Des terrasses qui valent de l’or
13 mai 2025 | Textes: Robin Badoux | Photo: Duperrex-AEdition N°3942
Avec le retour des beaux jours, les terrasses des commerçants jouent un rôle majeur pour l’animation des rues du centre-ville. Une affaire juteuse pour les restaurateurs, mais à quel prix?
Le bruit des verres qui s’entrechoquent, les discussions animées, les effluves de boissons diverses: les terrasses sont les scènes vivantes des centres urbains. En cela, Yverdon-les-Bains n’est pas en reste avec maints exemples de ces espaces conviviaux qui fleurissent de la rue des Remparts à la rue de la Plaine, sans oublier les rues piétonnes qui convergent vers la place Pestalozzi. Ces terrasses, qu’elles soient implantées de longue date ou relativement nouvelles dans l’espace public restent, avant tout, une manne financière capitale pour les commerçants. «C’est vital, confirme Naïm Hoxha, patron du Legend Bar à la rue des Remparts. On voit la différence parce que sans notre terrasse, on ne nous remarque pas. C’est une manière de mettre en valeur notre commerce.»
Pourtant, afin de conserver cette terrasse, indispensable alors que les beaux jours reviennent, le patron doit mettre la main au porte-monnaie: 8505 francs pour pouvoir exploiter sa terrasse pendant huit mois, de mars à octobre. Une taxe imposée en raison du fait que cet espace empiète sur trois places normalement dévolues au stationnement. «Il faut compter 2835 francs par place de parc pour huit mois, précise Amaëlle Champion, cheffe de la Police du commerce yverdonnoise. Le prix est calculé selon le tarif d’une place de parking, moins un pourcentage car l’espace n’est pas continuellement exploité.»
Cette situation particulière ne concerne toutefois que deux commerces à Yverdon: le Legend Bar à la rue des Remparts et le Kalaya, à la rue de la Plaine. Elle découle d’une décision de la Ville d’avril 2023 de permettre aux commerces qui en font la demande d’exploiter une terrasse sur les stationnements dans ces deux artères en particulier. «La Ville avait décidé de faire preuve de souplesse après les années Covid, explique Raphaël Dal Pont, responsable de la Police des constructions. En 2022, il a été décidé que certains commerces pouvaient ouvrir durant trois mois au maximum, ceci afin de contourner le lancement d’une enquête publique.» Le dispositif a été reconduit en 2023 pour les commerces qui en faisaient la demande. Une enquête publique est toutefois nécessaire désormais, mais octroie l’autorisation de s’installer du 1er mars au 30 octobre, renouvelable d’année en année. «Tous les établissements de la rue des Remparts et de la rue de la Plaine ont été avisés, mais seuls deux se sont manifestés.»
Sans compter que toute demande de permis de construire, et la création d’une terrasse en fait partie, est soumise à un émolument administratif. Celui-ci est composé d’un émolument fixe de 250 francs pour les frais de constitution et de liquidation du dossier et d’un émolument forfaitaire basé sur un tarif horaire de 140 francs par quart d’heure pour toutes les prestations effectuées par les services communaux, décrit le responsable de la Police des constructions. On le voit, au final, les prix peuvent facilement s’envoler. Malgré tout, le patron du Legend Bar reste reconnaissant: «Je remercie la Commune de pouvoir exploiter cette terrasse, appuie-t-il. Par contre, on aimerait bien pouvoir la garder toute l’année, et pas que de mars à octobre, car cela crée des soucis d’organisation et de dépôt.»
Deux salles, deux ambiances
Pour la plupart des autres commerces, la situation est tout autre. «La taxe annuelle de base est de 65 francs, plus 20 francs par mètre carré d’utilisation du domaine public», explique la cheffe de la Police du commerce. Par ailleurs, lors de la création ou modification de la terrasse, un émolument décisionnel de 200 à 400 francs peut être perçu, tandis que la Police des constructions perçoit encore une taxe annuelle si la terrasse dispose d’un store. Celle-ci s’élève à 5 francs par mètre linéaire, plus 20 francs si une réclame/logo se trouve sur le store. La Ville prévoit toutefois de rediscuter cette dernière taxe, vieille d’environ vingt ans et dont la question du maintien se pose aujourd’hui.
Des tarifs «franchement honnêtes», estime par exemple Léonard Estelli, patron du bar latino Utopya à la rue du Lac. Ce dernier a même l’opportunité d’agrandir sa terrasse à partir de 18h en installant des tables devant ses voisins, la boulangerie Péchés et Gourmandises et le studio photo Clic-Clac. Toutefois, il «paie à l’année pour l’entier de la surface, et les deux autres commerces payent pour leur surface. Il y a donc des mètres carrés payés à double», remarque le patron de l’Utopya.
