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«J’ai lâché quelques larmes seule à la maison»
Audrey Riat. © Michel Duperrex

«J’ai lâché quelques larmes seule à la maison»

7 juin 2021 | Edition N°2966

Football - Fidèle parmi les fidèles, Audrey Riat a mis un terme à sa carrière après 19 ans années passées sous les couleurs d’Yverdon Féminin, avec qui elle a tout connu, et notamment les plus grands succès du club.

Audrey Riat, quelques jours après avoir terminé votre carrière, comment vous sentez-vous?
Je me sens bien. Lundi, j’ai lâché quelques larmes seule à la maison, notamment en voyant ce que le journal m’a consacré. Ça m’a touchée, je ne m’attendais pas à ce qu’on fasse tout ça pour moi.

Vous êtes au club depuis 2002, c’est un record. Vous rendez-vous compte de ce que vous représentez pour Yverdon Féminin?
Je ne sais pas. En tout cas, quand je suis venue ici, je n’ai jamais pris le club comme une rampe de lancement pour partir ailleurs. Cela aurait néanmoins pu me plaire de tenter ma chance à l’étranger à une époque, mais je n’en ai jamais eu l’opportunité.

Vous avez aussi évolué un peu en équipe de Suisse.
Oui, mais je ne me plaisais pas forcément. Mes expériences avec l’équipe A ne m’avaient pas plu. Il y avait aussi la barrière de la langue.

Avec YF, vous avez tout vécu.
Deux promotions, une relégation, deux victoires de Coupe de Suisse et deux fois vice-championne…

 

«Je ne m’attendais pas à ce qu’on fasse tout ça pour moi.»

 

Quels souvenirs vous reviennent à l’esprit en regardant votre carrière ici?
Je pense surtout aux personnes avec qui j’ai joué. Pour certaines, je me dis que j’ai quand même eu de la chance d’évoluer avec elles. Certains matches restent dans la tête aussi, dont les deux finales de Coupe remportées. De la première promotion en LNA, je ne me souviens pas tellement du match, mais qu’on a fêté en fumant des cigares dans le vestiaire à Staad. Je me souviens aussi du jour du décès du papa de notre coéquipière Camille Raemy. Elle était quand même venue jouer. On perdait 2-0 à la mi-temps contre GC, et on s’était imposées 3-2. On n’avait pas osé le dire tout de suite, mais je crois que ce jour-là, on a toutes eu cette impression d’avoir été aidées par quelque chose. Ce sont des moments qui marquent. Une amie avait perdu son père. Le foot, c’est aussi des moments comme ça, c’est la vie au sens large au sein d’un petit comité, d’une petite famille.

Que représente Yverdon Féminin à vos yeux?
Des valeurs. On m’a toujours bien traitée en tant que personne ici, et c’est le cas pour tout le monde. On n’est pas des numéros. C’est notamment Linda (ndlr: Vialatte, la présidente) qui véhicule cela.

Caroline Abbé, Maeva Sarrasin et Valérie Gillioz, qui ont toutes joué avec vous à Yverdon dans les années des succès, et qui viennent de terminer leur carrière sur un titre national avec Servette, prennent également leur retraite, comme vous. La page se tourne sur toute une époque.
Oui, j’ai aussi cette impression. J’y ai pensé l’autre jour. Ce sont un peu des mythes du foot féminin romand qui s’en vont. Mais on ne s’est pas du tout concertées, hein!

Footvaud vous avait présentée comme le meilleur pied gauche du canton…
Oui, c’est quelque chose qui me touche, mais qui me gêne. Je n’aime pas me mettre en avant. Mais c’est vrai, j’ai un bon pied gauche.

 

«Le foot, c’est la vie au sens large au sein d’un petit comité, d’une petite famille.»

 

Comptiez-vous vos statistiques en carrière?
Non, jamais. Mais je suis allée voir dernièrement, et j’ai constaté que je marque beaucoup moins qu’avant. J’inscrivais alors plus d’une dizaine de buts par saison. Il faut dire que c’était plus compliqué de marquer lorsque je me retrouvais en défense centrale.

