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Inquiétudes autour des eaux trop translucides du lac de Neuchâtel

15 octobre 2014

Les milieux de la pêche s’interrogent, se demandant si tous les efforts réalisés pour dépolluer le lac ne seraient finalement pas responsables de la diminution de la quantité de poissons pêchés. Un avis pas forcément partagé par les scientifiques. Enquête.

L’année est mauvaise pour le pêcheur Philippe Oberson. © Aubert

L’année est mauvaise pour le pêcheur Philippe Oberson.

Les eaux trop épurées de nos lacs et rivières auraient-elle causé une diminution des poissons? Cette thèse circule depuis un certain temps. L’Urbigène Etienne Maire, pêcheur amateur, aujourd’hui retraité après avoir travaillé dans le milieu de l’épuration des eaux, se pose en tout cas beaucoup de questions. Et craint qu’aucune preuve scientifique ne puisse prouver ses dires, qui inquiètent le monde des pêcheurs.

«Avec, notamment, l’arrivée des machines à laver et de certains engrais agricoles, le niveau de phosphore a considérablement augmenté dans nos lacs, au début du XXe siècle», explique le biologiste Blaise Zaugg, directeur et fondateur du bureau Aquarius, consultant spécialisé dans le domaine de l’environnement subaquatique et aquatique.

Ce phosphore a alors augmenté massivement la production de végétation aquatique et les poissons se sont mis à grandir plus rapidement. «Au début, les rendements élevés de la pêche satisfaisaient les pêcheurs, fait remarquer le scientifique. Mais dans les années septante, nous nous sommes rendu compte que les poissons pêchés étaient trop jeunes et que la concentration en oxygène au fond du lac diminuait. Les réglementations ont été adaptées suite à la diminution des populations de poissons et les phosphates ont été interdits en 1986. Nous avons alors commencé la déphosphatation des plans d’eau.»

Une amélioration qui, dans le fond, satisfait Philippe Oberson, pêcheur professionnel à Corcelles-près- Concise: «Aujourd’hui l’eau du lac de Neuchâtel est transparente, ce qui n’était pas le cas dans les années huitante. A l’époque, nous ressortions nos filets verts, tellement il y avait d’algues».

Changement d’ habitudes

Les populations de corégones se portent bien dans les eaux limpides. © Aubert

Les populations de corégones se portent bien dans les eaux limpides.

Ce qui l’inquiète néanmoins, aujourd’hui, c’est de voir une grande quantité de calcite (un minéral composé de carbonate de calcium) se déposer sur les filets. «Ce dépôt brun-gris est très embêtant, car il rend les filets visibles pour les poissons, qui peuvent ainsi les éviter, explique le pêcheur. Mais surtout, nous constatons que ceux-ci changent de comportement. Nous ne les trouvons plus dans les profondeurs où ils devraient être à cette saison.»

Pour Philippe Oberson, l’année n’est pas bonne au niveau de la pêche et l’eau transparente, qu’il considère comme «trop propre», pourrait donc jouer un rôle dans ce changement des habitudes des perches et des corégones. «J’espère que cette mauvaise passe est due à la météo de cet été. Nous verrons bien si les bondelles se cachent plus loin. En octobre, nous pouvons les pêcher dans des eaux plus profondes», précise-t-il, en se demandant si la déphosphatation n’a pas été trop importante.

Le lac se porte bien

Pourtant, selon les statistiques de pêche du Canton de Vaud, le nombre de prises n’aurait pas diminué ces dernières années dans le lac de Neuchâtel. «Bien que les pêches n’aient pas été constantes ces six dernières années, les chiffres montrent qu’il n’y a pas moins de poissons et que les populations se portent bien», fait remarquer Pierre-Alain Chevalley, de la division protection des eaux à la Direction générale de l’environnement du Canton de Vaud.

«Le lac de Neuchâtel contient maintenant, moins de 15 microgrammes de phosphore par litre. Nous avons globalement moins d’algues, mais une végétation plus variée. Cette dernière est très importante pour les poissons lacustres en tant que zone de ponte, nurserie et garde-manger. Du côté des invertébrés nous pouvons à nouveau observer de grandes quantités de mouches de mai et le zooplancton est bien présent. Il constitue la base nutritionnelle de la plupart des poissons recherchés par les pêcheurs » fait remarquer Pierre-Alain Chevalley.

Moins de perches dans l’eau propre

Pour Frédéric Hofmann, conservateur de la pêche à la Direction générale de l’environnement, l’assainissement doit être réfléchi. «Une nouvelle réduction du taux de phosphore dans ce lac, déjà pauvre en éléments nutritifs, ne se justifierait que s’il améliorait significativement la biodiversité. Nous observons qu’en dessous de cinq à dix microgrammes de phosphore par litre, le rendement de la pêche est fortement touché».

En vert, l’évolution de la quantité de phosphore par litre dans le lac de Neuchâtel. DR

En vert, l’évolution de la quantité de phosphore par litre dans le lac de
Neuchâtel.

«Le lac de Neuchâtel est, en effet, redevenu propre et aucune espèce n’a disparu», confirme Blaise Zaugg, directeur d’Aquarius. Il reconnaît néanmoins qu’il y aurait plus de perches si l’eau était plus sale. «Cependant, il faut trouver un juste milieu. L’état actuel profite aux corégones et il faut se rendre compte qu’il n’y a pas que les poisons qui profitent du lac. N’oublions pas les invertébrés, les oiseaux et encore les baigneurs.»

Selon Frédéric Hofmann, «l’inquiétude des pêcheurs est une réaction normale, vis-à-vis de ce que leurs confrères suisses allemands subissent. Il est vrai que les lacs de Brienz ou de Constance ont un niveau très faible de phosphore, engendrant l’abandon d’exploitations de pêche. Mais la situation n’est pas encore la même sur les bassins versants comme le Léman ou le lac de Neuchâtel.»

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