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Compte piraté, propos racistes et plainte déposée
La HEIG-VD a été accusée par un groupe d’étudiants anonymes d’avoir glissé sous le tapis une histoire de posts islamophobes et transphobes d’un chargé de cours sur les réseaux sociaux. La réalité est différente.

Compte piraté, propos racistes et plainte déposée

9 janvier 2025 | Textes: J.-Ph. Pressl-Wenger | Photos: Michel Duperrex-A
Edition N°3866

La HEIG-VD a été le théâtre d’une histoire peu commune révélée à La Région cette semaine par un groupe d’étudiants anonymes.

Les courriers anonymes demeurent assez rares. C’est pourtant une missive sans signature que la rédaction de La Région a reçue mardi. Dans l’enveloppe se trouvait une lettre de deux pages dactylographiée, rédigée pour le compte d’un groupe d’une cinquantaine d’étudiants de la Haute école d’ingénierie du canton de Vaud (HEIG-VD). En complément, deux pages recto-verso de captures d’écran liées au compte X (anciennement Twitter) d’un chargé de cours de la HEIG-VD y avait été ajoutées. Sur ces captures d’écran, on pouvait lire des commentaires islamophobes et transphobes dans de nombreuses réponses lors d’interactions sur le réseau social d’Elon Musk. Une partie des posts incriminés, qui s’étendent de juin 2023 à septembre 2024, tombent sous le coup de la norme pénale antiraciste suisse.

«Indignation et désarroi»

Dans la lettre qui accompagnait les images, les étudiants expriment «leur indignation et leur désarroi» face à la situation. La lettre parle de «passivité et d’inaction de la direction de la HEIG-VD». Toutefois, renseignements pris, les responsables de l’institution ont géré l’affaire de manière rapide et ont joué franc-jeu au moment de répondre à nos questions (lire encadré).

Afin de donner la parole à tous les acteurs de cette rocambolesque histoire, nous nous sommes également approchés du chargé de cours à qui les étudiants ont reproché d’avoir contrevenu à la norme pénale antiraciste via les réseaux sociaux. Il a pris le temps de répondre à nos questions en détail (lire ci-dessous) afin de clarifier les points qui auraient pu rester en suspens.


«Je n’ai que peu de mots de passe différents que j’utilise sur plusieurs comptes»

Confronté à une situation compliquée, l’enseignant incriminé par la lettre anonyme a accepté de livrer sa version de l’histoire.

Êtes-vous l’auteur des tweets discriminatoires qui ont été portés à notre connaissance?

Non.

Comment se sont-ils retrouvés sur votre compte?

Je suis un fan de hockey, et de NHL en particulier. Je me suis inscrit sur Twitter à l’époque (ndlr: en novembre 2022) pour suivre l’actualité des joueurs suisses en Amérique du Nord. Après quelque temps, j’ai remarqué que d’autres applications sportives me renseignaient mieux, et j’ai effacé Twitter de mon téléphone en 2023. Je ne savais pas que le compte continuerait à être actif. Actuellement, je n’ai qu’un seul compte actif et c’est sur LinkedIn.

Quand avez-vous remarqué que vous aviez été piraté?

Ma femme a également été hackée sur un autre réseau social. Et ma fille également sur son compte Roblox (jeu vidéo en ligne). Finalement j’ai aussi remarqué que certains de mes groupes sur Teams, que j’utilise pour mon travail d’enseignant, avaient également disparu.

Comment expliquez-vous cet acharnement numérique?

Je n’ai qu’un seul mot de passe que j’utilise pour beaucoup de mes comptes en ligne et il n’est pas très compliqué.

Qu’avez-vous entrepris ensuite?

J’ai tout d’abord changé mon mot de passe Twitter et j’ai fait le nécessaire pour vraiment effacer mon compte en septembre 2024. Au préalable, je m’étais renseigné auprès du Service informatique de la HEIG-VD pour leur expliquer la situation et leur demander conseil. J’ai ensuite déposé une plainte auprès de la police.

Comment avez-vous réagi en voyant les propos discriminatoires écrits en votre nom?

Je n’en ai vu qu’un seul lorsque j’ai tapé mon nom dans le moteur de recherche Google. Celui qui parle de la Cour européenne des droits de l’homme (ndlr: 12 juin 2024). Et il n’était pas discriminatoire. Je n’ai donc pas porté plus attention aux autres posts.

Et qu’attendez-vous de la plainte que vous avez déposée?

D’une part, la police m’a expliqué qu’il était très rare que l’on retrouve les auteurs de ce genre de piratage. D’autre part, on m’a posé la question de savoir si je voulais me diriger vers une procédure civile pour tenter de récupérer l’argent perdu dans le piratage du compte Roblox de ma fille. Nous y avons finalement renoncé.


Assez d’éléments pour ne pas donner suite

Comme de nombreuses entreprises, la HEIG-VD est doté d’un service dédié aux éventuelles plaintes liées à des comportements inadéquats. Que ce soient du harcèlement, un manque d’équité, d’égalité ou simplement un malaise ressenti dans certaines situations, les étudiantes et les étudiants  de l’école ont la possibilité de s’adresser à une collaboratrice qui protège leur anonymat. C’est par ce biais, au début du mois de  septembre dernier, que la direction a eu vent des propos discriminatoires sur le compte X du chargé de cours en question.

«Le lendemain de cette annonce, nous avons immédiatement pris contact avec le doyen concerné, soit le supérieur direct de l’enseignant incriminé par l’étudiant·e, détaille la directrice générale Ana Maria Nogareda. Nous avons, le soir même organisé une rencontre entre le doyen, le chargé de cours et la direction. C’est là que le collaborateur externe nous a expliqué que son compte, qu’il n’utilisait quasiment jamais, avait été piraté.» A la lumière des explications et des éléments présentés par l’enseignant, la direction a estimé avoir suffisamment d’informations pour ne pas donner de suite à cette affaire.

«Nous avons évidemment donné un retour à l’étudiant·e qui s’était manifesté·e anonymement le plus rapidement possible, ajoute la directrice générale de la HEIG-VD. Mais pour des raisons de protection de la vie privée de notre employé, nous n’avons pas pu transmettre toutes les informations que nous avions reçues.» La HEIG-VD ne nous a pas non plus transmis d’informations supplémentaires, ceci pour les mêmes raisons.


Pas besoin de porter plainte

En Suisse, la norme pénale antiraciste permet de poursuivre pénalement l’incitation à la haine raciale ou la discrimination raciale. Par extension, elle s’applique également aux différentes ethnies et aux religions. De plus, pas besoin de porter plainte si vous découvrez une infraction manifeste à cette norme, les infractions sont poursuivies d’office. «C’est tout à fait juste, confirme Marc Dumartheray, le commandant de Police Nord vaudois (PNV). Il y a par ailleurs plusieurs façons de signaler ce genre d’infractions: soit passer au poste de police, soit transmettre les preuves par mail à la police ou en s’adressant directement au Ministère public. Dans tous les cas de figure, l’infraction sera poursuivie et une procédure sera ouverte.»

D’autre part, si vous êtes victime d’un piratage de compte sur les réseaux sociaux, d’usurpation d’identité ou encore de toute autre infraction sur internet, La plainte peut être déposée à la police. Il faut toutefois penser à accumuler des preuves, que ce soit par des captures d’écran ou par d’autres moyens.