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«Comme avec Tchernobyl, on se lance dans la 5G sans réfléchir»
Jacqueline Braillard a des choses à dire à l'Etat. © Michel Duperrex

«Comme avec Tchernobyl, on se lance dans la 5G sans réfléchir»

1 octobre 2020

Des habitants du Valentin grognent contre la mise en place d’un projet pilote au-dessus de leurs têtes. Pourtant, avant même de prendre les armes, ils semblent déjà abdiquer, convaincus que leurs inquiétudes ne seront pas entendues. Reportage au cœur du quartier.

 

«Eh Jean-Philippe, écoute ça: Ils vont mettre une des premières antennes 5G du canton ici!», lance Nathalie Carrard. Et son compagnon de bondir: «Ah ben tiens, en voilà encore une! ça ne m’étonne pas…» Ces Yverdonnois ne le savaient même pas, mais leur immeuble de la rue du Valentin 75 a été choisi par les opérateurs de téléphonie et le Canton pour tester le déploiement de la 5G. Au total, neuf sites ont été retenus par l’état pour participer à une phase pilote.

La Ville d’Yverdon-les-Bains, aussi prise de court par cette démarche, a demandé à ce que l’opérateur mette à l’enquête publique sa modification d’antenne. Ce qui n’a pas encore été fait.

Néanmoins, dans le quartier, la grogne commence à se faire ressentir. «D’abord c’était une petite antenne, après une moyenne, puis une grande et maintenant la 5G, râle Jean-Philippe Carrard, installé au 4e étage du Valentin 75. C’est vrai qu’on est aussi condamnés car on veut toujours plus de fonctionnalités, mais en contre-partie, c’est nous qui trinquons.» Et sa femme de rigoler: «On pourrait au moins avoir un petit quelque chose en échange!»

«Je m’inquiète parce que les informations sont floues sur le sujet. Je suis peut-être naïve mais je me dis qu’en vivant sous l’antenne on sera moins exposés», espère une mère de famille. «On ne sait pas trop ce qu’il va se passer, mais c’est vrai que ça nous fait un peu peur, surtout qu’il y a beaucoup d’enfants dans le quartier», explique une jeune maman qui habite en face du bâtiment ciblé.

Interpellée alors qu’elle sortait ses poubelles, sa voisine Eliane Denervaud s’est arrêtée pour donner son point de vue: «On est déjà entourés d’ondes. Franchement, je ne comprends plus ce monde… Faisons d’abord ce que l’on a à faire, comme empêcher la famine et sortir les enfants des ordures en Inde, avant de développer encore de nouvelles technologies!» Et d’ajouter: «J’ai 72 ans et je suis bien contente d’avoir mon âge parce qu’il va y avoir une catastrophe…»

Jacqueline Braillard partage ce sentiment de crainte vis-à-vis de cette course à l’évolution. «Non mais ça suffit maintenant!, peste-t-elle. Ils nous mettent tout le temps quelque chose en plus.»

Habitante du 7e étage du Valentin 75 depuis 1977, cette Yverdonnoise s’est battue dès l’arrivée de la première antenne au-dessus de sa cuisine. Tombée par hasard sur la mise à l’enquête du projet, en janvier 2005, elle s’est tout de suite activée pour s’opposer à ce que des opérateurs mettent les pieds au-dessus de sa tête. Elle a écrit lettre sur lettre aux autorités communales et cantonales. Aussi, elle a tapé à la porte de ses voisins pour lancer une pétition. Mais avec une petite dizaine de signatures, elle n’a pas eu le retour qu’elle escomptait… Et les oppositions ont été levées. «J’ai l’impression que les gens n’ont pas conscience du danger.»

Sa principale inquiétude concerne la santé des habitants. En rémission d’un cancer alors que Sunrise lorgnait sur le toit du Valentin 75, elle craignait que cette antenne ne vienne porter préjudice aux lourds traitements qu’elle avait dû subir. Même si quelque temps après son médecin lui a diagnostiqué un second cancer, elle ne prétend pas que c’est la faute aux ondes. «Mais je m’inquiète quand même vraiment pour les enfants. Qu’est-ce qu’on va leur donner comme monde?, s’interroge Jacqueline Braillard. La technologie, c’est fantastique. Je ne suis pas contre le progrès, mais on pourrait ralentir cette évolution.» Et de souligner: «J’ai l’impression qu’on ouvre la porte sur un monde dont on ignore encore tout. On se met à jouer aux apprentis sorciers sans s’intéresser aux gens. On dirait que tout ce qui compte c’est que ça rapporte, peu importe comment. Comme avec Tchernobyl, on se lance dans la 5G sans réfléchir aux conséquences.»

Si certains Yverdonnois ne semblaient pas vraiment intéressés par le débat, la plupart des personnes interrogées ont néanmoins assuré qu’elles s’opposeraient volontiers au projet… Du moins si quelqu’un lançait les hostilités. «Je ne me sens plus l’acouet», déclare Jacqueline Braillard. Les habitants du quartier trouveront-ils la force de reprendre le flambeau?

 

Un avis d’expert

 

Actif dans le domaine de la technologie mobile de 1995 à 2018 pour la société Qualcomm, leader mondial de la technologie et des composants radio pour la téléphonie mobile, Serge Willenegger a contribué aux transitions 3G, 4G et 5G. Toujours attentif à ce monde là, l’habitant d’Onnens répond à quelques questions.

Est-ce plus dangereux de vivre à côté ou en-dessous d’une antenne 5G?

Elles ont toutes une certaine directionnalité. Mais pour ma part, clairement, je préférerai être pile en-dessous que d’habiter le balcon juste en face. Après cela dépend de la puissance et de la configuration de l’antenne.

Ce projet pilote arrive-t-il trop tôt?

Le plus important pour les ondes, ce sont les fréquences et la puissance. Et on les utilise depuis 25 ans. Le test a donc déjà commencé.

Quid des études scientifiques qui évoquent des dangers pour la santé?

On peut toujours construire un scénario pour prouver ce que l’on veut. Cela fait 25 ans qu’on utilise des téléphones à haute densité mais il n’y a pas de surmortalité ni davantage de cas de cancer. On ne fait pas un saut dans l’inconnu, du moins pas comme celui effectué pour la 3G ou la 4G.

Comment vous croire?

J’étais au cœur de la stratégie marketing. On devait créer une sorte de nouveau cycle technologique pour vendre nos produits. On a appelé ça la 5G, mais dans les faits, ce serait plutôt la 4,9G qui va être installée en Suisse. L’élément nouveau avec la 5G, ce sont les ondes millimétriques mais cette «vraie 5G» n’est pas d’actualité en Suisse. Je crains que notre message commercial ne soit passé au-delà de nos espérances.

Quelle est l’utilité de la 5G exactement?

On a toujours besoin de plus d’antennes car on consomme deux fois plus de données chaque année. Cela ira un peu plus vite, mais la motivation des opérateurs est surtout de servir la demande. La 4G, et le développement qu’il y a eu autour, a changé le monde. La 5G accompagne cette croissance sans être une révolution du même ordre

Christelle Maillard