Sous sa cape d’aventurière de la savane, la Nord-Vaudoise Vanessa Duthé est doctorante en biologie. Elle raconte à La Région comment elle traque le rhinocéros noir pour assurer sa conservation. Rencontre avec une amoureuse de la vie sauvage qui n’a pas froid aux yeux.
Un bruissement dans les fourrés, un craquement de bois séché, des buissons qui frémissent, quelque chose se passe, et déjà Vanessa est à l’affût. Au fin fond de la savane, perdue seule dans une réserve naturelle du Kwazulu-Natal, Vanessa Duthé traque. Jumelles en main, vêtue d’une tenue de ranger, elle cherche le rhinocéros.
Mais Vanessa Duthé n’est pas de celles qui ramènent des trophées dans leur appartement. Si elle voue une bonne partie de sa vie à l’observation de cet animal en voie de disparition, c’est pour le protéger.
Son projet est né à l’Université, dans le cadre de ses études. «J’ai fait mon Bachelor et mon Master en biologie à Neuchâtel. C’est pour ma thèse de Master que tout a commencé. J’ai toujours voulu mener un projet avec les gros herbivores d’Afrique du Sud. Ma mère est géologue et j’ai été bercée par cette vie sauvage, ici en Afrique du Sud», raconte l’étudiante de 29 ans.
C’est alors qu’elle trouve un projet, un superviseur et part dans une réserve pour entamer: The Black Rhino Conservation Ecology Project. Et s’envole une fois de plus pour l’Afrique du Sud. «J’ai fait plusieurs mois de terrain, j’ai appris à traquer avec un vieux caporal et les rangers du coin. On marchait jusqu’à 20 km par jour pour traquer les rhinocéros noirs pour voir ce qu’ils mangeaient. J’ai obtenu de très bons résultats.» A la suite de quoi, on propose à celle qui a grandi à Villars-Epeney de poursuivre le projet avec un doctorat. «Je n’avais pas prévu d’en faire un, je voulais arrêter après mon Master et travailler. Mais c’est un sujet qui me passionne tellement!»
Le projet débute donc en 2017 avec pour objectif de comprendre ce qui définit un habitat favorable (notamment par la nourriture) aux rhinocéros noirs, une espèce désormais très rare. «Ce sont des animaux bizarres qui mangent des trucs bizarres (rires)! Mais étrangement, j’ai toujours été fascinée par ces gros herbivores. Je collectionnais même plein de petits rhinos», se justifie Vanessa Duthé, entourée par des photos, des livres, des autocollants et même un collier à effigie de ce molosse. «Ils sont incroyables à observer, ils sont touchants. Je suis fascinée par toute la vie sauvage en général. Depuis très jeune j’ai un lien avec la brousse. Petite, je voulais être ranger, puis vétérinaire et photographe animalière. Finalement, je suis biologiste, ça va aussi!»
Et on peut dire que cette jeune femme n’a pas peur du danger. En Indiana Jones de la savane, après avoir fait ses courses pour dix jours en pleine nature, elle arpente de long en large la réserve, seule au volant de son 4×4 ou aux côtés des rangers, des écologistes et des étudiants. «J’ai déjà dû changer deux fois le set complet de mes pneus. Je pars sur des routes scabreuses, et parfois il n’y a même pas de route. Il m’arrive de crever au milieu de nul part et de devoir changer une roue, sous l’œil attentif des éléphants.»
Lorsqu’elle rentre au refuge de la réserve, la nuit tombée, un comité d’accueil l’attend de pied ferme devant sa maison. Ce sont les éléphants. Et loin de ressembler au petit Dumbo, ceux-ci ne sont pas là pour rigoler. «Dans cette réserve, ils sont agressifs avec les voitures. Souvent, ils me prennent en chasse, ils m’attendent en embuscade près de la maison et me courent après!» dit-elle de la façon la plus naturelle qui soit.
«Lorsque les étudiants s’inscrivent pour le projet, et j’en ai de plus en plus que je dois encadrer, je dois les prévenir de la dure réalité de la brousse. Il ne faut pas être trop peureux. Par exemple, la dernière fois, j’ai marché sur un scorpion à pied nu dans la maison. J’ai eu de la chance, ce n’était pas un mortel, mais c’est très douloureux. On a aussi dû chasser des serpents de la maison. Et pas n’importe lesquels. C’étaient des spitting cobra, ils crachent du venin dans les yeux. Ça peut nous rendre aveugle.»