Vous avez joué partout, c’est vrai.
J’ai commencé devant, puis je me suis retrouvée milieu gauche, puis latérale – notamment lors de la première finale de Coupe, car Carolyn Mallaun s’était blessée –, puis dans l’axe au milieu et en défense. Gardienne, c’est le seul poste que je n’ai jamais occupé.

Depuis 2002, qu’est-ce qui a changé?
Les gens, déjà! Lorsque je suis arrivée, j’étais l’une des plus jeunes. Tout est désormais plus structuré. Parfois, les filles ne se rendent pas compte de comment c’était avant. Au début, personne ne nous massait et, là, le lundi, on a parfois quatre personnes différentes pour les soins. Il y a aussi les infrastructures. A l’époque, on n’avait même pas le droit de jouer sur le terrain A.

Comment imaginez-vous l’avenir du club?
Dans l’immédiat, il va falloir recruter un peu, afin d’avoir un contingent plus large et quelques joueuses d’expérience pour la Super League. Le saut est énorme. J’espère que tout le monde va rester et, du plus profond de mon cœur, que l’équipe va se maintenir.

 

«A l’époque, on n’avait même pas le droit de jouer sur le terrain A.»

 

Et vous, qu’allez-vous faire de vos soirées?
J’ai rendez-vous vendredi avec le club pour en discuter. Si j’entraîne, mes soirées seront prises. Pendant le coronavirus, j’ai quand même apprécié d’avoir du temps libre, de ne pas être stressée dans le trafic, après le boulot, pour venir. Mais une fois ici, j’étais contente.

La décision d’arrêter, vous l’avez prise il y a longtemps?
Il m’était arrivé d’y penser, mais je me suis décidée samedi il y a une dizaine de jours. J’ai écrit le lundi matin à Linda.

Qu’est-ce qui vous a fait trancher?
Une certaine lassitude, le fait qu’on allait rechanger d’entraîneur, je n’avais plus envie de me réhabituer à un nouveau coach et, surtout, je n’avais plus envie de jouer en LNA. C’est un investissement bien plus grand, il y a souvent deux matches dans la semaine, avec de longs déplacements, et je n’étais plus prête à faire tout cela. Je n’ai plus 20 ans, j’ai besoin de plus de temps pour récupérer, on joue aussi souvent sur des synthétiques, ce qui n’est pas agréable pour le corps. J’ai eu des petits bobos, et mon corps m’a dit qu’il était temps. Mais c’est sûrement ma tête qui me l’a aussi dit.

 

Audrey Riat
Âge: 34 ans.
Domicile: Morges.
Profession: employée de commerce à la Coop à Aclens.
Parcours dans le foot: Audrey Riat fait ses débuts au FC Tolochenaz, vers 7 ans, avec son petit frère, avant de rejoindre l’équipe féminine du Lausanne-Sport en 2e ligue, puis en 1re ligue. Elle intègre alors les cadres nationaux juniors et rejoint Yverdon Féminin en 2002. «A 15 ans, c’était mon rêve de jouer à Yverdon», lance celle qui prend sa retraite en 2021. Elle compte «trois ou quatre» sélections en équipe nationale A.
Palmarès: deux promotions en LNA (2006 et 2021), deux Coupes de Suisse (2010 et 2011), deux fois vice-championne de Suisse (2009 et 2010) avec Yverdon Féminin.
L’anecdote: a, par superstition, porté la même culotte à absolument chaque match depuis la victoire en Coupe de Suisse de 2010. Elle l’a jetée après son dernier match samedi dernier, accompagnée des chants de ses coéquipières en l’honneur de l’objet porte-bonheur. «Qui a raconté ça? Je n’aime pas trop le changement… C’est peut-être aussi pour ça que je suis restée si longtemps à Yverdon. Je me sentais bien ici, je ne voyais pas pourquoi changer.» Et Audrey Riat d’ajouter: «J’aurais pu partir à Servette lorsqu’on a été reléguées en LNB, mais il est trop facile de s’en aller quand tout va mal.»

Manuel Gremion