D’ici à fin 2025, plus aucun poussin ne devrait être tué dans
la filière de l’œuf suisse. La Suisse devient ainsi le premier pays où l’ensemble de la filière a pu se mettre d’accord sur une solution indépendante et aboutie.
« Les poules les plus heureuses pondent les meilleurs œufs ! » Fidèle à ce slogan, la Suisse a toujours été concernée par le bien-être des poules pondeuses, selon GalloSuisse, la filière nationale de l’œuf. En 1981, elle est d’ailleurs le premier pays au monde à interdire l’élevage en batterie, qui a été définitivement aboli en 1991. De plus, près de 90% des poules suisses ont accès à un parcours herbeux.
Pourtant, malgré cette apparence idyllique, la Suisse a longtemps laissé de côté ceux sans lesquels la filière de l’œuf ne pourrait pas exister: les poussins. Si, à la naissance, les femelles sont conservées pour devenir des poules pondeuses, les mâles, dont l’élevage est moins rentable, ont longtemps été mis à mort. Pour cause: s’ils ne produisent évidemment pas d’œufs, les frères des poules pondeuses ne sont pas non plus prisés pour leur viande.
Désireux de briser ce cycle de mises à mort, les acteurs de la filière de l’œuf suisse se sont réunis à maintes reprises, jusqu’à dévoiler vendredi dernier le fruit de leurs discussions, qui devrait permettre de mettre un terme définitif à l’abattage des poussins mâles d’ici à fin 2025. «On a très vite constaté qu’on ne pouvait plus se concentrer uniquement sur la production, et qu’on devait aussi travailler sur les défis dans notre filière » , explique Daniel Würgler, producteur à Gallipool Frasses et président de GalloSuisse.
Un véritable changement
Ce n’est pas la première fois que la Suisse prend des mesures pour les poussins. En 2020, le broyage a été interdit, laissant place au gazage au CO2. Une solution déjà importante en apparence, mais qui n’a finalement conduit qu’à déplacer le problème bien présent de la mise à mort de poussins d’un jour. Au moment de l’interdiction du broyage, la méthode n’était déjà plus utilisée en Suisse depuis une quinzaine d’années, explique Daniel Würgler.
Un véritable changement était ainsi nécessaire, et sa recherche ne s’est pas fait attendre.
Rapidement après la décision de trouver une solution, tous les acteurs de la filière se sont réunis, des couvoirs aux consommateurs, afin de trouver une solution bénéfique pour tous. « On n’avait pas envie de se faire imposer quelque chose qui n’est pas bien, comme en Allemagne ou dans les pays voisins. On voulait faire partie de la solution et y travailler activement » , témoigne encore le président de GalloSuisse.
Les mâles vivront plus longtemps
De ces heures de discussion, deux solutions ont été tirées, l’une pour la filière bio, et l’autre pour le milieu conventionnel.
D’ici à fin 2025, tous les poussins issus de filières biologiques seront élevés, qu’ils soient mâles ou femelles. Cette méthode, qui propose d’élever les mâles pour la viande, a l’avantage de permettre à tous les œufs d’éclore. Elle laisse aussi le choix aux producteurs d’opter pour l’élevage de coqs issus de lignées pondeuses, ou pour celui des poules à deux fins, particulièrement intéressant. A mi-chemin entre l’industrie des œufs et de la viande, les races de poules à deux fins présentent en effet des coqs produisant plus de viande que les coqs issus de lignées pondeuses, quoique des poules produisant légèrement moins d’œufs.
Durable, cette solution a aussi été étudiée par le domaine conventionnel, avant d’être rapidement écartée. «On a très vite compris qu’avec le nombre de poules, les infrastructures et surfaces que ça nécessiterait, et le prix de l’œuf qui n’est pas un label, on n’arriverait pas à une même solution » , confie Daniel Würgler. C’est que si les exploitations bio peuvent détenir aux alentours de mille poules pondeuses, les exploitations conventionnelles, comme celle de Daniel Würgler, peuvent en détenir 18 000. Avec un tel chiffre, élever des coqs en parallèle demanderait des surfaces bien trop importantes pour l’industrie actuelle.
Tués dans l’œuf
Le bien-être animal étant important, mais le rendement nécessaire, il a été décidé que le domaine conventionnel adopterait une méthode de détermination du sexe dans l’œuf. Réalisée par scanner entre les 11e et 12e jours, cette méthode, qui combine l’imagerie par résonance magnétique et l’intelligence artificielle, permet de photographier l’intérieur de l’œuf, et ainsi d’analyser les organes génitaux de l’embryon pour déterminer son sexe. Immédiatement après l’identification, les œufs de poussins mâles seront détruits, ce avant que l’embryon puisse ressentir de la douleur, au 13e jour. La masse obtenue sera utilisée comme source de protéines pour d’autres animaux, ou comme énergie dans le bio gaz.
La marge d’erreur de cette technologie récente étant d’environ 2%, la méthode de gazage actuelle reste en vigueur pour les poussins mâles nés par erreur. Ceux-ci ne seront toutefois pas jetés, et permettront de couvrir le besoin annuel de 500 000 poussins comme nourriture pour les rapaces ou certains animaux dans les zoos. «Si on n’avait pas ces poussins, on devrait les importer, ou élever des souris » , explique le président. Début 2025, les installations techniques permettant l’identification du sexe dans l’œuf seront mises en place dans les deux grands couvoirs conventionnels fournissant l’ensemble du marché suisse. Le coût de cette identification s’élèvera à 3 francs par poussin femelle, et le prix des œufs commercialisés en vente directe pourra ainsi augmenter d’environ 1,5 centime, selon la catégorie.
Bien que la réforme de la filière ne satisfasse pas encore tout le monde, elle représente un pas en avant non négligeable dans la filière de l’œuf suisse. De plus, les deux solutions adoptées permettent à chaque consommateur de choisir la leur. « Certains sont prêts à mettre plus d’argent pour le bien-être animal et un produit plus durable, alors que d’autres mettent plus de budget ailleurs » , conclut Daniel Würgler.