-chose pour l’instant, l’espace est brut», prévient Jeanne Burdet, le souffle court après avoir grimpé jusqu’au 4e étage du nouveau centre de loisirs et d’affaires Explorit, à Y-Parc. Ouvrant fièrement la porte de ce qu’elle envisage être sa future garderie, elle réalise immédiatement que quelque chose cloche: «Mais? C’est bizarre… Pourquoi est-ce qu’ils font des travaux ici?, s’inquiète l’habitante de L’Auberson. À peine le seuil de la porte franchi, la Nord-Vaudoise ne peut s’empêcher d’inspecter les lieux. Un regard à gauche, et elle aperçoit un poste de musique qui distille des sons à travers la pièce vide. Un coup d’œil à droite, et elle voit des rails fixés au sol, trahissant l’installation prochaine de parois et de portes au centre du local. Et, en se dirigeant vers le fond de la salle, elle observe un homme au téléphone. Non, là c’est très clair, il se trame quelque chose…. «Il ne devrait rien y avoir. Il faut que je me renseigne, j’ai peur qu’ils me la fassent à l’envers là…», lâche Jeanne Burdet qui se laisse soudainement gagner par la peur, l’incompréhension et un brin de colère en voyant des ouvriers à pied d’œuvre. Elle sent que son rêve est en train de lui glisser entre les doigts…
C’est là, dans le bâtiment flambant neuf du Parc scientifique et technologique d’Yverdon que Jeanne Burdet comptait investir ses économies. Mais derrière ces murs se joue une réalité moins reluisante que les panneaux dorés qui habillent la façade: la loi du marché. En effet, dès la conception d’Explorit, Jean Christophe Gostanian, président directeur général, a cherché des entreprises pour occuper les locaux. Et il a tout de suite pensé à intégrer une garderie dans les plans. C’est d’ailleurs pour respecter les besoins de cette branche qu’une terrasse a été érigée au 4e étage. à l’origine, l’exploitant retenu n’était autre que la chaîne de garderies suisse Pop e poppa. Mais le Covid est passé par là et la société a tiré un trait sur Y-Parc. Puis, Jeanne Burdet est arrivée. «Je voulais me lancer et donc j’ai commencé par regarder où est-ce qu’il y avait un manque de garderies à Yverdon, et j’ai identifié Y-Parc. J’ai appelé pour savoir s’il y avait des locaux disponibles et c’est là qu’ils m’ont parlé du 4e étage d’Explorit. Ils m’ont dit que Pop e poppa avait renoncé à venir», explique l’éducatrice de la petite enfance qui n’a pas encore signé de bail.
Elle s’est donc rapidement mise au boulot pour monter son projet. «J’ai un business plan solide, fait par une fiduciaire et vérifié par un expert cantonal, assure celle qui espère accueillir quotidiennement 44 enfants. D’ailleurs, j’ai déjà une dizaine de demandes!» Mais au-delà des chiffres inscrits sur un budget, fallait-il encore disposer de quelques zéros sur un compte en banque. «Explorit loue ses locaux bruts, donc juste avec un sol et des murs en béton. Tout l’aménagement est à la charge du locataire, poursuit-elle. Je peux emprunter 250 000 francs pour le démarrage, mais il me manque encore 500 000 francs pour finir les travaux…» Aurait-elle vu trop grand trop vite? Non, car son projet tenait la route si elle pouvait utiliser l’option «tout compris» proposée par le bailleur, c’est-à-dire qu’il réalisait les aménagements à ses frais avant de reporter les coûts mensuellement au locataire. Une alternative qui n’a finalement pas pu se faire, car Explorit «demandait des garanties que je ne pouvais pas fournir».
Jeanne Burdet a donc pris son bâton de pèlerin pour taper aux portes de la Commune, des clubs services et des entreprises locales, en vain. «On va encore essayer les fondations et peut-être un crowdfunding», confie Jeanne Burdet, qui songe en parallèle à créer une association pour faciliter la recherche de fonds. Avant de lâcher: «Je crois en mon projet, mais je n’en peux plus de ces claquages de portes au nez!»
Surtout que le propriétaire des lieux n’est visiblement pas du genre à attendre plus longtemps. Certains disent qu’il prévoit d’y installer des bureaux, ce que nie Explorit. «Apparemment, le porteur du projet (ndlr: Jeanne) s’est rendu compte que le nombre de demandes était insuffisant pour que son concept soit viable, explique Annick Boesiger, responsable de la communication d’Explorit. Là, il y a de nouvelles demandes. Le projet de crèche n’est pas abandonné, mais il pourrait être repris par d’autres privés.»
Le pressentiment de Jeanne était donc fondé: il semblerait qu’Explorit soit passé à autre chose. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir cru en Jeanne, puisque Jean Christophe Gostanian a lui-même appelé la Ville pour appuyer sa demande, en vain.
La déclaration d’Explorit complète celle faite par le syndic Jean-Daniel Carrard (PLR) durant le débat organisé par La Région: «Notre collègue municipal (ndlr: Jean-Claude Ruchet) vient de refuser d’entrer en matière sur des places de crèche à Y-Parc. J’ai donc eu les promoteurs en question au téléphone qui étaient tout retournés qu’on puisse refuser des places de crèche. Et effectivement, je trouve qu’il y a un besoin et on devrait peut-être reconsidérer la question.» Contacté mardi, l’édile socialiste pointé du doigt a répondu brièvement: «Il y a des discussions en cours. Je ne vais pas en dire plus.» Aucune décision définitive ne semble avoir été prise. Mais, d’après certains, la Ville préférerait soutenir un autre projet: la garderie de l’hôpital d’Yverdon qui, elle, n’est pas prévue avant 2025.
