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Élégante simplicité
Anna Cavallini dans son atelier à Chamblon, avec des prototypes de son œuvre qui sera exposée au Japon.

Élégante simplicité

13 novembre 2024 | Textes: Robin Badoux | Photos: Michel Duperrex
Edition N°3830

Une œuvre de la relieuse Anna Cavallini, de Chamblon, sera présentée au Japon lors d’une exposition collective internationale qui met le washi, le papier japonais traditionnel, à l’honneur.

De toutes les matières, c’est le washi qu’elle préfère. Le washi narushima pour être exact. C’est depuis peu la nouvelle marotte d’Anna Cavallini. L’artisane indépendante de Chamblon, à son compte depuis 1986, a découvert ce papier extraordinaire il y a peu sur Instagram: «Il y avait cette artiste, Eriko Fujita, qui présentait de beaux papiers japonais. Je l’ai alors contactée pour savoir si je pouvais en obtenir.» C’est ainsi que, de fil en aiguille, la relieuse se retrouve courtisée pour participer à l’exposition Works on Narushima Washi, qui se déroulera du 15 au 24 novembre au Japon. «Tout ça est arrivé par hasard, se souvient la Chamblonnoise en riant. C’est une chance incroyable pour moi de pouvoir participer à cette exposition.»

Rapidement tombée en admiration pour ce papier particulier, Anna Cavallini participe par la suite à quelques cours de fabrication artisanale auprès de l’artiste Viviane Fontaine. «C’est une transformation en plusieurs étapes. C’est un véritable art au Japon, c’est pourquoi je considère ce papier comme une matière noble.»

Collaboration internationale

Une vingtaine d’artistes, tant japonais qu’étrangers, participent à l’exposition collective montée par Eriko Fujita. «Cet événement met l’accent sur les échanges culturels et artistiques internationaux et devrait avoir pour effet de diffuser la culture et l’histoire du narushima washi», explique l’artiste japonaise.

Chaque participant a reçu cinq feuilles de papier japon – autre nom du washi – de 62 x 96 centimètres, et devait fabriquer une œuvre à partir de cette matière première. «Je suis la seule relieuse à participer, fait remarquer Anna Cavallini. Les autres artistes ont peint, calligraphié ou gravé. De mon côté, j’ai choisi de partir dans le volume.»

Trois livres en un

Quoi de plus naturel alors, pour la relieuse et restauratrice, de se concentrer sur un objet qu’elle connaît maintenant par cœur: le livre. «Mon concept est: une feuille égale un livre. J’ai hésité à faire un livre traditionnel européen en utilisant mes feuilles de papier japon, ce qui aurait été intéressant pour un public japonais. Mais finalement, j’ai choisi un style plus oriental. J’adore l’élégance et la simplicité de l’art japonais, c’est donc avec ces idées en tête que je me suis lancée dans la fabrication de mon œuvre.»

Le résultat, appelé Onde, se présente sous la forme d’un livre qui peut être lu de différentes façons. Il peut être feuilleté à la manière d’un livre traditionnel, déployé pour former une bande de 3,76 mètres et en trois dimensions ou remis à plat, ce qui permet de retrouver la feuille originale de washi.

A cela, l’artisane a ajouté une couverture cartonnée et un écrin sobre doté d’une fermeture à aimant pour le protéger.

Simple en apparence, l’œuvre a réclamé une bonne dose de réflexion de la part de la relieuse. «On pourrait croire que simplicité rime avec facilité, mais c’est un processus qui demande du savoir-faire, la connaissance des matériaux et des heures de réflexions».

Ce livre, fait surtout de pliages et de découpages, comporte 32 pages pour l’instant vierges. L’enjeu pour l’artisane était de présenter un produit utilisable, dont les pages vides seraient susceptibles de titiller la créativité d’un poète ou d’un écrivain.

Artisanat artistique

L’œuvre finie allie plusieurs techniques chères à Anna Cavallini comme l’origami – plusieurs dizaines de grues en papier se trouvent d’ailleurs à divers endroits de son atelier – ainsi que le suminagashi, littéralement «encre flottante».

«C’est une technique ancestrale japonaise qui rassemble quatre éléments: l’eau, le papier, le souffle et l’encre de chine.» Le suminagashi permet d’obtenir des motifs marbrés subtils, dans des tons pastels qui se prêtent bien à la décoration d’un livre.

«Marbreur est encore un vrai métier, surtout en France, où on trouve encore des professionnels. Au Japon, c’est aussi un métier traditionnel. A l’époque, la famille impériale avait son propre marbreur chargé des papiers officiels.»

Onde est déjà arrivée au Japon pour figurer au sein de l’exposition qui démarre ces prochains jours. L’artiste, en revanche, restera en Suisse, faute de temps. Malgré la chance de pouvoir exposer son œuvre en compagnie d’artistes de divers endroits du monde, la Chamblonnoise garde les pieds sur terre: «Je me sens plus artisane qu’artiste. Il y a, c’est juste, un côté très créatif dans le métier de relieur. Il faut beaucoup inventer et rechercher de nouvelles idées, et j’adore ça. Mais pour moi, la reliure est avant tout un métier artisanal.»

Infos: annecavallini.reliure@gmailcom