Logo
«Cette solution n’en est pas une»
© Michel Duperrex

«Cette solution n’en est pas une»

9 septembre 2021

Céline Bellia et Christopher Boerger se battent au quotidien pour que leur fils Léon puisse suivre une scolarité normale. Un combat pas toujours simple.

Léon a 7 ans et, pour lui aussi, c’est la rentrée. Le petit Yverdonnois vient d’entrer en 3P, est plein d’énergie, n’aime pas toujours faire ses devoirs, et aime bien regarder la télévision, ce qu’il peut moins faire depuis que les cours ont repris. Bref, Léon vit une fin d’été ordinaire, comme la vivent des centaines de ses camarades depuis trois semaines. Sauf que la classe de Léon se situe tout en haut du Collège des Isles. Et que Léon est en chaise roulante.

«Dans un monde idéal, cela ne poserait aucun problème. Nous vivrions toutes et tous dans une société adaptée aux personnes en situation de handicap, comme mon fils, et, du coup, nous ne serions plus obligés d’utiliser cette expression. Sauf qu’elle existe encore bel et bien, parce que rien n’est simple. On doit se battre pour tout», explique Céline Bellia, maman de Léon. Le dernier combat de l’Yverdonnoise et de son mari Chris Boerger réside donc dans l’accessibilité de leur fils à l’étage du haut de son collège, construit en 2009.

«Nous avons tout de suite alerté les autorités sur le problème, vu qu’il n’y avait absolument rien de prévu dans le bâtiment! Il a été construit pour trois millions de francs et il ne possède aucun ascenseur, aucun élévateur, rien. Dans les premières discussions, on a même entendu que le plus simple serait de scolariser Léon à Lausanne dans une structure adaptée… J’ai cru tomber par terre. Ma femme et moi avons fait le choix de venir habiter à Yverdon, on s’y sent bien et notre ville nous dit qu’on ferait mieux de partir parce qu’on a un enfant handicapé…», soupire Chris Boerger, qui souligne que l’école, sa direction et tout son personnel font preuve d’énormément d’empathie et de bienveillance envers Léon. «A l’école, tout se passe très bien et nous sommes touchés par l’attitude des enseignants et de la direction. Le problème, c’est que nous ne sommes pas écoutés du côté de la Ville.»

Une solution a été mise en place au moyen d’une plateforme élévatrice et Léon, bien attaché, peut monter les étages avec l’aide d’une personne dédiée à sa sécurité. «Mais cette solution n’est pas inclusive, au contraire. Elle est très stigmatisante pour Léon et prétérite tous les autres élèves… vu qu’ils sont obligés d’attendre que Léon ait fini de monter pour pouvoir eux aussi rejoindre leur classe. Il doit partir avant les autres et on lui fait comprendre qu’il n’est pas un écolier comme les autres. Alors que tout aurait été réglé avec un ascenseur… Léon monte dedans, en cinq secondes il est dans sa classe, fini, terminé!»

Mais, évidemment, installer un ascenseur (pour autant que ce soit possible) coûte cher et Jean-Daniel Carrard, qui a repris le dossier au pied levé en tant que nouveau municipal des bâtiments, l’a bien spécifié lors du dernier Conseil communal, jeudi dernier.

«Il faut trouver une solution pour cette famille, j’en suis le premier convaincu. Ce qu’il faut intégrer à la discussion, c’est que rien n’a été prévu pour un ascenseur au moment de la construction du bâtiment. Techniquement, il serait possible d’en installer un, mais cela n’a rien d’évident, les travaux seraient lourds», explique le municipal.

La solution du monte escaliers coûte 19 000 francs, ainsi qu’il l’a détaillé lors du dernier Conseil communal. Une plateforme coûterait plus cher, sans même parler d’un ascenseur et de tous les travaux nécessaires.

«On ne parle que d’argent… La place pour un ascenseur, elle est là! Les plans du bâtiment le prévoyaient, d’ailleurs. Mardi, Léon n’a pas pu monter en classe, le monte escaliers est tombé en panne en plein milieu de la montée!», assure Chris Boerger, qui rappelle que l’école doit être ouverte à toutes et tous.

Jean-Daniel Carrard et Jean-Claude Ruchet, municipal des écoles, ont esquissé une autre solution jeudi: déménager les classes et, donc, installer celle de Léon au rez-de-chaussée. Une solution sans coût et rapide à mettre en place, selon la Municipalité. Mais qui ne convainc pas du tout la famille Boerger-Bellia, soutenue dans ce combat par Pro Infirmis, l’AVACAH et par Pascale Fischer, conseillère communale PS, qui a amené le sujet sur la place publique.

