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«Être traitée de vieille réac après avoir voté extrême-gauche, ça a été la baffe»
Photo: Muriel Antille

«Être traitée de vieille réac après avoir voté extrême-gauche, ça a été la baffe»

5 mai 2022

Il y a une année, une chronique jugée transphobe de Claude-Inga Barbey provoquait la polémique. Après une autre controverse fin 2021, la comédienne a décidé de se consacrer au théâtre. La Région l’a rencontrée quelques heures avant son entrée sur la scène de la Tournelle, à Orbe.

Claude-Inga Barbey arrive seule ce vendredi 29 avril devant le Théâtre de la Tournelle, à Orbe, où elle jouera le soir. Le spectacle affiche complet. Mais le visage de la créatrice de Manuela dégage un certain poids, presque un abattement. Alors je le lui fais remarquer: Claude-Inga Barbey ressent-elle bien cette gravité que j’ai cru apercevoir? «Non, pas vraiment», me rassure l’humoriste.

Depuis un peu plus d’une année, la comédienne est sous le feu des critiques. C’est d’abord son sketch sur une personne non binaire qui avait provoqué la colère d’associations LGBTQ+, qui estimaient que la chronique se moquait de leur condition. Puis, en fin d’année dernière, pour une autre vidéo, toujours dans la cadre de sa chronique TOC! réalisée pour le journal Le Temps, Claude-Inga Barbey était cette fois-ci accusée de racisme anti-asiatique. Quatre vidéos plus tard, elle stoppait sa collaboration avec le quotidien et se retirait des réseaux sociaux.
Fini les vidéos en ligne: «Je commence à être âgée et je n’ai plus le temps pour me battre contre ce que je ne comprends plus vraiment», expliquait-elle à Forum en décembre. Et pour l’instant, l’humoriste ne regrette pas sa décision.

Claude-Inga Barbey, comment vous sentez-vous quatre mois après avoir arrêté votre chronique?

Déjà, je suis plus tranquille, parce que je ne dois plus regarder l’actu douze fois par jour. En cinq ans de travail sur les infos quotidiennes, je suis allée puiser très loin dans mes réserves. C’est comme un puits qui se remplit lentement, je reprends petit à petit des forces.

Êtes-vous toujours marquée par les polémiques qui ont entouré certaines de vos chroniques vidéo pour Le Temps?

Je pense qu’on n’est qu’au début d’un truc qui va exploser à la gueule de tout le monde. Et les militants se sont trompés de cible. Le plus dur, ça a été d’avoir voté extrême gauche toute sa vie, d’avoir défendu les minorités dans son travail, parce que je crois que c’est ce que j’ai fait, et, arrivée à 60 ans, de se faire traiter de vieille réac… Ça a été vraiment la baffe.

Êtes-vous déçue de ces polémiques ou fâchée contre ceux qui les ont déclenchées?

Ni l’un ni l’autre. Je pense qu’une majorité des gens me soutient et est dans le même doute que moi. Avec les réseaux sociaux, tout devient tout de suite extrêmement agressif. Même si leur combat est tout à fait légitime, je pense que les mouvements woke et la cancel culture sont en train de se mettre de nombreuses personnes à dos. Mais ce qui me fait peur, c’est que ces mouvements font tellement peur aux médias et aux autorités que les dirigeants sont remplacés par des conseillers en communication. On cherche simplement à tourner les phrases de façon à ne pas avoir de procès, à ne pas heurter certaines personnes. La communication prend le pas sur les idées.

Vous admettez que les combats de ces mouvements sont légitimes. Alors qu’est-ce qui vous gêne dans leur manière d’agir?

Comme il a fallu du temps pour que deux hommes se tiennent la main dans la rue, comme il a fallu du temps pour que deux femmes s’embrassent au cinéma, je pense qu’il faudra du temps pour que ces mouvements émergent et aient une légitimité. Mais le combat aujourd’hui en Europe est ailleurs. Des gens n’arrivent pas à boucler leurs fins de mois, comment voulez-vous qu’ils s’intéressent aux changements de genre? Il faut accepter que ça prendra du temps pour que les mentalités changent.

Aujourd’hui, ces mouvements veulent-ils aller trop vite selon vous?

Oui, on ne laisse plus le temps au temps. Les réseaux sociaux vont trop vite. Je suis sûre que dans cinquante ans, ces gens seront parfaitement reconnus. On pourra être directeur de banque et trans.

Dans le milieu de la culture, vous estimez avoir été épaulée?

Un fait qui m’a blessée, c’est de ne pas avoir été soutenue par la jeune génération d’humoristes, qui s’est dit que je ne comprenais plus l’humour d’aujourd’hui, que je devais peut-être arrêter. Ça m’a fait chier parce que je me suis dis qu’ils avaient peut-être raison, que je devais faire autre chose. Ensuite, j’ai travaillé avec des jeunes pour deux spectacles et ils ne pensaient pas ça du tout! Mais ces humoristes vont eux aussi s’en prendre plein la gueule à un moment donné.

Avez-vous changé votre manière de faire de l’humour depuis ces polémiques?

Non. J’ai juste tourné des épisodes que je n’ai pas diffusés, après avoir pris conseil auprès d’une amie homo. Tout ce qui est vidéo passe par le filtre woke maintenant.

Et pas le théâtre?

Je ne sais pas pour combien de temps, mais pour l’instant, quand on fait de la fiction, on ne vous embête pas. La génération de ceux qui ont réagi à mes chroniques n’est pas souvent au théâtre.

Comment avez-vous vécu ces années difficiles pour la culture?

On se demande quel est le prochain malheur qui va nous tomber sur la tête! Ça blinde et on prend les choses avec plus de philosophie. Personnellement, je vis plus au jour le jour.

Et le théâtre vous offre- t-il une certaine liberté que ne vous offrent plus les vidéos?

Pour moi, l’objectif c’est d’abord de consoler les gens. En sortant d’un spectacle, j’espère que le public se sent plus fort, plus intelligent. Pendant un moment, ils peuvent oublier leurs malheurs. Les gens viennent aussi au théâtre pour être regardés, pas que pour regarder. Les spectateurs doivent faire partie de l’histoire. Et si ça me permet de me défouler et de me libérer de certaines de mes angoisses, c’est la cerise sur le gâteau!

Comment voyez-vous votre avenir?

J’ai encore un fils à la maison que je dois nourrir jusqu’à ce qu’il ait terminé ses études. Après, j’aurai 64 ans et je serai à la retraite. J’aurai moins de frais et je pourrai réaliser des projets qui m’allument. Mon vrai rêve, c’est d’écrire des romans. J’ai la trouille du théâtre, c’est un cauchemar jusqu’à ce que le spectacle commence. Et plus je vieillis, plus j’ai peur. Prendre ma voiture, flipper jusqu’à 20h, je l’ai trop fait dans ma vie.

Massimo Greco