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Edito: Des Brandons sans «coconstruction»
Yverdon, 10 mars 2018. Brandons, place Pestalozzi, bataille de confettis. © Michel Duperrex

Edito: Des Brandons sans «coconstruction»

6 février 2020 | Edition N°2678

La mode actuelle, lorsque l’on veut faire la promotion d’un évènement militant ou culturel, consiste à nous le décrire comme «pluridisciplinaire», «coconstruit» et si possible gratuit. Il arrive cependant qu’une telle juxtaposition de mots fourre-tout effraie les esprits chagrins, qui songent alors à quelques mois passés sous les drapeaux, à manger des cornettes dans une gamelle tout en obéissant à des ordres plus ou moins sensés.

En ville d’Yverdon-les-Bains, il est un rendez-vous qui coche à peu près toutes les cases de la novlangue évoquée ci-dessus, mais sans le savoir et surtout sans le crier sur les toits. Une manifestation – les Brandons – qui réunit toutes les classes sociales depuis le seizième siècle sans pour autant être marquée par une sensibilité politique particulière. À sa tête, l’on trouve classiquement un comité, avec un président, un vice-président, bref des gens qui s’engagent sans prétendre lutter pour l’avenir de la planète avec leur sauterie annuelle.

Une humilité frappante

Pour des raisons de gestion financière – disons – folklorique, et aussi parce que divers excès avaient peut-être terni l’image de la fête,  on se souvient que l’évènement n’a pas eu lieu l’an dernier, créant un vide douloureux chez ses amoureux (lire en page 3). Alors, lorsque les organisateurs sont passés nous voir à la rédaction la semaine dernière, c’est leur humilité qui frappait. L’humilité d’admettre que ce week-end où ils prennent le contrôle de la ville s’est parfois retrouvé… hors de contrôle. L’humilité de reconnaître la concurrence nouvelle des festivals innombrables, Halloween et de tout ce qui concourt aujourd’hui à travestir l’existence en fête permanente.

Mais les Brandons, c’est aussi une autre forme d’humilité: car dessous le costume bariolé de la Guggenmusik se trouve souvent l’habit fluo du travailleur modeste et, à ce titre, infiniment respectable. La municipale de la Culture Carmen Tanner ne cache en outre pas que la renaissance des Brandons touche une fibre émotionnelle: alors que les saisons vont disparaître, ont déjà disparu, cette fête est le rappel nécessaire d’un passé où la vie sociale n’était pas un mille-feuilles d’apéros sans gluten et de combats militants portés par des sacro-saints «collectifs».

On peut craindre que ces Brandons soient peut-être un poil trop sages. Mais ils auront lieu, réuniront les familles et la population. Ils feront la joie d’enfants. On y mangera trop, boira peut-être aussi un peu trop pour certains. C’est leur sens. Et leur part de grandeur est de ne pas prétendre sauver l’humanité, mais simplement de lui apporter un peu d’amusement, authentique cette fois.

Raphaël Pomey