«Moi, je ne fais pas de politique. PLR, PS, je n’y connais rien et je ne tiens pas à connaître, précise Chris Boerger. Je veux juste que mon fils puisse aller à l’école. Déménager les classes trois semaines après la rentrée, c’est esquiver le problème, stigmatiser à nouveau Léon, parce que dans l’esprit des autres écoliers le déménagement sera de sa faute et c’est mettre sous le tapis à nouveau les aménagements indispensables dans ce collège. Puisqu’on parle de budget, un ascenseur est une solution pérenne, qui sera largement amortie avec les années. Ils avaient déjà choisi la solution d’inverser les classes pour un autre élève il y a quelques années et rien n’a changé depuis, c’est désolant.»

Un argument que Jean-Daniel Carrard peine à comprendre. «Cette famille n’a pas à s’excuser! Je suis convaincu que tous les autres élèves de ce collège vont comprendre que leur camarade sera mieux au rez-de-chaussée qu’à l’étage. Personne ne lui en voudra, même si cela occasionne un déménagement. Je ne vois vraiment pas en quoi inverser les classes pose problème.» Ce à quoi Céline Bellia et Chris Boerger répondent qu’ils ne se battent pas que pour Léon, mais pour l’accessibilité en général.

 

Cesla Amarelle: «Un monte escaliers n’est admis que si l’installation d’une plateforme élévatrice est impossible»

 

Céline Bellia et Chris Boerger ont également interpellé l’Etat au sujet de la situation au Collège des Isles et Cesla Amarelle leur a répondu en personne le 20 août, dans un courrier signé de sa main.

La conseillère d’Etat en charge du Département de la formation, de la jeunesse et de la culture (DFJC) indique aux deux parents que la «promotion d’une école davantage soucieuse d’équité, qui tienne compte des besoins particuliers de tous les élèves, est au cœur de l’action menée par le DFJC», tout en rappelant à juste titre que «les bâtiments scolaires sont de la compétence des autorités communales».

Cela dit, l’Etat de Vaud a des directives claires, qui stipulent que «l’ensemble des bâtiments publics, en particulier les bâtiments scolaires, doivent garantir un accès sans obstacles et sans marches». Ce qui n’était pas le cas au Collège des Isles et qui a donc entraîné l’installation du monte escaliers. Que pense le DFJC de cette solution, d’ailleurs?

«La mise en place d’un ascenseur n’étant pas toujours possible dans les bâtiments existants, les systèmes élévateurs constituent une solution acceptable», répond Cesla Amarelle, tout en soulignant qu’ils ne représentent pas la solution miracle, notamment parce qu’ils ne garantissent pas l’autonomie de la personne handicapée et ne garantissent pas une «égalité complète» entre les élèves.

«En principe, pour les bâtiments existants ou rénovés, un système élévateur de type monte escaliers n’est admis que si l’installation d’une plateforme élévatrice est impossible», écrit encore la conseillère d’Etat, et ces lignes apportent beaucoup d’espoir à la famille Boerger, qui voient en elles la clé pour ouvrir à Léon la porte d’un ascenseur au Collège des Isles.

«Plus globalement, c’est un combat du quotidien. Un exemple concret: il y a des toilettes pour personnes handicapées au rez-de-chaussée aux Isles, mais elles ne sont pas adaptées aux enfants! C’est le cas un peu partout, c’est vrai, mais c’est un peu plus compréhensible dans un restaurant, par exemple. Mais qu’on ne pense pas à faire des toilettes pour enfants dans une école, ça me dépasse… C’est du bon sens. Et de nouveau, mes remarques ne visent pas le personnel enseignant ou la direction de l’école, qui sont formidables avec Léon, mais bien les gens qui ont construit ce collège et ne veulent pas aujourd’hui trouver une solution qui permette à Léon de vivre une scolarité normale. On peut me dire que ce monte escaliers, c’est mieux que rien, qu’on se plaint pour rien alors que la Ville paie 19 000 francs pour Léon, mais j’invite tous ceux qui pensent ainsi à passer une journée avec Léon et à comprendre son quotidien. Le fait qu’il perde cinq minutes de récréation, c’est anecdotique, mais le fait qu’il ne soit pas un écolier comme les autres et que la Ville le lui fasse sentir, c’est déjà plus embêtant», s’insurge Céline Bellia.

Rédaction