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Elle illumine la salle obscure depuis vingt ans
Ste-Croix, 02.10.18, Cinéma Royal, Adeline Stern. © Carole Alkabes

Elle illumine la salle obscure depuis vingt ans

4 octobre 2018
Edition N°2345

Sainte-Croix – A l’occasion de l’anniversaire de la reprise du Cinéma Royal, l’exploitante Adeline Stern diffusera plusieurs films réalisés par des auteurs suisses, ce week-end. Portrait d’une passionnée.

Un kimono ocre brodé d’un revers aux motifs orientaux et ceinturé d’une ficelle noire, des cheveux rouge-orangé et un regard bienveillant: Adeline Stern rayonne. Alors qu’il pleut ce lundi 1er octobre à Sainte-Croix, la tenancière du Cinéma Royal réchauffe les cœurs dès l’instant où l’on pénètre dans son établissement. Et si cette salle obscure s’apprête à fêter les vingt ans de sa reprise par la coopérative Mon Ciné ce week-end (lire encadré), c’est peut-être aussi parce que sa tenancière dégage une chaleur humaine à nulle autre pareille.

Née en Tunisie, cette Parisienne d’origine a suivi son père à Genève alors qu’il terminait sa carrière à l’ONU, avant de s’installer à Yverdon-les-Bains. Depuis plus de trente ans, elle vit dans le hameau de La Vraconnaz. «Vivre ici, en pleine nature, c’était fondamental pour moi et j’ai été très bien accueillie», raconte-t-elle.

Comédienne de formation, elle décide d’animer La Lanterne magique de Sainte-Croix au début des années 1990. «Mes filles, Aurélie et Anastasia, étaient petites et c’était important de les sensibiliser à l’univers du cinéma, confie-t-elle. Et faire découvrir des vieux films de plus de 100 ans à des enfants émerveillés, ce sont à chaque fois des grands moments d’émotion.»

Une reprise au pied levé

Depuis son ouverture en 1931, le Cinéma Royal n’a jamais fermé ses portes. «Lorsqu’on a repris l’établissement qui était aux mains de la famille Dick, on a créé une coopérative, explique Adeline Stern. Le soir de l’ouverture, on a voulu fêter ça, mais on pensait qu’on allait pouvoir s’appuyer sur l’expérience de l’ancienne tenancière. Rien de tout cela, elle avait disparu du jour au lendemain et il a fallu reprendre l’exploitation au pied levé. On a progressé petit à petit pour attirer des cinéphiles au-delà du Balcon du Jura.»

En tant qu’exploitante, la Sainte-Crix ne perçoit pas de salaire, même si cela n’enchante guère l’office des impôts: «J’ai d’autres activités qui me permettent de gagner ma vie. Je suis en quelque sorte bénévole dans ma propre entreprise.»

Cinéphile passionnée, elle peut visionner jusqu’à 300 films par année pour sa programmation. «J’adore dénicher une œuvre de qualité et l’offrir au public, comme une perle que j’aurais trouvée au fond d’une huître.»

Mais comment fait-elle pour perdurer à l’heure où Netflix diffuse des films en continu sur Internet? «C’est clair que ça nous fait du tort, mais je crois sincèrement à la fonction sociale du cinéma, remarque-t-elle. J’aime sentir le pouls de la salle, c’est pourquoi j’assiste aux séances presque à chaque fois.» Et d’ajouter: «Aller voir un film dans une salle obscure aujourd’hui, c’est faire acte de résistance contre la facilité, le renfermement sur soi-même et la solitude.»

Et s’il ne fallait retenir qu’une seule rencontre? «On avait organisé une séance avec l’ancien conseiller fédéral Pascal Couchepin. Plusieurs politiciens s’étaient déplacés pour lui. Ils avaient été pris en otage dans la salle pour voir No Man’s Land de Danis Tanović. C’était un moment bouleversant parce qu’à la sortie du film, on pouvait lire l’émotion sur leurs visages.» Et de conclure: «Ouvrons les yeux tant que les salles sont encore obscures.»

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Un week-end cinéphile

A l’occasion des festivités qui se dérouleront tout au long du week-end, le Cinéma Royal diffusera six films réalisés par des auteurs suisses. Au menu: drame, comédie et documentaire.

«Il y a vingt ans, je croyais que le cinéma suisse se limitait à Tanner, Godard, Goretta et Soutter, glisse Adeline Stern. Mais c’était sans savoir qu’on produisait des tonnes d’autres films.»

Membre de la Commission fédérale du cinéma pendant plus de cinq ans, elle a pu visionner une multitude de films helvétiques. «Contrairement au cinéma français, le suisse n’est pas donneur de leçons, il pose un regard sur la vie plus respectueux. Il est plus intéressant, parce qu’il est moins démonstratif.» 

Programme complet sur www.cinemaroyal.ch