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Emil fait un tabac
Phil Meyer, le réalisateur, Emil Steinberger, Fred Schlatter, le responsable du Bel-Air, et Niccel, la muse de l’humoriste et artiste peintre.

Emil fait un tabac

14 janvier 2025 | Textes et photos: I. Ro.
Edition N°3869

Après la projection du film qui lui est consacré au Cinéma Bel-Air, l’humoriste a partagé ses souvenirs avec le public.

A son entrée dans la salle, le public a entonné «Joyeux anniversaire Emil» – il a fêté ses 92 ans le jour de la fête des Rois – et au terme de ses échanges avec ses admirateurs, il a eu droit à une «standing ovation». Pas de doute, les Suisses aiment Emil et il le leur rend bien. Typique Emil retrace la vie de cet homme hors du commun, né dans une famille traditionnelle catholique lucernoise, que rien ne destinait à devenir un personnage extraordinaire.

«Le projet de film, cela faisait bien une quinzaine d’années qu’on en parlait avec mon épouse Niccel. Et puis la rencontre avec Phil Meyer (ndlr: le réalisateur) nous a permis d’aller de l’avant», explique l’humoriste.

Il a fallu deux ans pour aboutir – le film Typique Emil – Lâcher prise et recommencer à zéro, présenté en avant-première samedi dernier sera dans les salles dès le 22 janvier – et le pari, à en juger par les réactions du public du Cinéma Bel-Air, est réussi.

Sans doute parce qu’il nous présente, aussi, un Emil inconnu, hypersensible, et encore blessé: «Ma famille n’a jamais compris ce que je faisais. Un jour, en rentrant d’une tournée en Allemagne, j’ai dit que j’étais fatigué. Ma mère m’a répondu: je te l’avais dit, tu aurais mieux fait de rester à La Poste!»

Un autre monde

En effet, pour les parents du jeune homme, les PTT représentaient l’entreprise idéale, avec un salaire et un emploi garantis à vie… Autant dire que le pas a été difficile à franchir. Et c’est avec une énorme fierté, encouragé par son meilleur ami, qu’il s’est lancé dans le graphisme et la création du Kleintheater de Lucerne.

Et puis, c’est moins connu, Emil a aussi exploité deux cinémas. Sa capacité à les faire marcher a d’ailleurs suscité une réaction des acteurs traditionnels de la branche qui ont tenté de lui barrer le chemin: «Ils craignaient ma concurrence et ont agi par voie de justice. J’ai perdu au Tribunal cantonal. Ensuite, j’ai simplement envoyé une lettre au Tribunal fédéral… et j’ai gagné.»

Des souvenirs

Autant dire que l’humoriste était particulièrement fier de présenter le film dans un cinéma indépendant. Il y a quelques décennies, il avait été invité à se produire à L’Echandole. A-t-il gardé un souvenir d’Yverdon-les-Bains? «Oui, lorsque je me suis promené en ville, j’ai été étonné de découvrir que Pestalozzi y avait séjourné et qu’il avait fait quelque chose pour les pauvres.»

Un autre souvenir remonte à ses débuts en Suisse romande: «On m’a invité au Théâtre Boulimie (Lausanne). J’ai présenté le spectacle en suisse allemand. On m’a proposé de le faire en français. En Suisse allemande, on me le déconseillait. Mais cela a marché. Il y avait la file jusqu’à la Riponne et à la caisse, il n’y avait plus de place pour mettre l’argent!»

Dans ce documentaire bien équilibré, auteurs et acteurs témoignent de l’évolution de cet humoriste hors du commun, figurant parmi les artistes préférés du grand public, aussi bien en Allemagne qu’en Suisse. Et dont le secret réside sans doute dans l’amour des gens. Il s’est toujours inspiré de scènes du quotidien, tout en évitant de blesser. Dans le fond, il aime les gens et le public le lui rend bien.

Un hyperactif

A l’évidence, le mot retraite ne figure pas dans le vocabulaire d’Emil: «Je travaille comme un fou. Je ne dis rien, je le fais.» Revenu de New York au tournant du siècle avec sa jeune épouse Niccel, ils ont vécu une quinzaine d’années à Montreux avant de s’établir, cela fait dix ans déjà, à Bâle.


Sur le chemin de la sérénité

Les deux séances d’avant-première organisées samedi au Cinéma Bel-Air d’Yverdon-les-Bains et à l’Odéon de Morges ont fait le plein de représentants d’une génération qui a eu du plaisir à retrouver un homme qui leur est proche. Ceux qui n’ont trouvé place sont certes repartis déçus, mais dans quelques jours ils pourront voir le film dans de nombreuses salles de Suisse romande.

Ce long métrage, le premier de Phil Meyer, nous en apprend beaucoup sur le parcours de l’humoriste, ses doutes, et ses souffrances. Lorsque, sexagénaire, il décide de quitter la scène, il est à bout. «Je ne pouvais plus supporter la pression», nous confie-t-il. La fuite vers New York, la rencontre puis le mariage avec Niccel le sauveront.

Au-delà de l’influence stimulante de son épouse – Emil lui est reconnaissant d’avoir renoncé à beaucoup de choses pour lui –, le film permet de découvrir plus profondément un homme devenu plus serein. Et qui rend hommage, dans le générique de fin, à ses deux fils et à leur mère pour tous les sacrifices et l’appui consentis durant sa carrière.