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Bernard Campiche revit
Bernard Campiche. © Michel Duperrex

Bernard Campiche revit

11 février 2021

L’éditeur a quitté Orbe au cœur de l’automne dernier et s’est installé sur le Balcon du Jura. Un changement qui lui donne du tonus.

«J’ai mes stocks ici depuis vingt-cinq ans et les Campiche sont originaires de Sainte-Croix. Mon père a enseigné ici.» Lorsqu’on interroge Bernard Campiche sur les raisons de son déménagement, il répond comme si, pour lui, c’était une évidence. Et c’est vrai qu’on l’a connu moins enthousiaste, pour ne pas dire ombrageux. Et dire qu’on craignait, au moment de le contacter, que la pandémie et ses conséquences n’aient sapé son moral… En fait, il revit.

Pourquoi a-t-il quitté Orbe et sa maison de la Grand-Rue? «C’était trop grand. Il fallait refaire le toit et les volets… Et puis il y avait des années que j’avais envie de venir ici», explique l’éditeur de nombreux écrivains romands.

Et de révéler la raison qui a fait office de déclic: «Je suis resté à Orbe pour François, mon fils, qui aura 25 ans cette année. Il a pris son envol. Je suis très content, parce que pour moi, c’est un renouveau total.» Et de montrer que son installation est pratiquement achevée, avec la création d’une chatière qui permet désormais à «Tallin» d’aller et venir à sa guise.

Certes, il n’a pas encore fini de vider sa maison d’Orbe, où il a vécu, et travaillé, durant 22 ans, mais il est surtout heureux d’avoir trouvé à Sainte-Croix une atmosphère vivifiante. «Je suis beaucoup mieux, c’est évident!», assène-t-il avec un large sourire. Non seulement il n’est pas arrivé sur une terre inconnue, mais il y a été accueilli par l’un de ses auteurs fétiches, Michel Bühler: «Nous avons passé le 31 décembre ensemble. C’était une belle soirée!»

S’il n’est pas encore question de retraite, Bernard Campiche a engagé une véritable décroissance, passant d’une maison de huit pièces à un trois pièces. Il a aménagé la plus belle, et la plus lumineuse, en bureau. C’est là, au milieu de bibliothèques où figure une bonne partie des 400 livres publiés à ce jour, qu’il passe le plus clair de son temps, en particulier à lire et relire les manuscrits qui lui sont proposés.

Car Bernard Campiche est un éditeur au sens authentique du terme. Il lit, conseille, suggère des modifications et compléments, en vrai partenaire de l’auteur. à l’instar du rayon de soleil qui éclaire la pièce depuis le haut du Mont-de-Baulmes, le nouveau Sainte-Crix rayonne.

Et pourtant, tout comme de nombreux indépendants, il vit les affres de la pandémie et de son lot de restrictions: «Le Canton de Vaud a exclu la vente de livres de la culture. à part les APG (assurance perte de gain), je n’ai rien touché, aucune aide.»

De quoi le décourager? «Les ventes avaient dégringolé en 2019, avant le Covid. J’ai touché le fond, mais aujourd’hui, ça remonte», lance-t-il manifestement ragaillardi.

Alors qu’il s’apprête à fêter son 65e anniversaire, songe-t-il à remettre sa petite entreprise? «J’ai eu des contacts avec une personne intéressée, mais cela ne s’est pas concrétisé. Il n’y a pas d’urgence. J’éprouve beaucoup de plaisir dans mon travail. Mais je n’exclus bien évidemment pas l’hypothèse de transmettre les éditions», ajoute-t-il.

à sa petite échelle, Bernard Campiche est devenu un éditeur reconnu et respecté. Il s’était lancé alors qu’il était domicilié à Yvonand, s’est beaucoup développé durant l’étape urbigène, marquée par le décès de sa fille, au terme d’un terrible combat contre la maladie.

Face à l’adversité, l’éditeur a souvent accusé le coup, mais a toujours rebondi. Et lorsqu’on se penche sur son parcours, on réalise à quel point il a été l’un des révélateurs de la littérature romande.

Bon an, mal an, Bernard Campiche propose quatre livres au printemps et quatre en automne. La première «vague» coïncide bien évidemment avec le Salon du livre. «J’ai pris le risque de ne pas m’y inscrire», souligne-t-il. à raison, puisque la direction de la manifestation genevoise a annoncé mardi dernier son annulation.

Cela ne change en rien son programme. Les lecteurs assidus découvriront ainsi dans quelques semaines Lutter avec l’ange, un récit de Laurence Verrey, «une poétesse majeure de ce pays», précise l’éditeur. Un livre de philosophie, du journaliste Jean-Christophe Aeschlimann, une des bonnes plumes de ce coin de pays, est aussi au programme.

Autre journaliste – il travaille pour le Bureau Corthésy et TeleBielingue à Bienne – et auteur confirmé, Thierry Luterbacher a confié à son éditeur le soin de publier Illégaliste, un roman dont la trame est alimentée par les expériences et le vécu de l’auteur. Des extraits de carnets de Catherine Fuchs, fille du théologien Eric Fuchs, viennent compléter cette belle palette.

 

Le souvenir d’une belle relation avec Anne Cuneo

 

Anne Cuneo a été des années durant la locomotive de Campiche éditeur. Son décès, en 2015, a été un coup dur. «Avec Anne, c’était très spécial. Je pouvais m’appuyer sur elle et elle sur moi. Le problème a été la coupure avec la France. Car ici, elle cartonnait. Le problème en France, c’est qu’ils veulent des contrats d’exclusivité.»

Journaliste de télévision – elle a notamment travaillé au Téléjournal alors que l’émission était centralisée à Zurich –, auteur de pièces de théâtre et de films, Anne Cuneo a écrit de nombreux livres à succès, souvent inspirés par ses expériences de vie, lorsqu’ils ne s’approchaient pas de l’autobiographie.

Bernard Campiche a même publié le tout premier manuscrit de l’auteure, qu’aucun éditeur parisien n’avait voulu: «Anne me proposait des pièces de théâtre. Je l’ai poussée à écrire des romans.»

Isidore Raposo