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Baulmes ouvre les portes de ses forêts

29 octobre 2020

L’obtention du Prix Binding 2015 pour la forêt a permis à la Commune d’investir dans la conservation, la connaissance et la promotion des arbres qui peuplent son domaine.

«Je suis né en même temps que le canton de Vaud. Je témoigne du respect et de l’attention qui ont été portés aux beaux et vieux arbres des forêts de Baulmes par des générations successives de responsables des forêts. Aujourd’hui, vous venez sous mes branches pour conclure cinq années de projet. J’en suis heureux, je vous félicite.» C’est par ces mots que le chêne président a accueilli les visiteurs, du haut de ses trente-cinq mètres, par la voix de Pierre-François Raymond, ancien inspecteur des forêts de l’arrondissement. Vieux de deux siècles, il a pu s’épanouir sereinement grâce à la protection qui lui a été accordée par la Commune de Baulmes. C’est cette gestion efficace et intégrée des forêts qui avait valu aux autorités baulméranes de recevoir la somme de 200 000 francs de la Fondation Sophie et Karl Binding, le prix suisse pour l’environnement le mieux doté.

Malgré la pluie diluvienne, le moral était au beau fixe. Les acteurs-clés de cette collaboration se sont réunis lundi pour faire le tour des projets réalisés, tous en relation avec le thème des vieux arbres, piliers du maintien de la biodiversité puisqu’ils abritent une faune et une flore très variées. Outre le recensement de plus d’un millier d’arbres habitats, qui a eu un retentissement sur le plan national, cinquante arbres remarquables ont été répertoriés sur une carte interactive à disposition du public. Autre action, une chênaie de plus d’un hectare a été créée selon des procédés innovants. Pour Pierre-François Raymond: «La forêt doit être riche et mélangée. Plus ça ressemble à un fouillis, plus c’est favorable à la nature.» Enfin, trois sentiers sont maintenant à disposition des promeneurs dans une action de sensibilisation à l’importance des très vieux arbres: le sentier des Géants qui existe depuis 2015 déjà, le sentier Sepey inauguré cette année et le sentier Feurtille, un projet Handicap et Nature dont la construction vient de débuter. Julien Cuérel, syndic de la Commune, tient à garantir l’accès à la forêt pour tous: «En chaise roulante, il est très difficile de se rendre sur la plupart des sentiers. Je veux que ce projet puisse également rassembler les habitants de Baulmes sous la forme d’ateliers participatifs. Il nous faut encore réunir 400 000 francs mais on a bon espoir.» Cette passerelle en bois a l’avantage de ne pas impacter la nature. Longue de 1,2 km, elle sera associée à des postes d’expérimentation sensorielle.

Si la forêt de Baulmes compte aujourd’hui un nombre exceptionnel de très vieux et gros arbres – plus de 7000, une situation exemplaire en Suisse –, Julien Cuérel tient à relever le travail de ses prédécesseurs: «Ces arbres sont avant tout les témoins d’un développement durable entrepris depuis de nombreuses années. Il ne faut pas oublier tout ceux qui ont tant œuvré avant nous.»

 

«Tout le monde aime la forêt, mais a des attentes différentes!»

 

Les projets menés ont ravivé les nombreuses tensions entre les utilisateurs de la forêt : bûcherons, promeneurs, ornithologues, politiques, tous ont leur mot à dire.
Dénonciation par des ornithologues de la politique forestière de Baulmes, vandalisation du sapin président l’année dernière, autant d’actions qui mettent en lumière des sensibilités exacerbées lorsque l’on touche aux forêts. Un problème que n’a pas hésité à soulever le syndic baulméran Julien Cuérel lors de l’état des lieux: «Les politiques se sont rendu compte que tout le monde aime la forêt, mais tout le monde a des attentes différentes! Les bûcherons veulent couper du bois, les ornithologues n’avoir la forêt que pour eux, les vététistes souhaitent des sentiers pour pratiquer leur sport, les promeneurs n’aiment pas voir des branches qui traînent, toutes ces exigences sont compliquées à gérer. » Pour Joël Delacrétaz, garde-forestier communal, il s’agit aussi parfois de jalousies: «On a braqué un projecteur sur Baulmes et ça n’a pas plu à tout le monde. Tout au long de ces cinq années, pour chaque action entreprise, on a essuyé de nombreuses critiques.»

Jan Schudel, chef des domaines Environnement et Social à la Fondation Binding relève, quant à lui, la difficile conciliation entre production de bois et biodiversité: «La société a des exigences diverses envers la forêt. Il faut utiliser le bois pour la production d’une énergie renouvelable tout en protégeant la biodiversité.» Objectifs contradictoires? Pour Julien Cuérel, il y a clairement conflit: «On veut promouvoir le chauffage au bois, la filière du bois au niveau de la construction mais on nous demande aussi de conserver des arbres habitats. Il faut savoir que seules certaines essences peuvent approvisionner les centrales de chauffage à distance. Sur notre territoire, on peut couper environ 6000 m3 mais seulement un tiers de ce bois peut être brûlé, le reste doit être importé des communes voisines. Comment ferons-nous si ces installations se multiplient? De toute façon il faut que ce soit du circuit court, sinon ce n’est pas rentable.» Avec une demande toujours croissante en bois-énergie, l’avenir des pratiques sylvicoles risque donc bien de s’apparenter à un difficile exercice d’équilibriste.

Natasha Hathaway