Selon le nouveau rapport de la revue Nature, un quart de la faune d’eau douce de la planète est menacée d’extinction. La Suisse est concernée à son échelle et notamment la Grande Cariçaie.
Nos amis les animaux d’eau douce sont en voie de disparition sur toute la planète. C’est la conclusion à laquelle est arrivée la récente étude de la revue scientifique Nature publiée le 8 janvier.
Ainsi, un quart (24%) de la faune d’eau douce qui comprend notamment des crustacés, des poissons et des insectes est confrontée à un «risque élevé d’extinction». Un pourcentage important rendu d’autant plus impressionnant que les eaux douces (lacs, rivières et zones humides) renferment plus de 10% des espèces connues, alors qu’elles couvrent moins de 1% de la surface de la Terre.
Malgré la part colossale des biotopes d’eaux douces dans l’écosystème planétaire, ce champ de recherche n’a pas reçu autant de lumière que les étendues terrestres ou maritimes, déplorent les auteurs de cette étude. Pourtant, l’eau douce offre une biodiversité riche, mais fragile, qui représente un enjeu important pour les moyens de subsistance et le développement économique de «milliards de personnes à travers le monde». Elle pourrait aussi être un facteur d’atténuation des effets du changement climatique, des données soulignées dans cette étude.
À qui la faute?
Il est souvent difficile de mesurer les raisons du déclin de telle ou telle espèce, puisque les données à disposition varient. Certains organismes sont en effet mieux connus que d’autres, car plus facilement observables, nous explique Sophie Marti, biologiste auprès de l’Association de la Grande Cariçaie, interrogée sur la question. Toutefois, des tendances se dessinent et peuvent notamment être mis en cause la pollution, le dérèglement climatique qui perturbe le profil hydrologique des zones d’eau douce, la concurrence des espèces invasives, les maladies, la contamination des eaux de ruissellement, l’utilisation des différents engrais et pesticides et la destruction des habitats pour l’extension des terres agricoles et urbanisées.
«À l’échelle mondiale et européenne, c’est la perte d’habitats qui menace le plus la faune d’eau douce, notamment dans le cadre du drainage des terres pour l’agriculture, poursuit Sophie Marti. Fort heureusement, la Grande Cariçaie n’est pas menacée sur ce plan là.»
Toutefois, les espèces de cette région marécageuse emblématique des rives du lac de Neuchâtel subissent également un stress important.
Danger d’extinction parmi les roseaux
La Grande Cariçaie est le plus grand marais lacustre de Suisse. Composée de neuf réserves naturelles et zones protégées, elle est située sur le rives sud-est du lac de Neuchâtel. Née des suites des grands travaux de correction des eaux du Jura au XIXe siècle qui visaient à assainir ce que l’on appelait alors «le Grand Marais», la Grande Cariçaie est en quelque sorte une compensation naturelle de ce Grand Marais où les espèces aquatiques ont pu se réfugier.
Aujourd’hui, la réserve naturelle comprend un quart de la faune suisse. On y recense notamment 106 espèces dites prioritaires. C’est-à-dire que ce sont des espèces menacées dans toute la Suisse et pour la conservation desquelles la réserve naturelle de la Grande Cariçaie a une responsabilité particulière du fait du nombre important d’individus présents dans sa zone géographique.
Lutter contre la destruction des habitats
En tant que société, nous avons plus ou moins de pouvoir d’action sur ces éléments. «Pour lutter contre le déclin des espèces, il faut déjà protéger les zones qu’il nous reste, expose Sophie Marti. De plus, il faut que ces zones puissent rester connectées, afin de pouvoir garantir les échanges génétiques entre elles et éviter que les individus ne se reproduisent entre eux. Souvent, c’est l’isolement des écosystèmes qui précipite leur destruction.»
Une problématique qui, selon la biologiste, est cependant bien reconnue par les cantons qui ont mis en place des politiques de trames vertes et bleues (réseaux formés de continuités écologiques terrestres et aquatiques), mais aussi noires (corridors d’obscurités nocturnes sans pollution lumineuse) pour relier les différents habitats entre eux.
«Il est essentiel de garder de la place pour la nature. C’est une problématique importante qui passe souvent au second plan des inquiétudes quant aux dérèglements climatiques. Or, la perte de résilience de nos écosystèmes est un sujet sur lequel il faut très sérieusement se pencher», conclut Sophie Marti.
«Écosystème = vie»
Rappelons que, comme le présente l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), les écosystèmes sont à la base de notre alimentation, régulent notre climat et fournissent une eau et un air purs. Ils sont ainsi essentiels pour le maintien de notre santé et de notre économie. Cependant, ils sont uniquement en mesure de préserver cet équilibre dans le cas où les biotopes sont variés et fonctionnels, ce qui, dans le cas de la faune d’eau douce, n’est progressivement et inexorablement plus assuré.
Les grenouilles ne chantent plus, mais les criquets dansent
Les données à disposition pour mesurer le déclin des espèces prioritaires de la Grande Cariçaie étant souvent inégales, il est parfois difficile d’établir des tendances précises. Pour certaines espèces bien connues, il est pourtant possible de poser quelques conclusions, comme c’est le cas pour la rainette verte. D’autres espèces, en revanche, se portent aussi très bien, comme le tétrix des vasières.
La rainette n’est plus reine en ses lieux
La rainette verte, petit amphibien de la famille des Hylidae, est menacée dans toute la Suisse. Depuis plus de trente ans, le noyau de population des mâles chanteurs de la Grande Cariçaie est en constante érosion. S’il est difficile d’en connaître la cause, la concurrence avec la grenouille rieuse pourrait être une explication. Introduite il y a quelques décennies pour ses qualités gastronomiques (les fameuses «cuisses de grenouilles»), elle est beaucoup plus grosse que la rainette verte et se nourrirait des têtards de sa petite voisine.
Le tétrix des vasières à son aise
Le tétrix des vasières est un petit criquet qui se plaît dans la Grande Cariçaie. S’il est considéré «en danger d’extinction» en Suisse, la majorité des populations de cette espèce se trouve dans les réserves naturelles des rives du lac de Neuchâtel. Selon les dernières données, le nombre d’individus serait même en augmentation. Appréciant tout particulièrement les sols boueux et humides retournés par les sangliers ou les machines d’entretien, ces criquets devraient encore avoir de beaux jours devant eux dans la Grande Cariçaie, puisque la pérennité de ces habitats semble être assurée grâce aux mesures d’entretien habituelles en vigueur dans les marais.