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Immersion dans la peau d’un migrant
Yverdon, 19 mai 2018. Amalgame, "Passage". © Michel Duperrex

Immersion dans la peau d’un migrant

22 mai 2018 | Edition N°2250

Pour la dernière journée de son programme lié aux problématiques de l’asile en Suisse, le Conseil des Jeunes a proposé le jeu de rôles Passages, qui a transformé les participants en des villageois contraints à l’exil, au moyen d’une mise en scène élaborée par l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés. Emotions garanties.

«Rassemblez-vous avec les personnes qui ont la même couleur de foulard que vous, ce sera votre famille.» Devant l’entrée de l’Amalgame, Andrès Guarin, formateur au sein de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés, donne les directives aux vingt participants du jeu de rôles Passages, que le Conseil des Jeunes d’Yverdon-les-Bains a proposé samedi dans le cadre de son programme «Asile en Suisse: parcours divers, regards croisés».

Aussitôt dit, aussitôt fait, le journaliste de 26 ans que je suis devient Monsieur Turinam, gérant d’un commerce âgé de 40 ans, mari d’une femme enceinte et père d’une fille de 7 ans et de jumeaux de 2 ans. Les yeux bandés par un foulard, les membres des familles d’un jour sont conduits dans la salle.

Départ forcé dans le noir

Une voix résonne: «Malgré une situation alarmante dans les régions alentours, le chef du village a invité les habitants à une sortie pour leur fête traditionnelle.» Soudain, des coups de feu retentissent, accompagnés par des cris et des gémissements, c’est la panique. «Vous pouvez ôter votre foulard», annonce enfin la voix. C’est le chaos, il faut retrouver ses proches et fuir au plus vite. Sur une feuille, le chef de famille doit indiquer les objets – un par personne – qu’il veut emporter. Passeports des parents, pain, couverture, argent et quoi encore? Trop tard, il faut partir.

Les yeux bandés, les participants ont été conduits à l’intérieur de l’Amalgame. Après avoir entendu plusieurs coups de feu, des cris et des gémissements, chacun a réagi, à sa manière, pour se mettre au plus vite à l’abri. ©Michel Duperrex

Des hommes armés – des pistolets factices et des pétards ont été utilisés pour le jeu – mettent fin à la tentative de fuite, séparant les chefs de famille de leur femme et de leurs enfants. Les villageois sont forcés d’entrer dans une salle, et certains sont interrogés de manière violente sur les motivations de leur départ.

Entre les mains des passeurs

Après cette séance d’intimidation, l’espoir arrive enfin. Profitant de l’absence de ces militaires malintentionnés, des passeurs interviennent et proposent leur aide, en échange d’argent et d’objets de valeur. Il n’y a pas d’autre solution, les villageois s’échappent avec eux et doivent traverser un terrain miné pour pouvoir accéder à la frontière, où les passeurs négocient pendant plusieurs minutes le sort des migrants.

Les migrants arrivent à la frontière. Après d’âpres négociations entre les passeurs et les militaires, toutes les familles, qui ont dû remplir tant bien que mal un formulaire indéchiffrable, parviendront à accéder à un camp de réfugiés. ©Michel Duperrex

L’arrivée dans un camp de réfugiés est vécue comme un soulagement, après ce long voyage. C’est là que ma femme accouche de Joseph, notre quatrième enfant. Une joie de courte durée. En effet, une jeune femme avec un gilet bleu fait passer des entretiens en anglais à chaque chef de famille pour connaître les raisons qui l’ont poussé à l’exil. S’ensuit une argumentation et de longues délibérations, avant que la nouvelle tombe enfin: notre famille a été choisie pour aller au Canada. C’est le début d’un nouveau voyage.

Gianluca Agosta