À pied à travers la péninsule ibérique, sur un drakkar d’un bout à l’autre de la mer du Nord, ou jusque dans les sables du Sahara, François Rossel explore à la fois le monde et les époques. La Région est allée le rencontrer dans sa maison à Donneloye, un petit paradis hors du temps qui lui permet de se ressourcer entre deux aventures et à côté de son travail d’animateur au Village lacustre de Gletterens.
«Tous ceux qui errent ne sont pas perdus», écrivait Tolkien. Une citation qui correspond bien à la vie de François Rossel. Ses pas l’ont en effet mené d’un bout à l’autre du monde, toujours avec un but en tête, à la recherche de quelque chose. Son errance a fini par l’amener à Donneloye, dans une ancienne maison un peu à l’écart du village, posée dans un paysage verdoyant qui n’est pas sans rappeler la Comté imaginée par l’auteur britannique. « C’est un coin hors du temps, qu’on retape petit à petit » , lâche François Rossel en montrant la façade de la bâtisse, qui a effectivement l’air d’avoir besoin d’un coup de jeune. Un nouveau défi qui ne l’impressionne pas, après une vie passée à voyager et à apprendre à se débrouiller.
De l’Espagne à l’Irlande, à la recherche des Vikings
Le début de l’aventure commence, comme pour beaucoup de personnes, par la case obligatoire de l’école. Après le Collège Léon-Michaud et le Cessnov à Yverdon, François Rossel entame des études d’archéologie et d’anthropologie à l’Université de Neuchâtel et terminera son mémoire à Paris. « Je souhaitais ensuite faire un voyage un Afrique, explique- t-il. Mes parents se sont mariés en Afrique et il y avait toujours des amis africains ou de la culture africaine à la maison. Mais je ne voulais pas y aller en avion, la déconnexion aurait été trop brutale. J’ai donc choisi d’y aller progressivement, en partant à pied sur la route de Saint-Jacques de Compostelle. »
Un voyage solitaire motivé aussi par sa passion pour l’histoire : « Je suis aussi parti pour aller à la rencontre des Vikings espagnols. J’ai toujours eu de l’intérêt pour leur histoire, et je savais qu’ils s’étaient installés sur tout le pourtour de la péninsule ibérique. J’ai donc acheté un âne et une cornemuse galicienne, et j’ai vécu en faisant de la musique dans la rue pour me nourrir. »
François Rossel parcourt alors l’Espagne et le Portugal, où il trouve également des petits boulots dans les oliveraies. « Mon objectif était alors d’écrire un roman historique sur les Vikings. Un jour, sur le chemin, j’ai toutefois croisé des Suisses allemand qui, en discutant, m’ont révélé qu’écrire sur mon aventure serait plus intéressant qu’un livre historique. A l’époque j’avais 27 ans, et je sentais trop illégitime pour commencer à raconter ma vie. »
Une fois rentré en Suisse, des amis finiront par le convaincre d’écrire ce récit de voyage. De cette aventure naît donc un premier livre: A fleur de terre, en 2003. Mais l’ambition d’écrire sur les Vikings reste. « On a donc décidé, avec un ami, d’acheter un navire viking, un drakkar. Avec, nous avons fait toute la traversée depuis la Norvège jusqu’en Irlande. Pour moi, il était indispensable, pour écrire mon livre, d’expérimenter ce qu’était vraiment la vie de ces navigateurs. C’est ce qui fait que j’ai
quitté le monde académique assez vite. J’aime sortir, expérimenter, me mettre aux rythmes des réalités d’autrefois, des saisons, du jour et de la nuit. J’ai toujours vécu dehors. »
De ce voyage dans la peau des navigateurs nordiques est né un second ouvrage: Chevaucheurs d’écume, paru en 2009. «Je suis ensuite rentré en Suisse, complètement fauché, surtout à cause de l’achat de notre drakkar, que mon ami possède toujours d’ailleurs. »
Un bouleversement familial
A la manière des chasseurs-cueilleurs d’autrefois, le grand voyageur a fini par se sédentariser. « A 42 ans, j’ai connu un grand changement d’existence avec mon mariage, deux filles et une maison. C’était aussi une époque où j’ai commencé à avoir envie de fonder une famille et à me sédentariser un peu. »
Grâce à son mariage, François Rossel récupère une vieille maison familiale à Donneloye, celle-là même où il vit encore aujourd’hui avec sa famille. «Quand je suis arrivé ici, je me disais dans ma tête que je ne n’étais que de passage. Les grands parents qui vivaient ici avaient amassé tellement de choses qu’on ne voyait même plus la façade extérieure. On a fini par essayer de ranger tout ça, mais on continue encore aujourd’hui ! »
L’aventure et l’écriture dans le sang
Mais malgré tout, le goût de l’aventure reste. Une passion que François Rossel doit aussi à ses parents. « Ce sont eux qui m’ont formé. Ils récoltent ce qu’ils ont semé, rigole-t-il. Ce sont eux-mêmes des voyageurs et je partais souvent avec eux. Je me souviens d’une balade de plusieurs kilomètres en forêt pour aller chercher, dans un ermitage, la clé d’un monastère qu’ils voulaient voir ou encore de ces endroits qu’on traversait, protégés des loups par d’énormes chiens de berger qui étaient finalement plus dangereux que le prédateur. »
De sa famille, François Rossel a également hérité de son talent pour l’écriture. Il descend en effet d’une branche d’éditeurs bien connus en Belgique. « Mon arrière-grand-père a même sa statue en bronze là-bas. On m’a convaincu d’aller la voir une fois. J’étais sidéré : on a vraiment la même tête, sauf au niveau de la barbe (rires)!» Ce même aïeul est d’ailleurs celui qui créa le Prix Victor Rossel, considéré comme le Goncourt belge. « C’est étrange de se dire qu’on descend d’une famille indécemment riche » , remarque François Rossel, qui préfère vivre simplement avec sa famille à Donneloye. Une famille qui commence à partager son goût pour les expéditions. Ses deux filles, Alice et Ilona, partent en effet souvent avec leur papa pour de longues promenades avec leurs ânes à travers la région.
