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Destinée à reprendre les clés du taxi
Marie-Thérèse Engler et Séverine Vuagniaux. © Michel Duperrex

Destinée à reprendre les clés du taxi

14 octobre 2021

Arrivée à une retraite bien méritée, Marie-Thérèse Engler a remis la société de taxi du village à Séverine Vuagniaux. Un passage de témoin qui ne doit rien au hasard.

Le destin n’est sûrement pas étranger à cette passation de volant. Il y a dix ans, lorsqu’Ernest Beutler cherchait un successeur pour remettre le taxi d’Yvonand, c’est naturellement vers les Vuagniaux qu’il s’est tourné. Cependant, ce n’était pas le moment, pour la famille à la tête de la société de transport en car, de passer aux véhicules légers. Mais plutôt que de simplement décliner l’offre, les Vuagniaux redirigent Ernest Beutler vers une personne qui, ils en sont certains, sera parfaite pour le poste: Marie-Thérèse Engler.

C’est donc tout naturellement que, dix ans après avoir repris Taxi d’Yvonand, la Tapa-Sabllia s’est tournée vers la famille d’autocaristes pour organiser la transition. Et cette fois-ci était la bonne pour Séverine Vuagniaux. L’offre tombait même à pic avec la crise que connaît aujourd’hui le milieu du voyage. «Avec le Covid, la demande pour des transports en car a baissé, détaille la nouvelle patronne de Taxi d’Yvonand. J’avais donc plus de temps libre au niveau professionnel, le timing était parfait.»

Depuis début octobre, les habitants de la région d’Yvonand voient donc une nouvelle tête lorsqu’ils commandent un taxi. Et après en avoir discuté pendant une année avec Marie-Thérèse Engler, la pandémie repoussant à chaque fois la date officielle du changement, Séverine Vuagniaux avait hâte de prendre place devant ce qui est désormais son volant. «J’étais toute folle! Un peu stressée aussi, d’ailleurs, j’ai appelé Marie-Thérèse plusieurs fois pour régler quelques détails. On a beau être super préparée, il y a toujours des problèmes auxquels on n’a pas pensé.»

C’est là une des grandes forces de cette transition. Même si elle est maintenant une jeune retraitée, Marie-Thérèse Engler n’hésite pas à donner un coup de main à sa successeure. Ainsi, les clients ne sont pas bousculés dans leurs habitudes. Au niveau organisationnel donc, mais aussi en ce qui concerne l’accueil reçu dans le taxi. Car Séverine Vuagniaux compte bien perpétuer la traditionnelle hospitalité que tous retrouvaient en appelant la société tapa-sabllia. «Pour moi, ce côté social qui existe dans le métier est un vrai plus, relève la nouvelle patronne. Après, il faut aussi savoir créer une barrière. Ecouter, sans tout prendre sur soi.»

Ecouter, rencontrer des gens, c’était justement le quotidien de Marie-Thérèse Engler jusqu’au début de ce mois. Quelques jours après le début d’une retraite bien méritée, il est encore difficile pour elle de complètement lâcher. «J’ai déjà fait une année de plus, notamment à cause de la pandémie. Je suis toujours à disposition pour Séverine, elle sait qu’elle peut m’appeler. Je ne sais pas encore vraiment ce que c’est que la vie sans avoir un travail, mais j’ai plein de projets. Ça me prendra un peu de temps, mais gérer son rythme une fois arrivée à la retraite, ça s’apprend!»

 

Une carrière remplie d’anecdotes!

 

Être chauffeur de taxi, c’est forcément vivre des moments forts dont on se souvient toute sa vie. «Avec tout ce que j’ai vécu, je pourrais écrire un livre!» rigole Marie-Thérèse Engler, qui a sillonné la région d’Yvonand avec son taxi pendant dix ans.

Des clients âgés de 102 ans ou pas encore nés, la chauffeur peut enchaîner anecdote sur anecdote. «L’accouchement a presque eu lieu dans le taxi. À la fin de la course, j’avais le bras tout noir tellement la mère l’avait serré à cause des contractions!»

Des moments intenses, mais aussi parfois franchement drôles. «Un jour, une personne m’a téléphoné depuis Yverdon. Je lui demande où elle se trouve mais elle me répond… qu’elle ne sait pas! Elle était évidemment complètement ivre et j’essayais de la localiser en lui demandant ce qu’il y avait autour d’elle. Il m’a fallu 25 minutes pour la trouver! Et une fois dans le taxi, rebelote, elle ne savait plus où elle habitait! Heureusement, elle se rappelait quand même qu’elle devait revenir à Yvonand.»

Et si la zone d’activité de la société est traditionnellement limitée à la région entourant le village, cela n’a pas empêché Marie-Thérèse Engler de faire quelques excursions. «La course la plus lointaine que j’ai dû faire… c’était jusqu’à Annemasse, en France. Il ne s’agissait pas d’un client traditionnel, puisque c’est dans le cadre d’un contrat avec l’assurance La Mobilière que j’ai dû aller chercher cette personne. Mais c’était quand même une sacrée aventure!»

 

Chauffeur de taxi, un métier de rêve?

 

Horaires irréguliers, concurrence de plus en plus forte, clients parfois agressifs… Le métier de chauffeur de taxi peut sembler difficile. Mais il en faut plus pour effrayer les deux femmes: «On peut autant travailler la journée qu’en soirée, explique Séverine Vuagniaux. Ça dépend surtout du jour. La semaine, on roule plutôt selon un horaire de travail traditionnel. Et le week-end, c’est carrément l’inverse, les soirées sont très riches et l’après-midi est plus calme.»

Les week-ends, justement, ce sont les Jeunesses des villages alentour qui composent une bonne partie de la clientèle de Taxi Yvonand. «Je commence à connaître les soirées de Jeunesse, rigole la nouvelle patronne de la société. Ce week-end, je dois aller à Chavannes!» Comme pour tout le reste, Séverine Vuagniaux sait qu’elle peut compter sur les conseils de Marie-Thérèse Engler. «Tu sais, tu peux aller voir toutes les prochaines fêtes sur le site de la fédé», lui glisse sa prédécesseure, qui connaît très bien ce monde. «C’est drôle, parce que j’ai conduit certains jeunes à l’école dans le car. Et puis quelques années plus tard, je les ai retrouvés dans le taxi pour les amener à des soirées de Jeunesse, confie la nouvelle retraitée. Avec moi, ils étaient en général assez protecteurs, bienveillants. Avec l’alcool, il faut parfois dire stop, mais globalement ça s’est toujours bien passé.»

Mais est-ce le bon moment pour reprendre une activité de chauffeur de taxi, alors même qu’Uber est présent depuis quelques mois à Yverdon? «Très honnêtement, je ne sens pas vraiment de concurrence avec Uber. D’ailleurs, je ne sais pas s’ils sont encore à Yverdon! sourit Séverine Vuagniaux. Certes, le prix est un peu plus cher, mais j’ai l’impression que c’est accepté, même parmi les jeunes.» Et Marie-Thérèse Engler d’ajouter: «Un soir, un client m’a dit que ça coûtait de toute façon moins cher qu’un retrait de permis!»

Massimo Greco