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Dans l’univers des ambulanciers

4 mars 2015

Nord vaudois – Après la police et les urgences, La Région a passé 24 heures avec les collaborateurs du Centre de secours et d’urgences local.

Séverine et David au chevet d’un l’homme victime d’une mauvaise chute, dans la nuit froide de L’Auberson. © Nadine Jacquet

Séverine et David au chevet d’un l’homme victime d’une mauvaise chute, dans la nuit froide de L’Auberson.

Un bip sonore retentit dans le local du Centre de secours et d’urgences du Nord vaudois et de la Broye (CSU-nvb), situé à proximité des urgences de l’hôpital d’Yverdon-les-Bains. Séverine et David, les deux ambulanciers de service dans la Cité thermale en ce vendredi soir, jettent un rapide coup d’oeil au message envoyé sur leur téléphone par le 144. Il s’agit d’une intervention de type P1, qui signifie départ immédiat, dérogation aux règles de la circulation, feux bleus et sirènes. Le déplacement de ce véhicule de secours inscrit dans l’imaginaire collectif, en somme.

La partie arrière de l’ambulance contient un véritable arsenal médical. © Nadine Jacquet

La partie arrière de l’ambulance contient un véritable arsenal médical.

Séverine actionne les sirènes et slalome, par endroits, entre les voitures, dont certaines peinent à se mettre de côté. Les giratoires d’En Chamard et leurs doubles voies sont bientôt dans le rétroviseur. Place aux chaussées moins fréquentées du pied du Jura, avant la montée de Sainte-Croix. Les ceintures de sécurité démontrent toute leur utilité dans les virages en épingle vers la Mecque régionale des carnavals. Le brancard attend sagement, solidement arrimé au milieu de la cellule sanitaire dont les rangements latéraux regorgent d’appareils médicaux soigneusement rangés par catégories.

Le patient est amené à l’hôpital sainte-crix, où les médecins prennent le relais. © Nadine Jacquet

Le patient est amené à l’hôpital sainte-crix, où les médecins prennent le relais.

Contrairement à ce que l’on aurait pu croire, le futur patient n’a pas subi les dommages collatéraux de la fête sur le Balcon du Jura. Il s’agit d’un habitant de L’Auberson auteur d’une chute malencontreuse sur une plaque de glace, devant son garage. Selon les informations du service d’appels sanitaires urgents, il souffrirait d’une fracture à la jambe. Ces indications, souvent tirées des déclarations de proches non spécialisés et en proie à une vive émotion s’avèrent, certes, précieuses pour définir le contexte général de l’intervention. Elles ne prennent cependant pas en compte de nombreux paramètres auxquels ces professionnels de la santé sont confrontés sur place.

Patient calme et coopératif

La scène qui attend les ambulanciers à L’Auberson, le long de la Grand’Rue, à l’endroit indiqué par quelques personnes bravant les rafales de bise glaciale, ne trahit pas, contrairement à d’autres moments vécus durant ces 24 heures, d’agitation. Le blessé est allongé sur le bitume, emmitoufflé dans une couverture apportée par le voisin témoin du faux pas en promenant son chien. Il répond calmement aux questions des collaborateurs de la plaine dépêchés dans le Jura pour suppléer leurs collègues de Sainte-Croix alors appelés en renfort au Val-de-Travers.

«Nous allons immobiliser la jambe dans une athèle. Il y a quand même une déformation au niveau de la cheville», déclare Séverine. Les caprices d’éole ne facilitent pas le transfert sur le brancard. L’acheminement à l’hôpital de Sainte-Croix s’opère sans les feux ni les sirènes, le patient sous anti-douleurs semblant stable.

Après avoir passé le relais aux médecins de l’hôpital de Sainte-Croix, la descente du Balcon du Jura se profile. Une autre alerte prioritaire dicte à nouveau une cadence élevée. Les feux bleus se reflètent sur les panneaux de signalisation dans une Cité thermale progressivement désertée par les voitures. Au pied de l’immeuble, une odeur de brûlé trahit la forte mobilisation des pneus et des freins.

Le patient est couché, les yeux fermés, sur son canapé, à plusieurs rampes d’escaliers de là. Ses râles et sa tension corporelle trahissent une vive souffrance, tandis que deux collaborateurs du Service mobile d’urgence et de réanimation (SMUR) s’activent à son chevet, sous le regard inquiet de sa femme.

Travail d’équipe. Yvan, le technicien ambulancier, tient la perfusion, tandis que Fabrice et la collaboratrice du SMUR s’affairent en coulisses. © Nadine Jacquet

Travail d’équipe. Yvan, le technicien ambulancier, tient la perfusion, tandis que Fabrice et la collaboratrice du SMUR s’affairent en coulisses.

«Les douleurs abdominales et ses problèmes respiratoires sont deux critères d’engagement du SMUR», expliquera, plus tard, David. Les représentants de ce service sont, en effet, alertés lorsqu’il s’agit d’administrer certains médicaments ou de pratiquer une intubation, des compétences que n’ont pas les ambulanciers. Dans le cas précis, l’électrocardiogramme a, heureusement, permis d’écarter l’hypothèse de l’infarctus au profit de trois autres hypothèses: coliques, calculs rénaux et apendicite.

