Deux mois de fête ou la fin du monde au Brésil
12 juin 2014Football – Mondial n Installé en Suisse depuis douze ans, l’ancien joueur professionnel Junior Santos n’imagine qu’une issue au tournoi qui débute aujourd’hui et qui va monopoliser l’attention de la planète entière pour un mois : la victoire de la Seleção.
Carte d’identité

Junior Santos vivra le Mondial brésilien depuis la Suisse, mais ses attentes sont les mêmes que celles de tous ses compatriotes : il rêve d’un sacre de la Seleção.
Nom : Junior Santos.
Age : 45 ans.
Profession : Entraîneur de football, il participe aussi à la direction de l’entreprise multiservices de son épouse.
Carrière de joueur : Il a débuté à America, le «troisième» club de Belo Horizonte, avant de jouer dans plusieurs clubs brésiliens, mais aussi au Japon et au Portugal.
Carrière d’entraîneur : Il a notamment dirigé Yverdon Sport, mais aussi différents clubs au Moyen-Orient. Le dernier en date est le Dubaï CSC, aux Emirats arabes unis.
Junior Santos est comme tous les Brésiliens : il adore le football. Des rues de Belo Horizonte, où il a grandi et appris à maîtriser le cuir, au Nord vaudois, où il vit aujourd’hui avec sa femme et ses trois enfants, le ballon rond n’est jamais sorti de la vie de l’ancien joueur professionnel devenu entraîneur. Sa carrière lui a permis de découvrir le Japon et, plus récemment, les Emirats arabes unis, d’où il est revenu il y a quelques semaines après avoir été à la tête du Dubaï CSC, mais elle l’a surtout conduit à bourlinguer aux quatre coins du Brésil. Un pays qu’il dit connaître «comme le village de Champagne», où il habite. Et, parce qu’il est comme tous les Brésiliens, il aime en parler, disserter sur ses vertus et ses travers. Ce qui fait de lui un observateur privilégié du Mondial qui commence aujourd’hui.
Si cette édition est attendue avec un engouement si particulier, c’est que le Brésil passe pour le pays où, plus qu’ailleurs, le football est roi. Mythe ou réalité ? «Je n’y connais pas une ville ou un village où les gens n’aiment pas ce sport, tranche Junior Santos. Tout le monde veut jouer, tous les parents veulent que leurs enfants jouent et on joue partout.» Il regrette toutefois que, de plus en plus, les clubs recrutent les enfants très tôt, substituant leurs centres de formations à l’école de la rue, la meilleure selon lui. «Tu y apprends à trouver des solutions. Le terrain est plein de trous ? En pente ? Il faut faire avec. Tu apprends à maîtriser le ballon comme personne», décrit-il.
Mais, au Brésil comme ailleurs, le football est devenu un véritable business, dont les clubs sont les acteurs majeurs. Dans la plupart des villes, les rivalités entre les grandes équipes structurent d’ailleurs le paysage socio-culturel. A Rio, on est pour Flamengo ou pour Fluminense. A Belo Horizonte, pour Cruzeiro ou pour Atlético. Et ainsi de suite. Il n’y a guère que lors des matches de la Seleção que tout le monde se retrouve à supporter la même équipe, avec la même passion et le même «joli maillot», comme le dit Junior Santos.
Un seul scénario
C’est dire ce que tout un peuple attend de sa sélection nationale : le titre et rien d’autre. Mais le Brésil a-t-il réellement les moyens de gagner le Mondial qu’il organise ? Imaginer un autre scénario est impossible pour lui. «On n’y pense pas, coupe-t-il. Ce serait comme la fin du monde.»
Mais Junior Santos sait que le costume de favori que tout le monde prête au Brésil est très lourd à porter. «A 17 ans, j’ai joué, avec America, un derby contre l’Atlético devant 60 000 personnes. J’ai aussi affronté Flamengo sous les couleurs de Fluminense devant 90 000 personnes. C’est difficile de décrire la pression qu’on ressent. Mais, là, pour la Seleção, c’est encore autre chose.» D’autant que, cette année, parler du Mondial, ce n’est pas seulement parler de football.
