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Il rêve de Paul Bocuse nuit et jour
Yverdon, 3 février 2020. Christian Carrard, fan de Paul Bocuse. © Michel Duperrex

Il rêve de Paul Bocuse nuit et jour

5 février 2020 | Edition N°2677

Christian Carrard est un fan absolu. Depuis douze ans, il transforme son appartement en musée dédié au cuisinier étoilé.

«Après Dieu il y a Paul Bocuse». Christian Carrard n’y va pas par quatre chemins quand il s’agit d’évoquer son idole. Chez lui, le grand chef qui, durant plus de 50 ans a gardé sans interruption ses trois étoiles au Guide Michelin, est omniprésent. «Gagner une étoile, ce n’est pas rien. Mais la garder, c’est autre chose», relève-t-il, les yeux brillants d’admiration. Pourtant, le pape de la cuisine de terroir, décédé le 20 janvier 2018 à l’âge de 92 ans, a perdu sa troisième étoile  au Guide Michelin, deux ans presque jour pour jour après sa mort. D’aucuns prétendent que le célèbre Guide a attendu justement le décès du maître pour le dégrader…

Une visite annuelle

Habitué à fréquenter une fois par année l’établissement de la région lyonnaise, Christian Carrard y a mis les pieds pour la première fois en 2009. «Lorsque mon fils Florian a obtenu son CFC de cuisinier, je lui ai offert un repas dans un établissement gastronomique de son choix. Il a opté pour Bocuse et nous sommes allés en famille manger dans son restaurant de Collonges-au-Mont-d’Or. ça a été pour moi, «la» découverte. Depuis, je n’ai jamais cessé de m’intéresser à celui que je considère comme le plus grand  cuisinier du monde. Avec mon épouse, nous avons une crousille dans laquelle nous mettons nos pièces de un et cinq francs. Parfois, si une fin de mois n’est pas trop difficile, nous mettons un petit billet. Et cette tire-lire sert uniquement à nous offrir un repas chez Monsieur Bocuse.»

Au fil des ans, Christian Carrard est devenu un client fidèle de l’établissement, il est désormais connu et reconnu. Il a ses entrées dans la cuisine, échange avec le directeur de salle et les maîtres d’hôtel. Le jour du décès de Paul Bocuse, il a eu l’honneur d’obtenir le droit d’assister à la cérémonie funèbre, parmi 1000 personnes triées sur le volet. Un grand honneur pour ce passionné, qui consacre plus d’une heure par jour à faire avancer sa cause. «J’ai écrit au maire de Lyon, à différents ministres et même à plusieurs présidents de la République française pour que soient octroyé différentes médailles et reconnaissances de l’excellence non seulement de Paul Bocuse, mais aussi de certains membres de sa brigade.» Ainsi, le Ministère de l’agriculture, après étude du dossier, a accepté de le nommer Commandeur dans l’Ordre du Mérite agricole par arrêté du 13 septembre 2013. Dans la foulée, Christophe Muller, cuisinier et grand chef exécutif de tous les établissement Paul Bocuse à Lyon, a reçu la croix de Chevalier dans l’Ordre du Mérite agricole en janvier 2014. Il en est de même pour Jean-Marc Champfrault, chef exécutif de l’auberge Bocuse, promu Chevalier du mérite agricole, pour Olivier Couvin, chef de cuisine, également décoré de l’Ordre du Mérite agricole, et de François Pipala, nommé au grade de Chevalier dans l’ordre des Palmes académiques. Il a plaidé aussi directement auprès du président de la république pour que Paul Bocuse reçoive la médaille d’Officier de la Légion d’honneur. Mais Emmanuel Macron, par le biais de son chef de cabinet, lui a répondu que, malheureusement, cette récompense ne pouvait être décernée à titre posthume.

Son rêve s’est envolé

Depuis quelques années, Christian Carrard menait un nouveau combat: partir à la recherche d’une quatrième étoile pour le pape de la cuisine et cuisinier du siècle. «Je suis tombé non seulement sous le charme de sa cuisine, mais du personnage lui-même, de sa simplicité, de sa gentillesse, de sa passion… Dans son restaurant, vous vous sentez comme à la maison. Il y a une atmosphère agréable, le personnel est chaleureux et accueillant. Tout est réglé comme une montre suisse. Je suis allé dans d’autres grands établissements gastronomiques, mais aucun ne m’a séduit comme je l’ai été chez Monsieur Bocuse. Cet homme est parti de rien, et a créé un empire. Il était étoilé Michelin depuis 1965 et sacré meilleur ouvrier de France depuis 1961. Il a même été désigné cuisinier du siècle par Gault-Millau. Ce n’est pas rien! Mon but était depuis quelques années de lui faire obtenir une récompense unique, ultime et exceptionnelle pour l’ensemble de sa carrière. Il s’agissait d’une quatrième étoile virtuelle attribuée une seule et unique fois pour toutes ces années ininterrompues avec trois étoiles. Mais mon rêve s’est envolé puisque son établissement a perdu une étoile cette année. Dès le moment où il y a une interruption, ce n’est plus possible d’obtenir cette quatrième étoile,» a-t-il décidé.

Chaque jour il poste sur Facebook et sur Instagram des petits compte-rendus et des photos traitant d’un des aspects du grand chef. Il est suivi par plus de 1400 personnes sur Instagram. Quand il ne se penche pas sur sa passion, ce sexagénaire travaille au établissement hospitaliers du Nord vaudois. Il pratique le fitness, le jogging et fait du yoga tous les matins en se levant. Au sortir de sa chambre, un mur complet est recouvert de photos du grand chef prises lors de son passage chez lui. Il possède plusieurs tabliers de cuisine signés et portés par le chef, une toque, une multitude de livres, quelques assiettes et même une reproduction du Bocuse d’or. «J’ai pour habitude d’envoyer trois ou quatre exemplaires de mes livres de photos à son staff», précise-t-il. à ce jour, ce sont plusieurs milliers de francs qu’il a consacré à entretenir sa passion.

Mais quand on aime, on ne compte pas!

Dominique Suter