Il existe ainsi une grande disparité des tarifs pour l’installation d’une terrasse en fonction du lieu à Yverdon. Toutefois, l’ensemble des commerçants approchés est unanime quant à l’importance de disposer d’un tel espace lors du retour du soleil. «C’est très important, abonde Laurenza Persico du café culturel Au moment présent, qui a la chance d’avoir deux terrasses, une à la rue du Milieu et une à la rue du Four. Dès qu’il fait chaud, les gens aiment rester dehors.»
Pas qu’une question d’argent
Outre les taxes perçues lors de l’installation et la modification d’une terrasse dans le domaine public yverdonnois, d’autres éléments viennent assurer le bon fonctionnement de ces espaces de convivialité.
À noter toutefois «qu’il n’y a pas de règlement propre sur l’installation de terrasses à Yverdon», précise Raphaël Dal Pont, responsable de la Police des constructions. Et Amaëlle Champion de la Police du commerce de compléter: «Il n’existe pas de document en ce sens car les terrasses sont régies par des règles tant communales que cantonales et fédérales.»
Par exemple, les dimensions et les capacités d’une terrasse dépendent largement du cadre donné par la législation fédérale sur la protection de l’environnement et particulièrement par l’Ordonnance fédérale sur la protection contre le bruit (OPB), précise encore la Police du commerce, ajoutant que «la création d’une terrasse est soumise à enquête publique complète, laquelle en déterminera les dimensions sur la base de critères multiples tels que les souhaits de l’exploitant, l’usage existant du domaine public (passage, besoins techniques, autres terrasses) et les intérêts des tiers (degré de sensibilité au bruit, densité du voisinage, oppositions).»
Concernant les horaires, l’ouverture régulière d’une terrasse dépend de la volonté du tenancier, dans les limites résultant de l’enquête publique et en particulier de l’analyse du bruit effectuée par la Direction générale de l’environnement (DGE). «Dans tous les cas, les terrasses peuvent être exploitées jusqu’à minuit au plus tard à Yverdon-les-Bains», poursuit Amaëlle Champion. Des dérogations ponctuelles sont toutefois accordées lors de manifestations (comme les Brandons) ou sur demande particulière de l’établissement (lors d’un anniversaire ou mariage, par exemple). Pour prolonger de manière régulière l’heure de fermeture, l’exploitant doit initier une procédure de changement de licence d’établissement public, qui doit faire l’objet d’une enquête publique.
Dans le viseur de la Ville depuis longtemps
«Les terrasses et les fleuristes agrémentent la vie urbaine. Les petits commerces des métiers de bouche contribuent à l’attractivité de la ville et à une vie citadine agréable», déclarait Pierre-Antoine Hildbrand, conseiller municipal en charge de l’économie à Lausanne, au moment ou la capitale vaudoise annonçait un desserrage de vis drastique de sa politique, en faveur de l’ouverture des terrasses des petits commerces. Une ouverture spectaculaire après des années de friction qui a même fait croire initialement à l’ATS qu’il s’agissait d’un poisson d’avril.
À Yverdon, la position de la Ville vis-à-vis de ses terrasses se veut plus consensuelle. «Nous avons prouvé, depuis plusieurs années, que nous faisons preuve d’une politique encourageant l’occupation de l’espace public, que ce soit dans les rues piétonnes ou des lieux comme la rue de la Plaine», soutient le syndic d’Yverdon Pierre Dessemontet. Il rappelle notamment le modèle qui a fait ses preuves jusqu’à présent, en opérant des phases de test de trois mois, permettant de ne pas lancer d’enquête publique. «Sur le principe, la Ville a envie d’avoir un centre le plus animé possible et d’en augmenter la fréquentation. Mais on ne fait pas ce qu’on veut, on doit respecter et préserver le droit à l’opposition lorsqu’une enquête est lancée en vue de la pérennisation d’une terrasse.»
Interpellée récemment sur la santé de la vie nocturne yverdonnoise, la Municipalité avait pourtant fait part de son amertume: «La population, et tout particulièrement les jeunes, sort moins», notamment en soirée. Un constat qui concerne aussi les terrasses. En ce sens, la Municipalité affirme vouloir prendre la situation en main. Elle l’avait déjà fait en mettant en place le «RDV des terrasses» il y a quelques années, permettant aux commerces d’ouvrir plus facilement et plus longtemps tout en organisant des animations. «La Ville ne pouvant pas être sur tous les fronts, les tenanciers ont été invités à réaliser eux-mêmes leurs programmes en échange d’une subvention et de facilités administratives», précise la vice-syndique Carmen Tanner. Le dispositif est appelé à se pérenniser dans le même esprit, à l’instar de l’animation Viva Pesta dont la deuxième édition aura lieu en 2025.
Enfin, début juin 2025, des Assises du centre-ville seront organisées en collaboration avec la SIC. La restauration, et donc les terrasses, feront partie des pistes à explorer pour améliorer l’attractivité du centre-ville. «Nous allons voir ce que veulent les gens et voir quelles mesures nous pouvons prendre», conclut le syndic.