Il travaille sur un œil bionique du futur à côté des kangourous
6 janvier 2022Edition N°3117
Australie – Samuel Eggenberger a quitté Valeyres-sous-Ursins pour réaliser un rêve: faire partie de l’équipe qui rendra la vue aux non-voyants. Il a permis à un dispositif australien d’œil bionique de faire un pas de géant.
«J’avais 9 ans et je lisais un article dans un magazine scientifique sur l’imagerie. C’est là que j’ai su que j’avais envie de travailler dans l’ingénierie médicale. Et ce sentiment m’a guidé durant toute ma scolarité. De l’école au gymnase d’Yverdon jusque durant mon bachelor, que j’ai réalisé entre l’EPFL et le Canada, j’ai suivi cette voie. J’ai de la peine à me l’expliquer moi-même, surtout qu’à l’époque je ne savais pas de quoi on parlait. Je ne savais même pas vraiment ce que c’était d’être ingénieur (rires)!» raconte avec une pincée d’humour Samuel Eggenberger.
Cette idée fixe, quoiqu’un peu floue, a toutefois mené cet enfant de Valeyres-sous-Ursins à réaliser son travail de master à l’Université de Sydney, en Australie. «Je me suis dit que si je pouvais participer à un projet qui permette de redonner la vue, un sens si essentiel, c’était ce que je voulais faire.» Durant des mois, il a travaillé dans un laboratoire qui conçoit un œil bionique (lire encadré). L’expérience fut enrichissante, mais un peu frustrante aussi parce qu’il côtoyait les chercheurs qui avançaient sur ce fameux projet, alors que lui, il œuvrait juste à côté sur un autre dossier.
De retour en Suisse, Samuel Eggenberger a quitté le monde académique pour l’industrie. Durant quatre ans, il mettait son savoir au profit d’une entreprise à Soleure, jusqu’à ce que son envie première, son rêve de faire avancer la science, refasse surface. «Avec Pauline Oberli – qui est devenue ma femme – on avait envie d’avoir une expérience à l’étranger, contextualise-t-il. Je me suis dit que j’allais voir où en était le projet sur lequel je voulais travailler en 2013. J’ai donc recontacté mon superviseur. Il m’a dit que je pouvais revenir si on trouvait un financement. La solution a été de me lancer dans un doctorat.» Une bourse en poche, le duo nord-vaudois est parti à l’autre bout du monde. «J’ai fêté mon 30e anniversaire quand on est arrivés à Sydney. Je crois qu’il y avait autant d’excitation que d’inconscience, mais c’est ce mélange qui permet de faire des pas si grands», rigole l’ingénieur.
Une surprise qu’il n’avait pas vu venir
Sauf qu’il ne s’attendait pas à un tel cadeau d’anniversaire de la part de son superviseur… Quasi toute l’équipe avait quitté le navire, faute de trouver des fonds pour ses recherches. «C’est un challenge que je n’avais pas anticipé! Et encore aujourd’hui, c’est un défi de poursuivre un travail amorcé il y a vingt ans sans pouvoir contacter le groupe d’avant.»
Son rêve était-il à la hauteur de ses attentes? «Non, pas vraiment, mais je n’avais pas trop fabulé non plus. Par contre, je me suis retrouvé dans la réalité de ces gigantesques challenges et j’ai compris la difficulté que c’est de fabriquer un appareil aussi complexe avec un financement qui est continuellement on/off, avoue-t-il. Trois ans et demi après mon arrivée, je peux dire que j’ai fait et appris plein de choses intéressantes. J’ai eu la chance d’être au bon endroit au bon moment. Avec beaucoup de travail et d’acharnement, je vais pouvoir rendre une thèse dont je suis content.» Seulement «content»? «C’est déjà pas mal!» sourit le doctorant, stressé à l’idée de rendre son travail d’ici fin mars.
Pourtant, le Nord-Vaudois aurait de quoi être fier. Car s’il n’a pas initié ou révolutionné le projet, il a néanmoins contribué à le faire s’approcher des tests cliniques sur humains. «On n’y est pas encore, relativise-t-il immédiatement. C’est notre conclusion, donc maintenant on va monter un dossier avec tous les documents nécessaires pour convaincre le comité d’éthique que le bénéfice dépasse le risque pour les patients. Mais je ne me fais pas d’illusion, c’est un processus extrêmement long et compliqué qui va durer des années.»