Quel est le rôle de la Ville dans une crèche privée?
Pointée du doigt par Jeanne Burdet et par Jean Christophe Gostanian, la Ville d’Yverdon semble être au cœur du naufrage de la crèche à Explorit. Mais la réalité n’est pas aussi évidente. Si le Jecos a entendu parler d’un projet privé à Y-Parc, il ne lui appartient pas d’orienter le choix de la structure. En revanche, l’option retenue influence la suite. «C’est très compliqué dès qu’une structure ferme, c’est pourquoi on doit les ancrer dans une certaine pérennité», assure le chef de service du Jecos, Pierre-André Junod Pour cela, ce sont les 14 communes du Réseau d’accueil de jour des enfants d’Yverdon et environs (RéAjy) qui s’engagent à couvrir le déficit des structures du réseau. Et pour les crèches d’entreprises, ce sont les sociétés partenaires. Les garderies privés n’ont pas ces garanties, mais profitent par contre de plus de flexibilité et de liberté.
«La Ville n’a jamais subventionné de structure privée. Il faut dire que le risque en faisant cela est qu’ensuite d’autres viennent demander des aides», relève Pierre-André Junod. Il s’agit là d’un choix politique, qui peut s’expliquer par le fait que le subventionnement se fait par voie de couverture de déficit. Mais pour pouvoir bénéficier de cet appui, il y a des critères à remplir. Tout d’abord, la structure doit faire partie du RéAjy. Pour rejoindre ce réseau, la crèche doit être une structure à but non-lucratif et le financement de la couverture du déficit doit être accepté par les autorités communales. Cette reconnaissance permet de bénéficier des subventions cantonales. Pour les crèches d’entreprises, elles doivent aussi être à but non-lucratif et le déficit doit être couvert par les partenaires.» Pourquoi? Afin de limiter les risques pour les collectivités. «En intégrant le réseau, la crèche doit adopter le règlement du RéAjy et le barème tarifaire, qui est calculé en fonction du salaire des parents et au maximum au prix de revient, note-t-il. Les personnes qui ont des revenus bas ne permettront pas à l’institution de couvrir ses frais et il y aura de toute façon un déficit que la Commune supportera. C’est pour cela qu’il faut qu’il y ait une transparence totale des comptes.»
Pour le cas d’Explorit, Pierre-André Junod considère que la crèche d’entreprise serait la meilleure solution. «Elle pourrait bénéficier d’une subvention cantonale de 28% de la masse salariale pour tout le personnel éducatif, conclut-il. Là, on en est aux discussions exploratoires mais si, à la fin, il y a un financement communal, ce sera le résultat d’un choix politique.»
«Ce serait une belle revanche pour les enfants polyhandicapés»
Aux oubliettes le projet de Jeanne Burdet? Surtout pas, car rien n’est encore acté. Et la Nord-Vaudoise espère toujours récolter des fonds, ce d’autant plus qu’elle a encore une carte à jouer: celle de Murielle Sibille, assistante socio-éducative (en photo). Cette dernière a imaginé un projet pilote: intégrer des enfants polyhandicapés à la garderie classique. «Cela se fait déjà, mais en général, qu’avec des cas légers, si on peut dire. Les crèches n’ont pas les moyens d’accueillir des handicaps lourds, car ils sont quasi tous en fauteuil, ils doivent régulièrement suivre des thérapies et sont alimentés par sonde», explique la Rolloise, qui considère que son projet est en parfaite symbiose avec Explorit, puisqu’à l’étage au-dessus se trouve Medicit-Y, le nouveau centre dédié à l’enfance et aux familles. «C’est idéal! Les parents sont rassurés de savoir que leurs enfants sont encadrés par des personnes formées au handicap et qu’il y a un pôle pédiatrique dans le même bâtiment. En plus, cela leur évite de courir d’un rendez-vous médical à un autre, car leurs enfants pourraient être suivis à l’étage, souligne-t-elle. Je vous assure que les familles souffrent de ces situations.» Murielle Sibille précise que le Canton aide les parents à faire garder leur enfant au moment de la scolarité, mais il n’existe que peu d’alternatives de garde pour la classe des 0 à 4 ans. «C’est le parcours du combattant pour trouver une place en garderie pour les parents, note-t-elle. Jeanne a accepté de me céder près de 10% de sa capacité d’accueil, soit cinq places par jour. C’est énorme! Cela pourrait aider une dizaine de familles.»
Comme Jeanne, la Rolloise a, elle aussi, demandé du soutien, sauf qu’avec elle, les portes s’ouvrent. «Maintenant, on va essayer de jouer sur la corde sensible pour trouver des fonds pour la garderie, avance, convaincue, Murielle Sibille, qui ne peut pas réaliser son projet s’il n’y a pas de crèche. Ce serait une belle revanche que les enfants polyhandicapés permettent de concrétiser un projet pour les enfants ordinaires.»