Pour le premier concert des Classiques de Mathod, dimanche, les organisateurs ont fait appel au savoir-faire d’un ébéniste du cru et d’un compositeur de renom pour unir musique et révolution technologique.
En franchissant les portes de l’atelier de Pierre-Yves Schenker, un mélange d’odeurs de bois et d’encre vient immédiatement chatouiller les narines. Devant les établis de l’ébéniste yverdonnois trône fièrement une imposante pièce en bois. Deux colonnes en chêne s’élèvent au-dessus d’un étrange mécanisme fait de noyer et de frêne. Restée à l’abri des regards durant les deux mois de sa création, cette réplique d’une presse du XVIe siècle sortira de l’ombre dimanche, pour le premier des trois concerts de la saison des Classiques de Mathod, à 18h au temple du village (entrée libre).
Cette année, les organisateurs de la manifestation ont imaginé une création à la fois artistique et éducative, comme l’explique Jean-Christophe Ducret: «On a misé sur un effet de miroir entre la révolution de la presse de Gutenberg et la révolution numérique actuelle.» Pour réaliser leur vœu, ils ont approché Pierre-Yves Schenker, qui avait déjà façonné une presse de Gutenberg des années 1520 (lire encadré). «Il n’y a que très peu d’informations sur les machines qui datent d’avant le XVIIIe siècle, puisque c’est à ce moment-là qu’on a reconnu l’imprimerie comme un art à part entière, souligne l’ébéniste. Je me suis donc inspiré des descriptions de presses du XVIIIe contenues dans l’Encyclopédie, et j’ai supprimé tous les artifices ajoutés pour booster leur productivité.» Et d’ajouter: «C’est comme si elle était sortie de l’un de mes rêves, je ne peux pas affirmer qu’elle ait existé, même si je pense ne pas être loin de la réalité.»
Le défi de la partition
«Imprimer une partition, c’était un procédé particulier à l’époque. D’abord parce que tout le monde ne savait pas lire une partition. Et parce que c’était trop compliqué de travailler avec autant de signes différents sur des portées. Il aurait fallu une typographie spécifique, explique Pierre-Yves Schenker, qui laissera le public tester sa fameuse machine, dimanche. à l’époque, on gravait les caractères sur une plaque en cuivre ou en pierre. Et il fallait trois personnes pour sortir une feuille toutes les vingt secondes!»
Mais avant de copier une partition, faut-il encore l’avoir mise par écrit. C’est là qu’Ulrich Kohler entre en scène. Le compositeur a entremêlé les destins de deux grands noms de la Réforme dans ses créations: «J’ai joué avec le vieux psaume 340 de Martin Luther, dévoile le musicien. Et avec Johannes Gutenberg car, en allemand, les notes sont des lettres. Son nom se traduit ainsi: si-la-mi bémol-sol-do-mi-si bémol-mi-ré-sol!» Sa création plutôt originale de 32 pages sera interprétée par les jeunes du quatuor à cordes Abakat, âgés de 12-13 ans. «Pour éviter de verser dans le religieux, on a invité les improvisateurs Amine et Hamza pour reprendre le thème de façon contemporaine», conclut Jean-Christophe Ducret.
Une grande sœur
La nouvelle presse de Pierre-Yves Schenker est une réplique d’une machine une fois et demie plus grande, pesant 400 kg et mesurant 3 m de haut sur 1,5 m de large et 4 m de long. L’ébéniste a conçu ce prototype à l’occasion des 500 ans de la Réforme, en 2017. Pièce maîtresse du Musée international de la Réforme, à Genève, elle a ensuite fait sensation en Allemagne, à Zurich, à Saint-Gall et lors des 50 ans de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. L’artisan espère que sa «petite» presse voyagera dans les écoles. C.Md