Des privés à l’intérieur des prisons
30 janvier 2025 | Textes: I. Ro. | Photos: Michel DuperrexEdition N°3881
En cas de nécessité, des agents de sécurité de compagnies privées pourront œuvrer à l’intérieur des établissements pénitentiaires.
En principe, le recours à des agents de sécurité de compagnies privées devrait rester une exception. Mais dans un contexte de surpopulation carcérale, l’engagement de privés aidera ponctuellement à sortir de l’impasse. Afin de prévenir ce type de situation, le Conseil d’Etat vient, par le biais d’un règlement qui entre en vigueur en cette fin de semaine, de préciser la base légale permettant l’accès des agents de sécurité privée à l’intérieur des établissements pénitentiaires.
En réalité, le Service pénitentiaire (SPEN) du Canton de Vaud a déjà eu recours à l’appui de privés durant la pandémie de Covid, afin de permettre aux établissements de fonctionner normalement. Une telle situation pourrait se reproduire, et afin d’éviter toute contestation, le gouvernement a pris les devants en adoptant les dispositions réglementaires nécessaires.
Une longue collaboration
La collaboration entre le SPEN et des agences de sécurité privée n’est pas nouvelle. En effet, depuis de très nombreuses années, à la suite d’une évasion avec intervention de complices armés depuis l’extérieur des Etablissements pénitentiaires de la plaine de l’Orbe, les autorités vaudoises ont confié la sécurité, hors du périmètre fermé, à des agents privés qui patrouillent jour et nuit, notamment dans le périmètre du pénitencier de Bochuz.
Ces mesures ont permis de dissuader d’éventuelles interventions extérieures violentes. Des privés s’occupent également de l’accueil des visiteurs (avocats, familles, etc.) aux loges des Etablissements pénitentiaires de la plaine de l’Orbe (EPO) et à la prison voisine de La Croisée. C’est dire que les contacts avec les agents pénitentiaires, particulièrement les surveillants, sont fréquents.
Un cadre restrictif
Cela dit, le règlement que vient d’adopter le Conseil d’Etat ouvre, potentiellement, la porte des établissements pénitentiaires à des agents privés. Mais, à ce stade, on parle de situations exceptionnelles, dans un cadre limité. «En principe, les tâches confiées à des agents privés n’impliquent pas de contacts avec les personnes détenues. Il s’agit de missions de surveillance, comme le contrôle des colis, le renfort dans les centrales de surveillance ou la surveillance à distance des promenades», explique Raphaël Brossard, chef du SPE du Canton de Vaud, qui a répondu à nos questions par courriel.
Et de poursuivre: «Si la mission implique un contact avec les personnes détenues, elle se fait en binôme avec un agent de détention. Ces situations sont exceptionnelles et ont pu avoir lieu notamment lors du Covid, où le personnel pénitentiaire a pu faire défaut à certaines phases de la pandémie.»
Dans les faits, les agents de sécurité privés ne vont ni remplacer les surveillants ni faire carrière à l’intérieur des établissements pénitentiaires, sauf bien sûr s’ils changent de métier, se soumettent aux procédures de sélection et suivent les cours au Centre de formation du personnel pénitentiaire à Fribourg.
«L’engagement d’agents de sécurité privée est une exception, comme relevé précédemment. Toutefois, un tel procédé devait répondre à une base légale plus précise, ce qui est aujourd’hui le cas. Il ne s’agit pas de remplacer des maladies ordinaires, mais encore une fois uniquement dans des circonstances exceptionnelles», précise le chef de service.
Engagements et formation
Dans la perspective de l’ouverture de la nouvelle prison des Grands-Marais (410 places), à proximité des EPO, le Service pénitentiaire va devoir engager de nombreux collaborateurs, soit quelque 273 ETP (équivalents temps plein), selon les estimations actuelles. La difficulté réside dans la conciliation du calendrier de formation et de celui de la planification du chantier.