Un grand pas en avant
Pour arriver à cette conclusion prometteuse, l’ingénieur en microtechnique a réuni une «montagne de données» recensées (et oubliées) lors des différents essais sur neuf moutons. «J’ai collecté toutes les données de différents types (santé des animaux, images sur la position des appareils, etc.) pour leur donner du sens. Cela a permis de savoir ce qui avait bien fonctionné et quel rôle chaque élément avait eu sur quoi. Jusque-là, les gens avaient une vision très pointue sur un domaine précis, mais personne n’avait de vue d’ensemble», décrypte Samuel Eggenberger. Le résultat de son travail a été publié dans le magazine Biomaterials, une des trois revues de référence en ingénierie biomédicale. Une victoire pour son laboratoire, qui s’est ensuite vu cité dans nombreux médias australiens.
«Maintenant, je vois les pièces du puzzle s’imbriquer et révéler l’impact que j’ai eu sur ce projet. Je vois la toute petite partie de l’histoire que j’ai écrite. Et je suis très fier d’avoir réussi à sortir un article de qualité qui a été publié, mais je serai vraiment content quand j’aurai rendu ma thèse!»
Derrière son humilité et son doute éternel, le Nord-Vaudois gardera aussi une «gigantesque frustration», celle de ne pas avoir contribué à la mise sur le marché de cet appareil auquel il croit profondément. «J’ai encore un peu de chemin avant de voir mon rêve d’enfant se réaliser. Mais c’est le risque aussi en faisant ce genre de travail, on n’est qu’un maillon d’une très longue chaîne. On ne peut pas avoir une idée qui permette de concrétiser un projet en un claquement de doigts.»
Entre l’homme et la machine
Le principe de l’œil bionique est d’utiliser de l’électronique pour remplacer une vision déficiente. Le concept sur lequel travaille Samuel Eggenberger n’a donc rien de révolutionnaire en soi, puisque de nombreux scientifiques tentent de redonner la vue avec un œil bionique. En fonction de l’approche utilisée, il pourra corriger certaines pathologies. Dans le cadre du projet de l’Université de Sydney, il s’agit d’aider les personnes atteintes de rétinite pigmentaire et de dégénérescence maculaire liée à l’âge.
«Pour schématiser, on a deux principaux types de neurones liés à la vue: ceux qui servent à détecter la lumière et à la transformer en un signal électrique, et ceux qui vont prendre ces signaux et les envoyer au cerveau pour créer une image. Le point des deux maladies en questions est que les photorécepteurs disparaissent, mais les neurones voisins sont toujours là et attendent d’envoyer des informations au cerveau. On va donc utiliser de l’électricité pour parler directement à ces neurones, qui pourront à nouveau faire leur travail», résume l’ingénieur, qui précise que cet outil, contrairement à d’autres, peut facilement s’adapter aux besoins de l’utilisateur via une application.
Il ne faut toutefois pas croire que le dispositif peut rendre la vue à 100%, mais «un sens de la vue». «C’est une vue très basse résolution. Imaginez que votre écran compte plus de 3000 pixels de largeur et 2000 de hauteur. Là, avec un œil bionique, on parle de 10 pixels sur 10.» Cette vision rudimentaire, qui s’apparente plus à des halos de lumières et d’ombres, est toutefois préférable à un écran noir.
Comment ça marche?
Une caméra, placée sur des lunettes, filme la scène. Le module de communication sans fil, situé derrière l’oreille, reçoit les images. Le stimulateur, positionné sur l’œil, stimule les neurones de la rétine.
Les neurones envoient l’information au cerveau, qui les interprète comme de la vision.
©lllustration par Leanne & Jamie Tufrey
Le Nord vaudois a un petit air d’Australie
Samuel Eggenberger et Pauline Oberli sont arrivés en juillet 2018 à Sydney. Ils ont travaillé, voyagé et agrandi leur famille avec l’arrivée d’Ellin (2 ans) et Maylis (5 mois). Si les Nord-Vaudois adorent leur vie en Australie, ils n’excluent pas de revenir en Suisse. Mais dans tous les cas, ils auront une pensée émue pour le pays qu’ils laisseront derrière eux. «Les trois choses qui nous manquent le plus de la Suisse, ce sont le ski, les vins et le papet vaudois!», assure le couple. Et ce qui leur manquera de l’Australie lorsqu’ils seront de retour ici? «Les grands espaces, les plages et le surf, ainsi que les animaux étranges.»
Pour se rapprocher un peu de leur pays d’origine, Samuel Eggenberger et Pauline Oberli ont déniché des coins australiens qui avaient des airs de ressemblance avec leur patrie. «Le parc national Kosciuszko (en photo ci-dessus) a des endroits qui font beaucoup penser au Jura, avec ses petites montagnes (fierté des skieurs australiens malgré un plus haut sommet à 2228 m), assurent-ils. Nous avons aussi vécu un coucher de soleil à Long Jetty (en photo ci-dessous) qui nous a rappelé les soirées d’été au bord du lac de Neuchâtel, sauf qu’ici il y a des pélicans en plus!»