Laura Burkhalter (32 ans) est la patronne du chantier naval d’Yverdon, légué par son père il y a quatre ans. Rencontre avec une des rares femmes du milieu.
Quatre ans après la disparition de Jean-François Burkhalter, plus connu sous le nom de «Bouboule», sa fille Laura a eu la responsabilité de faire vivre son héritage, le chantier naval qu’il a fondé en 1970. Une place loin d’être évidente à occuper dans la foulée d’un personnage aussi emblématique qu’a pu l’être son père, surtout pour une femme dans ce milieu majoritairement masculin.
Mais à 28 ans, il y a quatre ans donc, la nouvelle capitaine Laura Burkhalter a repris la barre d’une main de maître avec suffisamment de finesse pour conserver l’ambiance du lieu dans lequel elle a grandi, puis fait son apprentissage, entre coques et mâts de bateaux. Un lieu de travail mais aussi de rencontre, où la convivialité est une valeur importante, au même titre que la satisfaction du travail bien fait.
Car si le chantier naval est avant tout la définition de ce que l’on s’imagine d’un chantier, rempli de barques à retaper et autres coques à peindre, c’est aussi un lieu chaleureux, où les clients sont finalement plutôt des amis. «C’est le bistrot du coin, sourit Laura Burkhalter, le chantier est plus une entreprise de copains et j’ai voulu garder cet esprit, à la bonne franquette.»
Lorsque «Bouboule» est parti, en 2016, Laura Burkhalter n’a pas hésité à devenir la cheffe de l’entreprise familiale et capitaine du bateau, en quelque sorte. «J’ai un peu repris du jour au lendemain. Ça s’est fait naturellement. C’était la suite logique, mais je n’y pensais pas auparavant», ajoute la jeune femme qui n’a plus tout le loisir de mettre la main à la pâte. «Je fais beaucoup de bureau maintenant, c’est compliqué d’aller sur le chantier, même s’il est juste de l’autre côté de la porte. Mais ça me manque, c’est un super beau métier, on touche à tout», avoue l’amatrice de bateaux à voile.
Si elle peut dorénavant collaborer avec les différents acteurs du domaine naval, cela n’a pas forcément été simple les premiers temps. Même si de plus en plus d’apprenties féminines commencent la formation de constructrice, ce n’était pas le cas lorsque Laura Burkhalter a repris le chantier de son père. «Ce n’était pas évident, certains ne croyaient pas en moi et j’ai eu droit à pas mal de remarques désobligeantes.» Surtout après le passage d’un personnage tel que Jean-François Burkhalter, connu de tous. Laura Burkhalter déplore: «Par exemple, il y a eu des articles de presse pour dire que mon père était décédé. Mais aucun pour parler de ma reprise.»
Mais la patronne yverdonnoise a rapidement balayé les critiques et apporté sa patte, un processus d’ailleurs déjà entamé lorsque son père était encore là: «J’ai modifié des choses, restructuré, ajouté des mesures de protection, c’était quand même trop à la bonne franquette (rires)! J’ai gardé l’esprit central mais j’y ai ajouté ma touche et mon père était content. En plus de cela, les femmes, nous sommes quand même plus minutieuses!» Car si elle apprécie cette ambiance conviviale, elle est avant tout là pour fournir du travail de qualité, jusque dans le détail.
L’entreprise vogue en pleine confiance en sa nouvelle capitaine, qui baigne dedans depuis toujours. «Tous les copains de mon père continuent à venir. Au Noël du chantier, nous sommes généralement 60 au lieu de l’équipe de quatre! On est connus pour savoir faire des fêtes ici», sourit-elle.
Mais cette année, les festivités seront forcément moins folles, même si le chantier naval fêtait ses 50 ans cette année. Il faudra attendre 2021 pour trinquer. Enfin…
Constructeur de bateau, un métier qui se perd
Le métier de constructeur de bateau, pas des plus communs, a évolué avec les nouvelles technologies. Pour l’employé et les deux apprentis du chantier naval d’Yverdon, la construction reste une maigre activité de ce que fait l’équipe. «On fait peu de construction, cela coûte trop cher. On fait plus de l’entretien, des réparations, de la peinture. Il faut aussi se diversifier, surtout pendant l’hiver. Là par exemple, nous travaillons sur des tubes de canalisations», précise Laura Burkhalter.
Cette tendance ne vaut pas uniquement pour le chantier naval Burkhalter: «La construction va se perdre de plus en plus. En plus du coût, les gens pratiquent beaucoup plus d’activités diversifiées.»
Mais, heureusement, l’esprit amical perdure entre les différents chantiers: «On se connaît tous! Il n’y a pas vraiment de concurrence. On s’appelle entre nous pour des jobs ou pour se demander conseil. Il faut qu’on travaille ensemble», assure Laura Burkhalter, une des rares femmes du milieu.