Le Tribunal correctionnel a suivi le Ministère public. Sauf pour le deuxième médecin incriminé.
Le Tribunal correctionnel de la Broye et du Nord vaudois a rendu vendredi dernier son verdict dans l’affaire de l’esthéticienne qui a procédé à des injections de produits, notamment du Botox, à des fins d’harmonisation du visage. Reconnue coupable de lésions corporelles simples qualifiées, l’accusée principale écope d’une peine privative de liberté de 24 mois, dont 12 mois ferme. Quant au médecin qui lui a sous-loué son cabinet durant quelques mois, il a été reconnu coupable de complicité. Le second médecin accusé a lui été acquitté.
L’affaire traitée par le Tribunal de la Broye et du Nord vaudois, que présidait Olivier Peissard, est appelée à faire jurisprudence. En effet, c’est la première fois qu’une cour correctionnelle se prononce sur un dossier d’une telle ampleur. L’étude du téléphone de l’esthéticienne a effectivement permis d’identifier plusieurs dizaines de victimes. Seules quelques-unes ont déposé plainte.
L’intervention du Ministère public, représenté par le procureur Julien Délèze, de la division des affaires spéciales, poursuivait également un objectif de prévention générale.
D’ailleurs, au moment d’analyser le chef d’accusation principal, soit les lésions corporelles simples qualifiées, la Cour a relevé qu’une injection constitue une lésion. Il faut donc que le patient donne son consentement, «libre et éclairé», pour reprendre la formule d’usage.
L’accusée principale, qui se prévalait d’une formation de deux jours chez un médecin bernois dont la clinique a pignon sur rue, a pu, tout au début, se croire habilitée à procéder à des injections de produits destinés à améliorer l’esthétique. Mais selon les juges, dès l’intervention de la pharmacienne cantonale vaudoise, elle ne pouvait ignorer qu’elle agissait dans l’illégalité.
Les lésions subies par certaines clientes – boules, bleus, gonflements, saignements et hématomes – vont au-delà des simples voies de fait, estime le Tribunal. Ce dernier relève que la prévenue «a extorqué» le consentement des victimes et «entretenu le flou sur la nature de la surveillance médicale». En effet, pour procéder à de telles injections, la présence d’un médecin est requise.
L’accusée a aussi été reconnue coupable d’infraction et contravention à diverses lois fédérales et cantonales, notamment la loi sur la santé publique. En violant la loi sur les produits thérapeutiques, elle a mis en danger la santé des personnes. On rappellera qu’elle achetait les produits sur des sites internet étrangers.
Les juges relèvent également qu’elle «a entretenu un état de confusion» de ses clientes, laissant croire parfois qu’elle était médecin, et à une occasion au moins, elle s’est fait passer pour le médecin qui lui sous-louait son cabinet. Cet usage indu d’un titre est également sanctionné.
Il aurait dû réagir
En ce qui concerne le médecin qui a été reconnu coupable de complicité, les juges notent qu’à tout le moins, au début de l’automne 2022, dès l’instant où il a été alerté que l’esthéticienne usurpait son identité, il aurait dû réagir.
Le Tribunal estime qu’il a eu connaissance des activités de sa sous-locataire. Il savait qu’elle était esthéticienne et qu’elle pratiquait l’harmonisation faciale. La Cour estime peu crédible l’explication consistant à comparer sa sous-location à une situation existante à la reprise du cabinet, son prédécesseur le sous-louant temporairement à un phytothérapeute. «Il aurait dû concevoir des doutes», souligne le jugement.
Le Tribunal est d’avis qu’il s’est accommodé de la situation, se contentant d’encaisser le loyer. En favorisant l’infraction principale, il s’est rendu coupable de complicité. Il a, d’une certaine manière, associé son activité à celle de l’esthéticienne. Cette dernière a bien évidemment exploité cette situation à son avantage.
En ce qui concerne le second médecin, les juges relèvent qu’il avait attiré l’attention de l’accusée principale sur la nécessité de pratiquer en présence d’un médecin superviseur. L’esthéticienne a aussi profité du lien d’amitié, ce dentiste s’occupant de toute la famille. Ne pouvant retenir une violation du devoir de garant, le Tribunal a prononcé son acquittement et a accédé à sa demande d’indemnité (17 000 francs). Un montant mis à la charge de l’Etat.
Une sanction équilibrée
L’esthéticienne, dont la culpabilité a été jugée lourde à très lourde, a été condamnée à 24 mois de privation de liberté, dont 12 mois ferme. Pour le solde de la peine, elle bénéficie d’un sursis de cinq ans.
Retenant le montant qui lui est plus favorable, la Cour l’a condamnée à verser une créance compensatrice de 12 000 francs. À ce montant s’ajoutent quelque 55 000 francs de frais, y compris l’indemnité due à son avocate d’office.
En ce qui concerne l’expulsion, requise par le procureur pour une durée de six ans, la Cour, appliquant le principe de proportionnalité, a jugé que, dans le cas particulier, le droit au respect de sa vie privée et familiale prévalait. L’accusée est mère de deux grands garçons et d’une fillette en bas âge. Elle est domiciliée en Suisse depuis plus de trente ans et n’a pratiquement aucune famille dans son pays d’origine.
En ce qui concerne le médecin qui lui sous-louait son cabinet, le Tribunal lui a infligé 90 jours-amendes à 120 francs, avec un délai d’épreuve de cinq ans. Il devra aussi s’acquitter d’une amende de 5000 francs et d’une créance compensatrice de 3000 francs, soit l’équivalent du loyer versé par l’accusée principale durant les trois derniers mois, période durant laquelle l’accusé aurait dû avoir conscience de l’activité illicite de l’esthéticienne. Il devra aussi s’acquitter de plus de 12 000 francs de frais.
Ce médecin risque par ailleurs une sanction du Conseil de santé, qui a été informé de la procédure. Il faudra toutefois que le jugement – la voie de l’appel est ouverte – devienne définitif et exécutoire.
Parties civiles indemnisées
Les deux condamnés devront, solidairement, verser des indemnités de 1000, respectivement 1650 francs, pour dommages et intérêts, et 800 francs pour tort moral aux deux parties civiles.
Indépendamment de l’issue d’éventuels recours, cette affaire devrait attirer l’attention des clients potentiels sur les dangers de certaines injections à but esthétique, notamment lorsqu’elles ne sont pas effectuées sous contrôle médical.