Elle réalisait des injections de produits prohibés
20 mars 2025 | Texte et photo: I. Ro.Edition N°La Région Hebdo No 3
Une esthéticienne et deux médecins comparaissent devant le Tribunal correctionnel.
Une esthéticienne, domiciliée dans un village de la région à l’époque des faits, et deux médecins comparaissent depuis hier devant la Cour correctionnelle de la Broye et du Nord vaudois pour répondre d’un chapelet d’accusations, allant des lésions corporelles simples qualifiées à des infractions réprimant la violation de plusieurs lois fédérales et cantonales régissant le domaine de la santé, tant en ce qui concerne les produits que les requis nécessaires pour exercer une profession médicale. Les deux médecins incriminés dans cette procédure répondent de complicité.
L’affaire a un intérêt général évident, ce qui justifie l’intervention du Ministère public. En effet, la principale accusée a traité plusieurs dizaines de femmes, à son domicile nord-vaudois, puis sur le bassin lémanique, entre mars 2021 et novembre 2022.
Esthéticienne sans CFC, l’accusée, âgée de 47 ans, a injecté à l’aide de seringues différents produits, parmi lesquels le célèbre Botox, à de nombreuses femmes. Non seulement elle n’était pas habilitée à mener à bien de tels actes, mais certains produits sont exclusivement réservés aux médecins. Elle a toujours agi seule, hors la présence d’un médecin.
Commandes sur internet
Lorsque le président Olivier Peissard l’interroge sur la provenance des produits, elle confirme qu’elle les commandait sur des sites internet situés à l’étranger, contournant ainsi la législation.
Globalement, l’accusée reconnaît les faits qui lui sont reprochés, et en fin d’après-midi elle a exprimé des regrets. Sa sincérité la pousse également à relever, spontanément, que l’élément financier a joué un rôle. «Je me rends compte d’avoir fait une grosse erreur, de ne pas avoir écouté la pharmacienne cantonale, mais le Dr X, et avoir continué les injections, alors que je n’étais pas autorisée à le faire.» Ce médecin fait l’objet d’une procédure dans un autre canton. L’esthéticienne explique sa passion: «Embellir une femme et pouvoir la transformer est pour moi comme un art.»
Des réactions violentes
Bien évidemment, l’accusée, de condition modeste et mère de trois enfants, faisait payer ses services, de quelques centaines à plus de mille francs. Cela dit, les revenus de cette activité n’étaient pas faramineux: quelque 40 000 francs entre septembre 2021 et décembre 2022. Et selon ces dires, près de la moitié de ce montant provient des activités d’esthétique autorisées.
A la lecture de l’acte d’accusation, on constate que beaucoup de ses clientes ont fait de violentes réactions cutanées. L’une d’entre elles au moins a terminé aux urgences hospitalières. Seules trois patientes – deux sont assistées par un avocat –, sur un nombre estimé à 120, ont déposé plainte. L’une d’entre elles parce que le traitement n’a pas marché. Elle ne réclame rien, mais veut empêcher que l’accusée puisse poursuivre ce type d’activité.
Risques pour la santé
L’activité illicite, en termes des risques, est importante. A 77 reprises au moins, elle aurait injecté de l’acide hyaluronique, et d’autres produits avec une fréquence moins soutenue.
Cette activité a pu être établie par l’analyse du téléphone de la prévenue, qui répertorie une bonne partie de la clientèle et les paiements Twint.
Dans la plupart des cas répertoriés dans l’acte d’accusation, les clientes ont fortement réagi au traitement appliqué: lèvres gonflées de manière disproportionnée, hématomes, petits saignements, inflammations, etc.
Médecins mis en cause
De nombreuses clientes ont relevé en cours d’enquête que l’accusée prétendait travailler avec des médecins. Elle se serait même fait passer pour une médecin à l’occasion.
Deux médecins comparaissent avec elle et doivent répondre de complicité. Le premier, dentiste traitant et ami de l’accusée, conteste toute implication. D’ailleurs, dans un message, il lui rappelle qu’elle doit être accompagnée par un médecin généraliste ou un dermatologue pour effectuer ses injections.
Le procureur fonde son implication sur des discussions préalables de sous-location de son cabinet. Un site qu’elle n’a utilisé qu’une ou deux fois. Le Tribunal tranchera.
Il est reproché à son confrère d’avoir sous-loué son cabinet durant plusieurs mois à l’accusée. A-t-il eu connaissance de l’activité de la principale prévenue? Aurait-il pu ou dû la soumettre à question?
S’il n’a pas fait preuve d’une grande curiosité, c’est, affirme-t-il, parce qu’il avait reproduit le système de son prédécesseur. Ce dernier sous-louait son cabinet à un physiothérapeute deux ou trois jours par semaine. Il ne voit pas de grande différence avec une esthéticienne.
Il est par ailleurs reproché à cette dernière d’avoir usurpé son identité à l’occasion. Médecin «tolérant» ou accusée habile ayant intérêt à donner l’illusion à ses clientes qu’elle travaillait sous le contrôle d’un médecin?
Ce dernier conteste toute implication et une stagiaire en préapprentissage est venue dire à la barre: «Cette femme, je ne l’ai jamais vue.» Or la collaboratrice se trouvait généralement avec le médecin, qui exerce sur deux sites différents.
L’audience se poursuit aujourd’hui avec le réquisitoire et les plaidoiries.