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Fabien Roy se met au chevet des nouveau-nés

16 septembre 2021

Avec déjà deux titres à son actif, pour sa couveuse mobile, l’architecte-designer Fabien Roy est en lice pour décrocher trois autres récompenses, dont le Swiss Design Award qui pourrait lui être décerné aujourd’hui!

Chez Fabien Roy, il n’y a pas de belle plaquette dorée contre le mur valorisant son titre d’architecte. Son bureau? Une petite pièce non chauffée, sans cafetière et avec une seule chaise. Pour le moins minimaliste. Et il se trouve loin des allées marbrées des quartiers chics, puisqu’il se situe au plein cœur du village de Croy. L’avantage d’habiter dans un lieu qui «pourrait passer pour ringard ici» est qu’il offre au fils du préfet Etienne Roy un accès à une menuiserie aménagée juste à côté de l’écurie de sa sœur. «C’est super, sauf quand ça sent le cheval!» rigole le designer.

Malgré ce décor, il ne faudrait pas juger trop vite ce père de famille. Car il y a trois jours, le Nord-Vaudois paradait encore à la Milan Design Week, délégué avec neuf autres Suisses par la fondation pour la culture Pro Helvetia. Aujourd’hui, il tente de convaincre des entrepreneurs danois de produire son mobilier à grande échelle (lire encadré). Et demain, il donnera une conférence à l’Ambassade de Suisse à Copenhague.

Derrière son caractère humble et discret se cache en effet un designer dont le talent commence à se faire repérer tout autour du monde. Sa carrière pourrait bien décoller grâce à son projet de diplôme à l’Ecole cantonale d’art de Lausanne (ECAL): une couveuse. Baptisée RobustNest, elle a déjà décroché le fameux James Dyson Award suisse, lui donnant désormais accès au concours à l’échelon international.

Son petit nid pour nourrissons a également été sélectionné pour des expositions à Dubaï, à Séoul et dernièrement à Milan, où il a remporté l’un des cinq prix de la manifestation. Ici aussi, le concept ingénieux et novateur du Nord-Vaudois a fait mouche, puisqu’il est qualifié pour les deux plus prestigieuses compétitions suisses: Prix Design Suisse et Swiss Design Award. S’il faudra patienter jusqu’au 5 novembre pour connaître les vainqueurs de la première compétition, la seconde, elle, dévoilera le nom de ses grands gagnants aujourd’hui! «J’ai hâte de connaître le résultat, mais il y a un tel niveau que ce sera compliqué, je pense», analyse Fabien Roy, se laissant brièvement rêver de toucher les étoiles avant d’être ramené au sol par son esprit terre-à-terre.

Qu’a cette couveuse de si particulier pour susciter tant d’engouement? Toute sa conception vise à résoudre un problème majeur: venir en aide aux nouveau-nés en Afrique subsaharienne. «Là-bas, seul un tiers du matériel est opérationnel, explique le diplômé de 37 ans, avant de montrer des photos de couveuses modernes entassées dans une décharge. Celles que l’on achète ici 50 000 francs finissent souvent comme ça, parce qu’elles ne peuvent pas résister aux fréquentes coupures d’électricité.»

En collaborant avec l’Essential-Tech Center de l’EPFL qui développe une batterie révolutionnaire, il a pu apporter sa pierre à l’édifice et concevoir une couveuse adaptée à la réalité du pays. Lui qui voulait réfléchir à un projet utile, il a été servi, car plus d’un million de nouveau-nés meurent chaque année en Afrique d’hypothermie, notamment en raison d’un manque de matériel adéquat. «Je ne voulais pas que mon projet finisse dans un tiroir, confie l’habitant de Croy. Je pense avoir été sensible à ce projet parce que je venais d’être papa pour la deuxième fois.»

Début 2020, il a rencontré des experts kényans et suisses qui ont une expérience du terrain et du milieu médical pour dessiner la couveuse novatrice en quelques mois. «Non, le design, c’est bien plus que cela! coupe rapidement Fabien Roy qui, derrière son calme et sa modestie, n’apprécie guère le verbe «dessiner» pour décrire son métier. On ne peut pas traduire directement le mot design par dessin en français.» Pour lui, «le designer apporte une réponse à une problématique liée à un contexte précis en tenant compte des utilisateurs finaux». «Au final, la forme et l’esthétique doivent résulter de la fonction. Ce qui m’intéresse énormément dans mes collaborations avec l’EPFL, c’est de transférer une technologie de laboratoire à une application concrète et utile à la société, poursuit-il. Souvent, les ingénieurs ne voient pas l’intérêt du design et pourtant un design quelconque n’aurait pas pu résoudre le problème. Inventer une batterie thermique, sans lithium, qui peut tenir quatre heures ne garantit pas le succès du projet. Il faut aussi penser au cycle de vie du produit en amont et en aval de l’utilisation en hôpital, c’est-à-dire à la façon de l’envoyer en Afrique, de le transporter, de le réparer, etc. C’est tout cela que j’ai dû prendre en considération.»

Fabien Roy a donc imaginé une couveuse plus petite qu’une version standard, avec des poignées et surtout expédiée en kit. Elle se monte pièce par pièce, comme un meuble Ikea, mais bien plus rapidement puisqu’il ne faut qu’une minute pour la construire, assure le Nord-Vaudois. Dix fois plus compact, plus léger, plus économique, réparable sur place et surtout pratique, le concept de Fabien Roy semble pouvoir résister à toutes les épreuves de l’Afrique subsaharienne. Mais résistera-t-il aux regards acérés et à l’esprit critique du jury du Swiss Design Award, du Prix du Design Suisse ou encore du James Dyson Award?

 

L’épicea en mode bluetooth

 

Lorsque Fabien Roy ne travaille pas sur des produits hautement technologiques avec l’EPFL, il met ses mains sur le bois. «Je développe des objets en lien avec des matériaux durables. J’ai notamment créé une gamme avec de l’épicea du Risoud, qui est un bois extraordinaire car il n’a pas de nœud, révèle l’habitant de Croy, qui cache des planches ovales dans tous les coins.»

Comment peut-il autant être attiré par ces deux extrêmes, l’ultra-moderne et le grand classique? «Ce sont les mêmes valeurs! A l’époque comme aujourd’hui, on veut aller de l’avant. J’aime lier ces mondes-là par le design, affirme-t-il. Le meilleur moyen de transmettre ces valeurs est de réfléchir dans quel domaine on pourrait apporter ce savoir-faire ancestral de façon moderne.» Le fils du préfet est déjà passé de la théorie à la pratique. «Au lieu de former un luthier tous les vingt ans par exemple, je me suis intéressé à reprendre son travail du bois de résonance, mais pour un usage plus accessible à tous: une enceinte bluetooth avec de l’épicea de la vallée.»

Christelle Maillard