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Et la lumière fut!
Laurence Zähner (à g.) avec Julie Vergotti, employée à 80% depuis quelques années, dans leur atelier à La Robellaz.

Et la lumière fut!

18 février 2025 | Texte: Robin Badoux | Photos: Gabriel Lado
Edition N°3894

On en croise partout, sans forcément les remarquer. Les abat-jour font partie intégrante du décor et pourtant, tout un art se cache derrière ces objets, celui des abat-jouristes. A la découverte de ce métier particulièrement rare dans l’atelier de Laurence Zähner au hameau de La Robellaz.

Il est des métiers d’art qui jouissent d’une longue histoire. De tout temps il y a eu des sculpteurs, des forgerons, des joailliers ou des tisserands. Mais il existe aussi des métiers beaucoup plus récents. Accompagnant l’évolution de l’éclairage, d’abord au pétrole ou au gaz, puis à l’électricité, le métier d’abat-jouriste fait figure de benjamin. Il n’en reste pas moins un véritable travail artisanal et artistique, qui survit encore aujourd’hui, tout en restant relativement dans l’ombre. «Il y a des gens qui, aujourd’hui, ne connaissent pas le terme abat-jour, et encore moins le métier d’abat-jouriste», remarque Laurence Zähner, qui pratique ce métier depuis 22 ans, après une reconversion.

De juriste à abat-jouriste

Pour elle, l’aventure commence ainsi par une réorientation professionnelle. «A la base, j’ai réalisé un Master en droit fiscal et en droit des affaires à Paris, explique-t-elle. Puis, j’ai rencontré mon mari et je suis venue habiter en Suisse. Je me suis alors rendu compte que le droit n’est pas quelque chose qui s’exporte. J’ai donc dû reprendre le chemin des études.» Laurence Zähner s’embarque ainsi dans un brevet d’avocat, mais finit par y renoncer. «J’étais épuisée après de très longues années d’études. Je me disais que j’avais touché le fond.»

C’est alors que, dans son esprit, surgit un vieux souvenir: une boutique d’abat-jour à Paris devant laquelle elle a marché de nombreuses fois durant ses études. «C’était un atelier d’une incroyable créativité. J’y ai repensé lorsque je suis arrivée dans une impasse, professionnellement. C’est comme ça que je me suis lancée dans les abat-jour.» Un changement de direction qui change tout. Comparé au droit, obtus et peu ouvert aux femmes à l’époque, le métier d’abat-jouriste abat des années passées dans l’obscurité. «C’est comme si toutes les barrières s’étaient abattues. La leçon que je retiens de mon parcours, c’est qu’on peut toujours retomber sur ses deux pieds. Il suffit d’un peu de courage pour se lancer.

Possibilités infinies

Au lieu de jongler avec les articles juridiques, Laurence Zähner jongle désormais avec les matières, tissus, papiers et plastiques qui orneront lampes et lampadaires.

Son atelier à La Robellaz, hameau rattaché à Essertines, présente une petite partie de son travail. On y trouve une multitude de pieds de lampe, épurés ou fantaisistes, d’armature et d’abat-jour, parfois très artistiques comme des sculptures de papier en forme de fleur délicate ou de majestueuses voiles d’un navire.

Une infinité de formes qui atteste de la complexité du métier: «Il faut sans cesse réfléchir à la matière, aux formes, aux finitions, aux couleurs et à la hauteur à laquelle s’arrêtent les bords de l’abat-jour. Il y a plein de réglages à prendre en compte. Il faut encore faire en sorte que l’abat-jour corresponde au pied de la lampe, mais aussi au décor qui va l’accueillir chez le client. Cela peut prendre des heures avant de trouver la bonne configuration.»

Entre les matières et les formes, les possibilités sont infinies, qui donnent à l’artisan de quoi faire travailler son imagination. Il existe néanmoins quelques contraintes. Les abat-jour en tissu permettent d’obtenir des formes particulières – sphères ou champignons, par exemple –, mais nécessitent l’emploi d’une armature métallique, tandis que les papiers et PVC, en dur, peuvent s’en passer, mais ont besoin de formes plus rectilignes.

De l’ombre à la lumière

Comme pour beaucoup d’artisans, il a fallu du temps pour que l’atelier de Laurence Zähner rencontre le succès. «Au début, je faisais ça juste pour moi, puis pour ma famille, puis pour nos amis. On a ensuite eu la chance d’avoir un stand au salon Habitat-Jardin il y a plus de dix ans et depuis, on n’a pas arrêté de travailler.»

Aujourd’hui, après vingt-deux ans d’activité, l’artisane est parvenue à se forger une certaine réputation. Ainsi, le Beau-Rivage Palace, le Château d’Ouchy ou le WellNes Centre de Nestlé à Vevey, parmi d’autres institutions, accueillent plusieurs de ses œuvres. Elle a également été engagée au château de Grandson, où ses abat-jour serviront dans le musée qui s’y construit.

Malgré tout, le métier d’abat-jouriste demeure une rareté. «C’est un métier merveilleux, mais avec lequel il est difficile de gagner sa vie.»

Des contraintes en partie expliquées par le fait qu’il n’existe pas de CFC d’abat-jouriste, et donc de formation institutionnalisée. Ainsi, peu de jeunes s’engagent. «Il y a vingt-deux ans, c’était déjà un no man’s land», observe l’artisane, qui remarque que certains ateliers, qui travaillaient pourtant avec des grands noms, mettent la clé sous la porte, faute de relève.

Laurence Zähner présentera prochainement ses œuvres au Casino de Morges, les 2, 3 et 4 mai, lors de l’exposition Métiers d’Art dévoilés, organisée par l’Association vaudoise des métiers d’art. Une manière de mettre en lumière un métier longtemps resté dans l’ombre.