Cultivateur de sourires
6 septembre 2024 | Texte: Robin Badoux | Photo: Michel DuperrexEdition N°3783
Depuis plusieurs années, Fabrice Rodieux cultive la terre en pratiquant l’agriculture biologique. Un métier prenant et difficile dont les paradoxes et idées reçues nourrissent son autre activité d’humoriste et de stand-uppeur.
Les agriculteurs ont beaucoup fait parler d’eux ces derniers mois. Si certains clament leur colère face aux difficultés qui s’accumulent pour les métiers de la terre, d’autres préfèrent en rire. C’est cette approche, détournée et ludique, qu’a choisie Fabrice Rodieux, agriculteur bio à Valeyres-sous-Montagny avant tout, mais aussi stand-uppeur. Milieu dans lequel on le connaît sous le nom de Fabrice_bioo. Cela fait maintenant plusieurs années qu’il écume les salles de spectacle – il compte déjà plus de 50 scènes à son actif – et fait rire son public. « Le stand-up c’est un art oratoire à part entière, qui mélange improvisation et théâtre, où on interagit avec le public et où on est complètement libre de s’exprimer et de parler des paradoxes du quotidien » , présente-t-il.
Et des paradoxes, l’agriculteur en a connu dans son métier comme dans sa vie. Cela a commencé durant son enfance, qu’il a vécue dans le Lavaux. «Je ne suis pas fils d’agriculteurs, mais enfant j’allais tout le temps passer du temps à la ferme. Maintenant, le Lavaux s’est très urbanisé. Beaucoup de terrains agricoles ont été vendus. Mais j’ai tout de même voulu me lancer dans une carrière d’agriculteur. Mes parents voulaient que je parte sur un autre plan. A l’époque, j’étais plutôt d’accord, parce que dans les années 1990 le métier était déjà très difficile. Il l’est toujours aujourd’hui bien sûr. Au final, je me suis quand même lancé dans l’apprentissage, parce que c’était vraiment ce qui me passionnait. »
Son apprentissage, il le fera en partie dans le Nord vaudois, avec une année passée à apprendre le métier à Vuiteboeuf, et une autre à Corcelles-le-Jorat. Il complète ensuite ses études par une maturité professionnelle et un diplôme HES d’ingénieur agronome. « A la fin de mes études, je ne voulais toutefois pas être agronome, mais paysan. » Une occasion se présente alors pour louer une ferme dans le canton de Genève. Une expérience de deux ans qui ne lui laissera pas de très bons souvenirs. Par la suite, Fabrice Rodieux parvient à obtenir une ferme à Valeyres-sous-Montagny, où il décide de se lancer dans l’agriculture biologique. « C’est difficile de s’implanter quand on ne vient pas d’une famille d’agriculteurs. C’est assez fou d’avoir eu la chance d’acquérir un domaine. Je suis content ici à présent. J’adore la région. On a l’impression d’être loin de tout, mais on n’est qu’à cinq minutes de Chamard et à dix minutes d’une plage à Yverdon comme il n’en existe aucune dans l’Arc lémanique. »
Du paradis à la scène
Cela fait maintenant treize ans que Fabrice Rodieux fait tourner sa ferme biologique à Valeyres-sous-Montagny. Une affaire qui roule, non sans quelques difficultés. Parallèlement aux enjeux qui mettent sous pression les agriculteurs, il doit également faire face aux préjugés et idées reçues sur le bio. Sur son domaine, au volant de son tracteur – car il y a bien des tracteurs qui roulent à l’essence dans l’agriculture bio –, il a alors tout le temps pour réfléchir aux paradoxes de son métier et du quotidien. C’est ainsi que s’est développée l’envie de monter sur scène pour en parler. «J’en avais marre des clichés sur l’agriculture biologique. J’avais besoin de rire de tout ça. Car il y a aussi de la technique et des machines dans le bio. Mais le but n’est pas de tordre le cou aux idées reçues ou à qui que ce soit, mais de m’amuser des clichés. De les prendre avec humour. »
Ce goût de la scène lui est venu durant sa formation, où il faisait déjà partie d’une petite troupe de théâtre. «J’ai d’ailleurs failli m’orienter là-dedans après les études. Mais j’ai soudainement eu cette opportunité de louer une ferme sur Genève. »
L’envie de monter sur scène s’est ensuite développée grâce à une rencontre. Il y a deux ans, environ, il découvre en effet l’art du stand-up au Hessel Espace culturel à Orbe. Un art oratoire qu’il décide alors de maîtriser. « Après avoir passé quinze ans à cultiver la terre, j’avais envie de me tourner vers quelque chose d’autre que j’aime aussi. Ce qui est bien avec le stand-up, c’est qu’il s’adapte bien aux saisons agricoles et comme on est seul sur scène on n’a pas à s’adapter à la pression d’un groupe. »
Un stage en Belgique et quelques open mic à Lausanne lui permettent alors d’engranger de l’expérience et d’affirmer son style, très tourné vers le monde agricole. « Je faisais mes premiers sketches sur Pierre Rabhi, initiateur du mouvement Colibris, qui est un peu un gourou pour moi. Quand j’ai vu que ce n’était pas compris par tout le monde, j’étais un peu sous le choc (rires)! »
Dans ses spectacles, Fabrice Rodieux aime parler de l’actualité liée à son travail. Des vegans, de la révolte agricole, du bio. Des histoires souvent basées sur son vécu. «Le stand-up c’est avant tout la découverte d’une personne. Ses chaussures, ses angoisses, ses motivations. Le but premier est de faire rire, mais c’est également un moyen pour inviter à la réflexion. En deux phrases, on peut parler d’énormes enjeux. J’admire beaucoup l’humoriste finlandais Ismo, qui est un exemple de finesse et de pertinence. En 30 secondes, il arrive à faire passer des messages majeurs, mais aussi drôles et captivants. »
Un club pour faire rire
Depuis peu, Fabrice Rodieux a créé le Chti Comedy Club, dont le but est de faire monter sur scène des stand-uppeurs et stand-uppeuses, pros ou amateurs. Sept dates sont fixées jusqu’à la fin de l’année, dont la prochaine est agendée mardi prochain, le 10 septembre, au Hessel Espace culturel à Orbe, où Fabrice_bioo partagera un moment sur la scène avec d’autre humoristes comme Logïc, Sacha Roux ou Melanie-Story. Chaque intervention dure environ dix minutes. «C’est un format naturel et plein d’énergie idéal pour capter l’attention ! »
INFOS PRATIQUES
Le Chti Comedy Club
Spectacle de stand-up les mardis 10 et 24 septembre et le 8 octobre (20h-21h) au Hessel Espace culturel à Orbe.