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« Je n’ai même pas eu le temps d’avoir une tenue suisse »

6 août 2024
Edition N°3760

Sylvain Fridelance a appris dimanche à 13h qu’il devait se rendre dans la capitale française pour être au départ du relais mixte de triathlon le lendemain à 8h. Un enchaînement fou, qui s’est conclu par un diplôme olympique.

Texte: Muriel Ambühl, Paris | Photo: Keystone / Anthony Anex

Lorsqu’il a enfourché son vélo pour une bonne séance d’entraînement, dimanche en fin de matinée, le triathlète de Saint-Barthélemy Sylvain Fridelance, deuxième remplaçant pour la Suisse chez les hommes, s’était fait une raison : il ne concourrait pas aux Jeux olympiques de Paris. Et pourtant. Deux heures plus tard, le téléphone du sociétaire du Tryverdon sonnait : il lui fallait de toute urgence sauter dans le train en direction de la capitale française !

Sylvain Fridelance, moins de vingt heures se sont écoulées entre le moment où vous avez appris que vous alliez finalement participer aux JO de Paris et votre entrée en lice. Racontez-nous.

Quand j’ai vu qu’Adrien Briffod était malade et que Simon Westermann le remplaçait pour le relais mixte (ndlr : l’annonce a été faite samedi), j’ai envoyé un mail à la fédération suisse pour dire que, si jamais, je pouvais prendre le TGV pour venir à Paris, au cas où. Mais on m’a répondu que ça allait jouer, que Simon était prêt. Alors, lorsque je suis parti rouler, dimanche à 11h, je me suis dit qu’il n’y avait plus aucune chance pour qu’on m’appelle. En rentrant de ma séance, j’ai envoyé un message à Simon pour lui dire de profiter des Jeux, de cette chance qui s’offrait à lui. Cinq minutes plus tard, j’ai reçu un appel de la cheffe de Swiss Triathlon, qui me disait que je devais monter à Paris et le remplacer (ndlr : Simon Westermann étant lui aussi tombé malade). C’était complètement inattendu !

Votre sortie à vélo aurait-elle été aussi conséquente, si vous aviez su plus tôt que vous seriez en lice aux JO le lendemain ?

Au moment où j’ai appris qu’Adrien ne serait pas au départ et que le premier remplaçant prenait sa place, j’ai appelé mon coach. J’étais frustré, parce que j’ai pensé que j’avais vraiment touché les Jeux du bout des doigts, sans pouvoir y aller. Mais il m’a dit : « Non, écoute, tu deviens le premier remplaçant, on ne sait jamais, on va adapter l’entraînement. » Ce qu’on a fait, même si ça ne s’est évidemment pas transformé en préparation pour les JO. Pour moi, c’était sûr que je n’allais pas y participer, donc j’ai quand même eu une belle semaine d’entraînement. Mais tant mieux qu’on ait réalisé ces petites adaptations.

Comment cela s’est-il ensuite enchaîné, sur le plan organisationnel, une fois informé de votre départ pour Paris ?

Il y a eu un peu de stress, parce qu’il fallait faire les accréditations, tout ça. Je n’ai même pas eu le temps d’avoir une tenue suisse. Je me suis couché à presque 1h du matin, et il m’a fallu un moment pour m’endormir, parce que c’est à l’instant où je me suis posé dans le lit que j’ai commencé à ressentir la pression et l’enjeu. Jusque-là, je n’avais pas eu le temps de réfléchir. La nuit a donc été courte, puisque le réveil a sonné à 4h du matin.

Quelles ont été vos sensations pendant la compétition, après avoir vécu des dernières heures aussi mouvementées ?

Je suis satisfait de ma course, vu les conditions dans lesquelles je suis arrivé à Paris. J’étais bien concentré, je ne me suis pas laissé dépasser par tout ce qui s’est passé en si peu de temps. Cependant, j’ai eu une grosse frustration : la Suisse était au 3e rang quand j’ai reçu le relais (ndlr: il était troisième relayeur), il y avait un petit trou avec les deux premiers, que j’ai réussi à combler lors de la natation et, à la sortie de l’eau, j’ai glissé sur le ponton, je suis retombé dans la Seine et j’ai dû ressortir une nouvelle fois. C’est pour ça que je ne suis pas parvenu à partir avec le duo de tête pour la suite. Sinon, en matière de performance, je suis satisfait, parce que c’était quand même particulier. J’ai dormi deux heures et demie cette nuit, il y a des meilleures conditions pour arriver sur une course. Mais, au moins, ça m’a permis de ne pas trop réfléchir.

