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«Je n’ose même plus ouvrir ma boîte mail»

29 octobre 2020

Le très populaire Brice Claverie-Simon se trouve dans une situation financière compliquée. Et il n’a aucune peine à la détailler.

Le «Roi des copeaux» est dans le dur. Figure emblématique des bals de jeunesse et des mariages, Brice Claverie-Simon est à l’arrêt depuis le printemps et il commence vraiment à trouver le temps long. Lundi, c’est dans la cuisine de son appartement du sixième étage d’une tour du quartier Pierre-de-Savoie qu’il reçoit La Région autour d’un verre d’eau gazeuse, après avoir lancé un vibrant appel sur les réseaux sociaux. Brice, c’est d’abord une voix, un charisme, une présence et l’ami de tous. L’homme qui a accompagné en musique les premiers baisers des adolescents de la région, des gamins qu’il retrouve parfois des années après lorsqu’il joue à leur mariage. «Souvent, les invités viennent avec des sacs remplis de copeaux et les lancent en l’air quand je commence à chanter Kiss me, c’est devenu ma marque de fabrique», sourit l’Yverdonnois de naissance, qui n’a pourtant pas le coeur à rigoler depuis quelques semaines.

La situation devient en effet tendue pour lui et il n’hésite pas à détailler ses soucis à l’aide de chiffres. «Depuis mars, j’ai eu 60 dates annulées, soit environ 40 000 francs qui ne rentrent pas. Sachant que j’en déclare environ 50 à 55 000 par année, je n’ai pas besoin de vous expliquer différemment, je pense…» Sa compagne, toiletteuse pour chiens, étant également indépendante, les revenus du couple ont brutalement chuté. Brice se fait du souci pour l’avenir, surtout au vu de la situation s’empirant de jour en jour. Dans l’appartement jouent deux enfants en bas âge et il faut bien penser à eux, aussi. Car la musique n’est pas un hobby pour Brice, il s’agit de sa profession.

«Je suis musicien depuis vingt-cinq ans. J’y consacre mes soirées, mes week-ends, j’adore ça. J’aime apporter du bonheur aux gens, interagir avec eux.» L’homme n’est pas un rêveur, pas un idéaliste. Les petits boulots, il les a faits. «J’ai été nettoyeur, chauffeur-livreur… Je me suis bougé et je continue à le faire.» La preuve: alors que ses concerts s’annulent les uns après les autres («Je n’ose même plus ouvrir ma boîte mail, je sais qu’il y aura une mauvaise nouvelle à chaque fois»), il a décidé d’en organiser un lui-même, avec la précieuse aide de Stéphanie. «On a bossé comme des fous pendant des jours, on a tout organisé, on a fait un concept Covid au top… et on a gagné 100 francs.» Ce 15 août 2020 restera pourtant à vie dans la mémoire du couple, puisque Brice a profité de ce seul concert de l’été pour… demander Stéphanie en mariage! «La bague est bien la seule dépense que j’ai faite cette année», sourit-il, soulagé d’avoir pu s’offrir un moment de bonheur au milieu d’une année 2020 qui s’apparente à un océan de malheur.

Si toutes les fêtes de jeunesse et les mariages s’annulent, et que les concerts privés ne rapportent rien, que reste-t-il? «Je comptais un peu sur les anniversaires, ce genre de choses, mais je peux oublier», soupire l’Yverdonnois de 41 ans, qui a eu une idée: aller jouer dans la rue. «Honnêtement, ça m’a demandé du courage, je ne me voyais pas forcément faire ça. Mais j’ai mis ma fierté de côté et je me suis présenté au poste de police la semaine dernière.» Verdict? Niet. «J’ai été très déçu. Je suis arrivé avec ma guitare et l’accueil a été glacial. La dame à la réception m’a expliqué que j’arrivais trop tard et que le nombre de musiciens de rue était limité à trois pour ne pas qu’il y ait trop de bruit. Je lui ai répondu que je ne voulais pas faire du bruit, mais de la musique…» Bref, Brice est reparti avec sa guitare sous le bras, direction son appartement de Pierre-de-Savoie.

L’ État l’a bien aidé, un peu, en lui allouant 300 francs par mois, puis 700, au titre des APG. «C’est mieux que rien, hein, mais c’est quand même compliqué et ça ne suffit pas à payer le loyer. Quand mes amis me disent qu’on est tous à la même avec ce virus, je leur réponds que non. Eux, ils ont perdu cinq semaines et ils ont touché au pire 80% de leur salaire. Là, ça va faire sept mois que je touche entre 300 et 700 francs par mois, c’est quand même compliqué.»

 

«Je ne conteste pas les mesures»

 

Brice n’est pas un «révolté du Covid», comme il le dit lui-même. «Je suis sûr que ce virus est dangereux et qu’il faut se protéger. Je ne conteste en aucun cas les mesures prises par la Confédération et le Canton, on doit se protéger. Mais ce que je demande, c’est que ma profession, celle de musicien, soit mieux reconnue. On doit quand même accepter que j’existe!», soupire Brice Claverie-Simon, qui a envie de lancer un appel à Alain Berset. «Je ne sais pas s’il est à l’écoute, ou comment je peux l’atteindre, donc j’aimerais bien qu’il lise ce que j’ai à dire: monsieur Berset, pensez qu’il existe des gens comme moi qui se trouvent en dehors du champ d’action de vos mesures.»

En attendant une réponse éventuelle du conseiller fédéral, Brice ne reste pas inactif. «J’ai décidé de donner des cours de guitare et ça marche déjà bien, ça me fait une petite rentrée… Sinon, je fais des concerts sur Facebook. Ca ne me rapporte pas d’argent, mais ça permet de rappeler que j’existe, que je ne me laisse pas aller. C’est important, même si ce n’est pas ça qui me permet de payer mon loyer.» Brice ne demande qu’une chose: pouvoir continuer à exercer son métier et remplir à nouveau une déclaration d’impôts. «Le seul point positif de cette année, c’est que je ne vais pas payer beaucoup d’impôts l’année prochaine», trouve-t-il la force de sourire. Parce que pour le reste, sa situation personnelle devient inquiétante. «Je vis sur les réserves et je me fais un point d’honneur de payer mes factures à l’heure, c’est quelque chose de très important pour moi. Mais là, ça va devenir compliqué.»