Depuis plusieurs mois, nombre de mouvements profitent des projecteurs médiatiques braqués sur le Brésil pour faire entendre leurs revendications diverses. Un phénomène qui ne laisse pas Junior Santos indifférent. «Oui, bien sûr, le Brésil a besoin d’hôpitaux, d’un meilleur système éducatif et j’en passe, souffle-t-il. Mais ce n’est pas avec les manifestations actuelles qu’on va trouver des solutions à ces problèmes, il ne faut pas tout mélanger.» Il plaide pour que le Mondial soit épargné. «Depuis que le Brésil est Brésil, il y a des problèmes de corruption, c’est vrai, et il faut que cela cesse, assène-t-il. Mais il faut manifester contre les politiques ! Les joueurs, eux, n’y peuvent rien. Pourquoi salir l’image de cette fête ?»
Reste les polémiques directement liées à l’organisation du Mondial, comme celle d’avoir doté Manaus d’un stade qui ne servira pas à grand-chose une fois la compétition terminée, puisque la ville ne compte pas de grande équipe. «Je pense que l’idée était de ne pas laisser l’Amazonie, une des régions les plus importantes du monde, à l’écart de la manifestation, lance Junior Santos.
Mais c’est une erreur, c’est clair, car cela représente beaucoup trop d’argent. Et puis, j’ai eu l’occasion de jouer à Manaus. C’est terrible. On ne peut pas souffler.»
Quart de finale historique
L’équipe de Suisse, qui y affrontera le Honduras, aura l’occasion de s’en rendre compte. Junior Santos, également détenteur d’un passeport rouge à croix blanche, espère d’ailleurs que la Nati fera un bon bout de chemin dans son Brésil natal. «Elle a les qualités pour réussir un résultat historique. Pourquoi pas atteindre les quarts de finale ?» Mais, selon lui, il n’y a guère que trois pays qui peuvent prétendre au sacre final : le sien, bien sûr, mais aussi l’Espagne et l’Allemagne.
Quel que soit le verdict du Mondial brésilien, Junior Santos le vivra à distance. «En 2006, j’avais sillonné l’Allemagne pour participer à l’événement, mais aujourd’hui, c’est différent, explique-t-il. Je veux profiter des matches sur mon écran de télévision. Les enregistrer, prendre des notes, pour que cela serve ma carrière. En cela, Dubaï, où j’ai vraiment porté la casquette d’entraîneur professionnel, a changé mon regard.»
En cas de victoire finale du Brésil, il annonce une fête «qui pourra durer deux mois dans certaines villes, comme à Bahia : les gens prendront congé pour ça». Et il partage pleinement leur excitation : «Voir le Brésil gagner, c’est tout ce que je souhaite dans ma vie actuellement.» Junior Santos est bien comme tous les Brésiliens.
La Seleção selon Junior Santos
La famille Felipe Scolari
Donnée favorite par tous les bookmakers, la Seleção a-t-elle vraiment les épaules pour assumer les énormes espoirs placés en elle ? «C’est une équipe qui a du talent, estime Junior Santos. Mais pour moi, son point faible est qu’elle manque de joueurs de caractère.» Il évoque la World Cup 94 et les «tronches» qui portaient alors le maillot auriverde : Romario, Dunga, Branco. Des hommes avec une véritable aura. «Aujourd’hui, il n’y en a pas. A la place, nous avons des joueurs malins. Comme Neymar. Mais Neymar est au début de sa carrière, il a encore tout à prouver.»
Pour le Brésilien de Champagne, la grande star de la Seleção peut réussir des choses lors de ce Mondial, mais il est loin d’avoir l’envergure d’un Romario ou d’un Ronaldo. «C’est vrai qu’il nous manque un buteur de très haut niveau, comme nous avons toujours eu. Là, il y a Fred, qui, même s’il est loin d’être mauvais, n’est pas du même calibre», note Junior Santos.
Reste ce qui fera la force du Brésil à domicile : la solidarité. «Comme en 2002, année de notre dernier titre mondial en date, Felipe Scolari a créé une véritable famille en accordant très vite une confiance sans limite aux joueurs qu’il avait choisis. C’est très important, ça, pour les membres de l’équipe.» Ne reste plus qu’à déterminer si cela suffira pour s’imposer le 13 juillet.