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Des calculs SIAvants
La passerelle Bel-Air à Yverdon-les-Bains, réalisée grâce au travail de 2Mingénierie SA. 2Mingénierie civile SA

Des calculs SIAvants

17 septembre 2024 | Texte: Maude Benoit
Edition N°3789

La SIA fête cette année ses 150 ans d’existence. C’est l’occasion d’aborder les préoccupations actuelles de la profession avec un bureau d’ingénieurs yverdonnois.

Métier de l’ombre, souvent éclipsé par les imposantes idées des architectes, les ingénieurs civils sont toutefois essentiels. Ce sont eux qui effectuent tous les calculs qui rendent les projets architecturaux possibles. David Martin, ingénieur associé chez 2Mingénierie civile SA, mentionne d’ailleurs le fameux cas de la tour Eiffel. Celle-ci, nommée d’après le nom de son architecte-entrepreneur, devrait en réalité s’appeler «tour Eiffel-Koechlin», et arborer le nom de son ingénieur franco-suisse sans qui elle ne tiendrait pas debout.

Il s’agit alors de mettre un peu de lumière sur cette profession, dont les intérêts sont également défendus par la SIA (Société suisse des ingénieurs et des architectes).

 La SIA, c’est quoi?

Il s’agit d’une association représentant les professionnels de l’architecture et de l’ingénierie suisse. Pour intégrer la SIA, il faut payer une cotisation annuelle et être accepté par l’association. En effet, les bureaux d’architectes ou d’ingénieurs doivent avoir plusieurs années de pratique et être reconnus par leurs pairs pour entrer dans l’association. Faire partie de la SIA, c’est donc acquérir un titre de légitimité.

De son côté, la SIA édicte et met à jour les normes à suivre en matière de techniques de construction. Il s’agit toutefois de recommandations que les entreprises peuvent choisir de suivre ou non. Comme ce sont des références reconnues dans toute la Suisse, les entreprises les suivent généralement. La SIA fait donc office de référence et de soutien, et protège en cas de litiges les professionnels qui s’engagent et respectent ces normes.

Les Eurocodes, le nouveau hic

Les normes évoluent en fonction des études et recherches effectuées par les universités, EPF (écoles polytechnique fédérales) et HES (hautes écoles spécialisées) et garantissent des constructions solides. Adoptées ensuite par la SIA, elles constituent le socle normé suisse.

Toutefois, les changements constants des normes donnent du fil à retordre aux ingénieurs. «Depuis la fin de nos études, mon associé et moi avons déjà connu quatre normes différentes. C’est difficile de devoir constamment s’y adapter», explique David Martin.

À ce système complexe, mais efficace, s’est récemment ajoutée une contrainte supplémentaire: les Eurocodes. «Il s’agit d’un ensemble de normes européennes qui harmonisent les méthodes de calcul, quels que soient les types d’ouvrages ou les matériaux», comme indiqué sur le site internet Afnor Normalisation. Appliquées d’abord au niveau européen, la SIA travaille désormais à intégrer et rapprocher les normes européennes des standards suisses équivalents. Ceci permettra aux bureaux helvétiques d’accéder au marché des autres pays membres et vice-versa.

David Martin juge que ces normes «sont finalement les mêmes que les réglementations suisses, mais nettement plus compliquées. On a presque l’impression de faire du droit. De plus, il semble que toutes ces normes soient édictées pas des théoriciens qui n’ont pas la pratique du métier. Elles sont parfois éloignées de la réalité et nous laissent peu de liberté d’action dans nos projets.»

Évolution informatique et formation

En plus des évolutions normatives, les ingénieurs doivent s’adapter aux évolutions informatiques. À ce sujet, David Martin pense qu’il est important «d’utiliser les plans papier et le bon vieux calcul mental en parallèle des techniques informatiques». Pour lui, c’est d’autant plus essentiel dans la formation.

David Martin déplore par ailleurs la fermeture de la filière génie civile à la HES d’Yverdon-les-Bains pour des questions de rentabilité. «C’est aberrant, critique-t-il. Les étudiants ne sont jamais rentables. C’est ensuite, quand ils travaillent, qu’ils le deviennent. Ce sont des économistes éloignés du métier qui prennent ces décisions.» Ainsi, les aspirants au métier doivent dès lors se diriger sur Fribourg ou Genève.

Ingénierie et biodiversité

En plus des nouvelles normes à adopter, l’ingénierie suisse doit aussi réfléchir à des techniques de construction durables, économiques et frugales en énergie. Pour répondre à ces défis, David Martin à une réplique unique: «La simplicité. Il faut laisser de côté les architectures extravagantes, revenir à la simplicité et au pragmatique. Si on s’applique à aligner les porteurs pour mieux répartir les charges, on peut donc créer des constructions plus fines, ce qui permet d’économiser des matériaux, tout en réduisant la consommation énergétique des constructions.»

Quant aux matériaux biosourcés, David Martin est plus sceptique. «Arrêter le béton du jour au lendemain me paraît impossible. En Suisse, on ne dispose pas de suffisamment de bois pour tout remplacer et utiliser du bois d’importation n’est pas non plus écologique. Ce qu’il faut surtout viser en premier lieu, c’est la réduction des matériaux utilisés.»

En guise de conclusion…

En outre, David Martin se dit préoccupé par la problématique de la transmission du savoir, détenu par des théoriciens qui manquent de pratique et qui édictent des normes sans tenir compte de la réalité du terrain. Heureusement, dans le cadre de la SIA, beaucoup de membres sont issus de la pratique et défendent ainsi correctement les intérêts de la profession.