Ambassadeur du néolithique
A part les voyages au bout du monde, l’autre grande activité qui occupe François Rossel se trouve au Village lacustre de Gletterens. C’est là, sur les bords du lac de Neuchâtel, que l’aventurier s’échine a faire vivre – et survivre ! – ce haut lieu de représentation préhistorique du néolithique. Un combat difficile, car si ce bien culturel reconnu à l’échelon national voit passer de nombreux visiteurs durant ses six mois d’ouverture annuelle – entre 13 000 et 15 000, dont beaucoup d’écoliers qui affluent au début des vacances d’été –, les aides financières de la part des autorités, communales, cantonales et autres se sont taries, ce que déplore François Rossel. « Nous devons faire en sorte d’être indépendants presque à 90%, ce qui est assez exceptionnel pour un site culturel qui voit passer des milliers d’enfants fribourgeois, mais aussi vaudois. Lorsque j’ai demandé à Cesla Amarelle, que je connais depuis l’école, si le Canton de Vaud pouvait nous aider, elle m’a répondu qu’elle ne pouvait rien faire étant donné que même le Canton de Fribourg ne fait rien. »
Le village survit donc grâce aux prix des entrées et aux produits d’artisanats fabriqués sur place, des bijoux ou des outils vendus dans la boutique. Il faut alors réfléchir à de nouvelles idées et formules pour attirer des visiteurs et remplir les caisses. Un ajout récent au programme consiste en des semaines de camping préhistorique. On vit alors en communauté dans le village, sur un autre rythme, ce qui laisse le temps de s’essayer au tir à la sagaie, à l’allumage de feu ou à la fabrication d’outil. « Ces activités marchent toujours bien. On remarque que la préhistoire fascine les gens. Revivre la préhistoire, c’est un peu comme si le futur nous regardait : avant, on disait que les hommes du néolithique n’étaient que des sauvages, mais on se rend compte que la société préhistorique est un exemple d’autosuffisance, non polluante et durable, des choses que nous valorisons aujourd’hui. »
De nombreuses idées existent pour encore développer le village lacustre, comme la construction de la maison du potier de l’époque du Bronze, ou la création d’un sentier funéraire didactique avec des tombes de différentes époques. Mais chaque développement amène des coûts difficiles à assumer pour l’instant. «Parce que le bâti biodégradable se dégrade. Il faut donc des ressources et des personnes pour l’entretien. »
Pour l’instant, six personnes assurent l’animation du village. «On est payé au lance-pierre, mais ce n’est pas pour l’argent que nous faisons ce métier. Le but du village est de maintenir des savoirs artisanaux vivants et de les transmettre, explique François Rossel. Moi-même, je suis payé bien au-dessous du seuil de pauvreté, si on en croit les chiffres. Mais je ne suis pas pauvre! A la maison, on consomme nos propres fruits et légumes, on fabrique nos propres outils, on vit de manière raisonnée. » Dans un monde sans cesse sous pression, peut-être que la solution se trouve dans ces modes de vie plus simples, tels que ceux qui sont reproduits au village lacustre de Gletterens.
Malgré tous ces soucis contemporains, l’aventurier continue de penser à ses prochaines expéditions : « J’aime le désert, le Sahara. J’étais déjà parti au Maroc pour aider à la construction d’un puits. J’aimerais y retourner une fois. Autrement, je prévois un nouveau livre sur les Vikings, et donc des voyages en Méditerranée, en Sicile, en Crête et jusqu’à Constantinople. »
INFOS PRATIQUES
Il est possible de retrouver François Rossel au Village lacustre de Gletterens (ouvert du 1er mai au 31 octobre). Infos et activités : https://www.village-lacustre.ch/
Et ses livres aux éditions Le temps suspendu : A fleur de terre, 2003
Chevaucheurs d’écume, 2009
Le grand lac, 2024
Disponibles à la librairie l’étage à Yverdon ou sur le site de l’éditeur.