La Suisse termine 7e du relais mixte. Cela correspond-il à ce que vaut le quatuor que vous avez formé avec Max Studer, Cathia Schär et Julie Derron ?

Je pense que l’équipe peut espérer davantage, qu’on est capables de faire mieux. Mais on a quand même assuré un diplôme, et c’est l’essentiel. À titre personnel, je suis carrément heureux d’avoir pu vivre cette expérience. C’est juste de la folie, entre le cadre, le public, c’était génial ! La cerise sur le gâteau aurait été qu’on puisse se dire : « Wouah, on a réalisé une course de folie » en matière de résultat, mais il n’en reste pas moins que qu’on a effectué une bonne prestation.

«Lorsque je suis parti rouler, dimanche à 11h, je me suis dit qu’il n’y avait plus aucune chance pour qu’on m’appelle. »

Aviez-vous suivi les JO, avant de savoir que vous y participeriez ?

Je m’entraîne avec un athlète français qui était aux Jeux et avait une chance de médaille. Au moment de l’épreuve individuelle, la semaine passée, je me suis dit: «Allez, mets ton ego de côté et vas voir la course», et j’ai fait l’aller- retour en TGV. Je savais que ça allait être difficile de voir les autres courir alors que je rêvais de faire cette compétition. Et au final, l’épreuve individuelle masculine a été déplacée (ndlr: du mardi au mercredi, en raison de la qualité insuffisante de l’eau de la Seine), donc j’ai fait le trajet pour rien.

On a beaucoup parlé du choix de faire nager les triathlètes dans la Seine. Comment cela s’est-il passé pour vous ?

Franchement, bien. Tout ce que j’espérais, c’est que ce soit un triathlon et pas un duathlon (ndlr : l’une des possibilités de repli était de supprimer la partie natation) parce que, pour moi, ça dénature ce qu’est notre sport. Après, je compose avec les éléments, si on doit nager dans la Seine, j’y vais. Je considère qu’il faut faire confiance aux tests qui ont été réalisés. Il y a beaucoup de polémiques, mais le courant me préoccupait plus que la qualité de l’eau. Ma famille avait probablement un peu d’appréhension, pas moi. Peut-être que je vomirai demain, mais qu’importe, la compétition est passée…

En parlant d’athlètes malades, Adrien Briffod a fait part de son incompréhension, sur les réseaux sociaux, de ne pas être au départ du relais mixte avec la Suisse, affirmant être rétabli. Avez-vous eu l’occasion d’échanger avec lui ?

Très brièvement. De toute façon, ce n’est jamais vraiment entre les athlètes, ce genre de problèmes. Ce n’est pas entre eux que ça se règle. Quand il y a des décisions pareilles, c’est toujours compliqué. En ce qui me concerne, on me dit que je dois faire la course, donc j’y vais. Ce n’est pas à moi de me poser ces questions. Je ne suis pas médecin. Être professionnel, c’est venir et faire le job. Les autres étaient déjà au lit lorsque je suis arrivé au village olympique dimanche, donc je ne les ai croisés qu’à 4h du matin, au petit-déjeuner avant la course. Ce n’était pas le moment de parler de ça.

Vous n’aviez pas été retenu pour vous aligner avec le relais mixte aux Mondiaux à Hambourg, alors que vous étiez le meilleur Suisse la veille lors de l’épreuve individuelle. Est-ce une petite revanche pour vous, de participer in extremis aux JO ?

Les sélections font toujours des déçus. C’était mon cas en Allemagne, j’étais frustré. Mais je le vois plus comme une revanche personnelle, dans le sens où j’ai vécu une fin d’année dernière difficile, car j’étais dans le coup pour la qualification olympique jusqu’à la mi-saison puis, après une commotion cérébrale et quelques soucis, j’ai enchaîné les mauvaises courses. Alors pouvoir finalement concourir ici à Paris, après avoir senti que j’étais en train de récupérer mon niveau d’avant, c’est une belle satisfaction.