Toutes ces péripéties, Vanessa Duthé nous les conte assise à son bureau, devant son ordinateur au bâtiment des sciences de l’Université de Neuchâtel. Le contraste est si violent que l’on peine à imaginer cette jeune femme en train de traquer le rhino sous des chaleurs écrasantes ou chasser le cobra cracheur du Mozambique de sa maison. Pourtant, ce contraste, Vanessa Duthé le vit chaque année. Et cette dualité fait partie de sa vie depuis sa plus tendre enfance, puisque la doctorante est mi sud-africaine, mi suisse, ce qui lui a valu de vivre une bonne partie de sa vie dans le pays de Simba.
Tiraillée entre le Nord vaudois, où vit son père, ses amis, la Jeunesse de la Mauguettaz d’un côté et une Afrique du Sud longtemps marquée par l’Apartheid, des maisons barricadées, des gardes, mais aussi sa maman, ses autres amis, l’apprentissage du zoulou et surtout «la wildlife» (ndlr: la vie sauvage) de l’autre, la vie de Vanessa Duthé est faite de contrastes et de richesses.
C’est pourquoi elle passe généralement la moitié de son temps sous nos latitudes et dans son village, à Cheyres, avant de s’envoler de l’autre côté du globe pour le reste de l’année. Là où elle se trouve en ce moment. «J’ai de la chance d’être binationale, ça facilite les choses. J’ai beaucoup de soutien de mon entourage, même si des gens ne comprennent pas ce que je fais quand je dis que je traque les rhinos ! C’est hyper improbable. Mais à la suite de ma dernière publication sur le sujet, j’ai notamment reçu le Prix du mérite de la Fédé! (ndlr : Fédération vaudoise des Jeunesses campagnardes)»
Si le projet de doctorat est en cours, Vanessa Duthé ne s’arrêtera pas là. A la recherche d’un plus gros financement (elle y travaille notamment avec la HEIG-VD à Yverdon), et désormais en contact avec de nombreuses réserves d’Afrique du Sud, la biologiste aimerait agrandir le projet. «A terme, j’aimerais vraiment avoir quelque chose d’appliqué, d’intégré dans les plans de gestion des réserves, pas seulement de la théorie.»
Car jusqu’ici, le projet a mené à de nombreuses observations, découvertes et analyses qui ont permis de documenter davantage la vie peu connue de cet animal. «Je vais faire partie des rares spécialistes du rhinocéros noir. C’est le projet de ma vie», conclut la jeune femme dont le rêve, qui s’approche grandement de sa réalité, serait de gérer une réserve naturelle.
Le rhinocéros noir: qui est-il?
Très peu connu chez nous, le rhinocéros noir n’est pas beaucoup plus connu chez lui… En voie de disparition (tout comme le rhinocéros blanc), il ne reste actuellement qu’environ 5000 individus (une population en hausse), dont une partie de cette communauté se trouve en Afrique du Sud.
Si le rhinocéros impressionne avec sa corne sur le nez, son corps volumineux et sa peau robuste, il n’est pas l’animal féroce que l’on pourrait s’imaginer. D’ailleurs, c’est un herbivore! Doté d’une très mauvaise vue, il compense par une excellente ouïe et un bon odorat. Son plus grand prédateur? L’homme. En Afrique du Sud notamment, le rhinocéros noir est braconné pour sa corne, qui est ensuite revendue au marché noir.
Pour éviter cela, Vanessa Duthé, avec l’équipe de Black Rhino Conservation, écorne les individus de la réserve par mesure de protection anticipative. «Une petite corne pèse environ 3 kg. Il faut savoir qu’un seul kilo de corne vaut environ 60 000 dollars sur le marché noir», explique Vanessa Duthé. Indolore puisque l’opération se fait assez loin des tissus nerveux, l’écornage permet de retirer la corne, ce qui fait perdre toute la valeur du rhinocéros aux yeux des braconniers, avant d’être remplacée par un système de traçage collé (photo).
La corne, elle, est mise en lieu sûr dans une banque secrète. Vanessa Duthé explique le raisonnement: «Si un jour on vient à légaliser la traite des cornes, on inondera le marché pour espérer que cela réduise la demande.»
Dans la réserve où opère Vanessa Duthé, les individus sont marqués par de petits trous sur les oreilles. «Je les reconnais tous maintenant! Chacun a son territoire.» Ce qui n’empêche pas de faire quelques petites frayeurs à notre cheffe de projet. «Ils ne sont pas très commodes.
Souvent j’ai dû vite grimper aux arbres. Une fois, j’ai vraiment failli mourir! Avec deux rangers, on est tombés dans une embuscade avec une femelle très agressive de la réserve qui avait un petit. Elle a baissé la tête et nous a chargé, à 10 mètres. On a dû se jeter par terre et elle est juste passée entre nous. Ça arrive, mais on fait en sorte d’éviter ça avec l’expérience!»
Infos: blackrhinoconservation.com