La procédure d’obtention du permis de construire est à bout touchant. Les mandats d’architecture et d’ingénierie ont déjà été attribués à la suite d’un appel d’offres.
Actuellement, le SPEN dispose de 650 postes ETP, dont les 60% sont affectés à l’encadrement des personnes détenues (agents de détention, responsables d’ateliers, cadres uniformés).
Pour mettre en valeur l’attractivité du métier, le SPEN entreprend de véritables opérations de promotion auprès des classes d’âge les plus jeunes. Depuis plusieurs années, le service est notamment présent au Salon des métiers et de la formation à Lausanne.
Il faut relever aussi que le métier de surveillant de prison est intéressant pour les personnes qui apprécient les contacts humains. Car au-delà de l’exécution de la peine, c’est bien le retour dans la société qui est préparé dans l’établissement pénitentiaire.
Dans la nouvelle prison du Grand-Marais, la formation dans l’optique de la réinsertion aura une grande importance. La formation facilite en effet la recherche d’un emploi et contribue à réduire le risque de récidive.
Surpopulation constante
En charge du SPEN, le conseiller d’Etat yverdonnois Vassilis Venizelos a confirmé, lors d’une visite aux EPO en début d’année dernière, sa volonté de faire aboutir le projet des Grands Marais. On rappellera qu’il y a plus de trente ans, Claude Ruey avait présenté le projet «Bochuz 2000».
L’évolution de la criminalité, qui ne connaît plus de frontière, et le miracle économique suisse et son inséparable attractivité ont fait que les établissements pénitentiaires vaudois sont engorgés depuis de nombreuses années. Au point qu’il faudra consacrer de l’argent pour assurer la continuité des plus anciens, dont le Bois-Mermet, à Lausanne, ne serait-ce que pour quelques années.
Et s’il fallait illustrer cette situation, les chiffres parlent d’eux-mêmes: il y a actuellement 975 personnes détenues dans les prisons vaudoises. Et toutes ces prisons sont à leur capacité maximale. Les établissements de détention préventive sont particulièrement touchés, avec un taux d’occupation de 170% pour la prison du Bois-Mermet, et de plus de 130% pour La Croisée, à Orbe.
La loi sur l’exécution des condamnations pénales (LEP)
Le Règlement sur les agents de sécurité privée intervenant dans les établissements pénitentiaires (RSécEP) a été adopté par le Conseil d’Etat le 20 janvier dernier. Il entrera en vigueur ce samedi 1er février.
Ce règlement est basé sur la LEP (loi sur l’exécution des condamnations pénales), particulièrement son article 93, qui précise le périmètre d’intervention des agents de sécurité privée, fixe les conditions d’engagement et les formations spécifiques.
Ces agents, employés par des sociétés agréées par l’Etat, doivent respecter le secret de fonction, aussi bien vis-à-vis de l’extérieur qu’envers les détenus.
Deux types de mission son définis, sans contact ou impliquant des contacts avec les personnes détenues. Le périmètre d’intervention est circonscrit dans le mandat conclu entre le SPEN et la société de sécurité privée. Leurs obligations correspondent à celles que doivent respecter les collaborateurs du Service pénitentiaire.
Dans le cadre d’une intervention donnant lieu à des contacts avec les personnes détenues, les agents privés interviennent en binôme avec un surveillant et sous les ordres du surveillant-chef, ou surveillant sous-chef de l’établissement.
Avant d’intervenir à l’intérieur, les agents privés doivent avoir suivi une formation appropriée (comportement envers les personnes détenues, procédures techniques) dispensée par le SPEN, qui déterminera également leur équipement. Par ailleurs, c’est une évidence, les personnes concernées doivent avoir un casier judiciaire vierge et détenir une autorisation d’exercer au sens des dispositions légales applicables aux compagnies de sécurité privée.
Enfin, l’engagement d’agents ayant déjà eu une expérience en milieu carcéral sera privilégié. Ce règlement, il est important de le préciser, concerne aussi bien les agents que les agentes de sécurité.