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De grandes tailles pour habiller des cœurs colossaux

2 décembre 2021

Séverine et Laurent Zwahlen vendent des habits XXL, mais la seule chose qu’ils ont de gigantesque est le cœur. De galères en aventures, le duo relève constamment de nouveaux défis pour ses clients, comme sortir sa propre collection en plein Covid. Rien ne les arrête depuis dix ans!

Combien de fois a-t-on entendu que les vendeurs mettent l’accent sur le service à la clientèle? Très souvent. Mais certainement jamais avec l’intensité de Séverine et Laurent Zwahlen. Sans en faire leur slogan, ils font pourtant tout pour leurs clients, et c’est un euphémisme. En fait, la vente de vêtements grande taille est presque devenue le défi accessoire de Séverine et Laurent Zwahlen, car leur véritable mission est de rendre de la dignité et de la confiance aux personnes en surpoids.

Plus que «simplement» mouiller la chemise, le duo sue, vit, pleure et se réjouit pour ses clients au quotidien et vice versa. D’ailleurs, toute la famille Zwahlen se prête au jeu, créant une sorte de téléréalité pour les quelque 45 000 personnes qui les suivent sur les réseaux sociaux! Chaque semaine, Séverine, Laurent et leurs enfants réalisent des shootings photos ou tournent des vidéos pour présenter des habits de la boutique. Ils en profitent pour partager également quelques aspects de leur vie avec leur communauté. «On est une petite série TV à nous tout seuls! Les clients ont l’impression de faire partie de nos vies, lâche, tout sourire, Séverine Zwahlen. Notre magasin, c’est notre petit cocon!»

Alors forcément, quand il y a un coup dur, la famille grandsonnoise est là aussi pour soutenir ses fidèles clients. Durant le confinement, elle a rassemblé ses proches pour appeler les quelque 10 000 personnes de leur fichier. Pour la fête des Mères, à défaut d’offrir une rose aux femmes dans la boutique comme à l’accoutumée, les gérants ont chargé les roses dans leur voiture et ont fait le tour de la région pour les déposer devant la porte de leurs clientes.
Si les Nord-Vaudois ont réussi à créer un lien solide avec leur communauté, c’est parce qu’ils s’en sont donné les moyens. Depuis dix ans, ils ne cessent d’ajouter de nouvelles pages à leur histoire commerciale. Pourtant, tout a démarré sur un coup de tête…

Mère au foyer depuis douze ans, l’ex-assistante dentaire a travaillé quelques mois pour un magasin de vêtements grande taille à Yverdon avant qu’il ne fasse faillite. C’est là qu’elle a décidé de se lancer à son compte. «J’allais souvent avec ma belle-maman faire des journées shopping, mais la plupart du temps je rentrais déçue parce qu’il n’y avait jamais rien qui m’allait! C’était terrible», raconte Séverine Zwahlen. Elle a alors convaincu son mari, pourtant assureur à l’époque, de mettre tous leurs œufs dans le même panier et de se lancer dans l’inconnu le plus total. «C’est clair que c’était un risque à 100%! On a tout misé là-dedans. On était complètement fous, mais on s’est dit que c’était le dernier moment pour démarrer ce genre de projet.»

Ils sont partis la fleur au fusil, sans avoir de formation dans la vente ni de contact dans le milieu. Ils n’avaient rien, sauf une immense envie de résoudre un problème pour les personnes en surpoids. «On voulait aussi proposer des collections plus colorées et jeunes que les traditionnels habits amples et foncés que l’on trouvait péniblement. Et surtout à des prix abordables», se rappelle Séverine Zwahlen. Et Laurent d’expliquer: «Alors un jour, j’ai pris mon sac à dos et je suis allé faire du porte-à-porte à Paris. On savait qu’il y avait des fournisseurs là-bas, mais on ne savait pas où… Tout le matin, je n’ai entendu que des non, personne ne m’a aidé, jusqu’à ce que je trouve le bon endroit.» Et voilà comment, en mars 2011, la boutique «Pour toi et moi» a ouvert ses portes.

Puis, en 2012, c’est le drame: «Un homme est venu pour trouver des habits, mais quand il a vu qu’il n’y avait rien pour les hommes, il s’est mis à pleurer, se souvient avec beaucoup d’émotion la gérante. C’était tellement triste parce qu’on voyait qu’il avait besoin de vêtements, mais je ne pouvais pas l’aider.» Cette histoire a fait bondir son époux qui a décidé de réagir. «On ne pouvait pas laisser ça, j’ai donc repris mon sac à dos et une trottinette pliable (j’ai appris de ma première expérience) et je suis parti aux Etats-Unis. Mais j’ai eu du mal à rencontrer des fournisseurs sur place, sans rendez-vous, détaille-t-il. Ensuite, j’ai eu des contacts à Londres, alors j’ai repris l’avion. Là-bas, c’était tout autre chose. Quand je suis arrivé à l’aéroport, un entrepreneur indien m’attendait avec la limousine! J’ai cru que j’étais dans un jeu, tellement j’ai été reçu comme une star. Ils m’ont même proposé des places pour Manchester United!»

Petit à petit, la boutique s’est étoffée, passant de 500 à 2500 vêtements en rayon. Partis avec un bail de six mois, les gérants ont désormais deux surfaces de vente au même endroit, et deux locaux de stockage. «C’est vraiment l’éclate maintenant parce que les gens s’entraident. Et quand il y a des couples, les hommes glissent de leur boutique à celle des dames en chaussettes! C’est la foire ici parfois», rigole Séverine.

 

Pas d’effets Covid?

 

La crise ne semble pas avoir freiné le couple Zwahlen: ils ont repris une deuxième surface commerciale et un second local de stockage, et lancé deux collections privées. «Il fallait qu’on passe un cap, alors on s’est lancés à fond, mais on a épuisé toutes nos réserves, avoue Laurent Zwahlen. Notre plus beau cadeau est d’être toujours là, alors que tant d’autres ont mis la clé sous la porte!» Et Séverine de conclure: «On a encore plein de projets… On est repartis pour dix ans!»

 

Le chiffre

 

10 000. Comme le nombre de noms figurant sur le fichier clients de la boutique yverdonnoise «Pour toi et moi».

 

Un pétage de plombs le 31 décembre qui a porté ses fruits

 

«Oui, les personnes en surpoids sont encore et toujours discriminées», assure Séverine Zwahlen.

Et cela vaut à plusieurs niveaux, y compris vestimentaire. «Les habits sont très chers en général, il y a peu de choix, ils ne sont pas toujours bien adaptés à nos formes. C’est pour cela qu’on voit parfois des gens avec des t-shirts trop courts ou des jeans troués.»
Malgré le large choix d’habits qu’elle propose, la patronne de la boutique a remarqué une grosse lacune. «J’ai pété un câble le 31 décembre 2019 parce que je n’arrivais pas à trouver une robe de soirée à ma taille un peu jolie, raconte avec humour Séverine Zwahlen. Alors j’ai décidé de créer mes propres robes!»

L’habitante des Tuileries-de-Grandson a donc fait jouer son réseau et elle a fini par convaincre un fournisseur de lancer une nouvelle collection. «On a fait un sondage cocréatif sur les réseaux sociaux pour demander ce que notre communauté avait envie d’avoir comme produits, se félicite Laurent. Quand on reçu les premiers modèles à la maison, pile pendant le confinement de mars, c’était l’euphorie!»

Désormais, les clientes peuvent profiter d’une collection baptisée Séverine. Et les plus jeunes auront droit à la gamme Camille.

Christelle Maillard