L’intervention suivante, un transfert hospitalier, est une bonne illustration des qualités psychologiques dont doivent faire preuve les membres du personnel du CSU-nvb. Khaled*, un Tunisien d’origine, son bras gauche scarifié enveloppé de bandages, a été admis à Saint-Loup la nuit précédente. Assis, le visage fermé, il accepte de répondre aux questions de David tandis que Séverine conduit l’ambulance à l’hôpital psychiatrique.

Une oreille attentive

Le brancard, disposé dans le hall d’entrée par Yvan, attend la patiente. © Nadine Jacquet

Le brancard, disposé dans le hall d’entrée par Yvan, attend la patiente.

En proie, selon ses dires, à des envies suicidaires, Khaled se plaint du mauvais traitement des gardiens et des policiers, qui seraient restés totalement indifférents à la situation de détresse dans laquelle il se trouvait. Il sera auditionné dans une salle de la structure hospitalière endormie en cette heure avancée de la nuit. Quelques instants plus tard, sur le chemin du QG des ambulanciers, David avoue être régulièrement confronté à ce type de cas de figure, impliquant ces requérants au destin compliqué et au récit dont il s’avère parfois difficile de démêler le vrai du faux.

Il est déjà presque minuit. Le temps a filé aussi rapidement que le véhicule sur l’asphalte de la plaine, à l’aller et au retour du Balcon du Jura. Une parfaite illustration du quotidien sur les chapeaux de roues d’un ambulancier, après tout? Pas tant que cela en fait.

«Mes amis croient que nous roulons toujours à grande vitesse, avec les sirènes, que nous ne voyons que des décapitations ou des blessures graves, mais c’est faux», précise Yvan, l’un des quatre collaborateurs, répartis en deux équipes de deux, du CSU-nvb engagés de 7h à 19h ce mardi.

Le trajet vers l’hôpital d’Yverdon-les-Bains se fait sous bonne garde. © Nadine Jacquet

Le trajet vers l’hôpital d’Yverdon-les-Bains se fait sous bonne garde.

Ce technicien ambulancier, un titre qu’il a obtenu après une année de formation, au Mont-sur-Lausanne, à l’Ecole supérieure d’ambulancier et soins d’urgence romande, accompagne Fabrice, l’ambulancier diplômé «leader» du binôme, dans un immeuble yverdonnois lors d’une urgence de type P2. Une dame âgée qui peine à respirer est au centre de l’attention. Sa fille n’est pas de trop pour la traduction. Les contrôles d’usage révèlent une tension et un rythme cardiaque élevés. «Elle est diabétique. Sa glycémie était de 5,7 ce matin», révèle l’infirmière du Centre médico-social. Elle s’avère trop basse à deux reprises sur l’appareil de Fabrice. Conformément au protocole, le SMUR doit être appelé en renfort pour lui administrer un médicament par voie orale.

La longue période creuse de l’après-midi a donné lieu à des exercices de formation. © Nadine Jacquet

La longue période creuse de l’après-midi a donné lieu à des exercices de formation.

La deuxième intervention de la journée amène Virginie, Jean- Charles et la première répondante vallorbière Stéphanie, en formation à Yverdon-les-Bains ce jour-là, dans un centre de l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM) pour une nouvelle urgence de priorité deux lors de laquelle l’appui du Service mobile d’urgence et de réanimation sera nécessaire.

Aussi de l’attente

L’après-midi permettra, quant à elle, de dévoiler une autre facette indissociable de la vie professionnelle d’un ambulancier: l’attente. Des discussions et des exercices à l’attention de l’hôte du jour l’agrémenteront avant le transfert d’un patient de Payerne à Saint-Loup.

Un an d’existence

Séverine questionne cette aînée pour identifier l’intensité de sa douleur. © Nadine Jacquet

Séverine questionne cette aînée pour identifier l’intensité de sa douleur.

«Aujourd’hui, nous avons environ 30% d’interventions en lien avec la traumatologie. Le 70% des cas restants concerne la maladie», explique Philippe Michel, le directeur du CSU-nvb, qui tient, par ailleurs, à relever la professionnalisation spectaculaire du métier d’ambulancier en vingt-cinq ans.

Le centre dont il est à la tête fonctionne depuis une année. Il dessert les sites des Etablissements hospitaliers du Nord vaudois, soit Yverdon-les-Bains, Saint-Loup, Orbe et la vallée de Joux, le Centre de soins et de santé communautaire du Balcon du Jura vaudois (CSSC), à Sainte-Croix, et l’Hôpital intercantonal de la Broye (HIB), basé à Payerne.

Au-delà de leur indéniable capacité à gérer le stress et le spectre d’une situation extrême -chacun a, malgré tout, son lot d’histoires marquantes à raconter- les quelques collaborateurs au service de cette vaste région que nous avons suivi -ils sont environ huitante en tout- ont, dans leurs bagages, une bonne dose d’empathie. L’entregent nécessaire à la transformation d’une intrusion brutale dans l’intimité des gens en souffrance, parfois paniqués, en un moment d’écoute et de partage indissociable des soins. Une bonne dose d’humanité, en somme.

Ludovic Pillonel