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«Je suis du genre discret, introverti»
Marko Misic. © Gabriel Lado

«Je suis du genre discret, introverti»

20 mai 2021 | Edition N°2957

Football – Promotion League – Arrivé à Bavois à l’hiver 2020, le Croate Marko Misic agace parfois par sa nonchalance. L’ailier de 28 ans s’explique avant le derby de samedi (16h) contre Yverdon Sport.

Marko Misic, si votre pied gauche fait l’unanimité, on vous reproche régulièrement de ne pas assez courir sur le terrain et de ne pas revenir défendre…
La défense, ce n’est pas vraiment mon boulot, donc pas ma priorité. Moi, je suis sur le terrain pour marquer et offrir des occasions à mes coéquipiers. Je sais quels sont mes points forts. Pour le reste, ce n’est pas vrai, je cours! Certains, comme Kristijan Ivanov, sont capables de faire des pointes rapides, moi je vais un peu toujours au même rythme. J’ai un langage corporel qui peut laisser penser que je ne suis pas totalement impliqué, mais si on me met un tracker pendant un match, on verra que je joue. Après, je suis moins bien physiquement maintenant qu’à l’automne. Je ne sais pas si c’est parce que j’ai eu le Covid, mais il m’arrive d’avoir les jambes lourdes. Samedi dernier par exemple, les dernières quinze minutes, j’étais mort, je n’arrivais pas à reprendre mon souffle.

Lors du match contre Bâle II, mi-avril, votre prestation sur le terrain avait suscité un certain agacement en tribune et Bekim Uka vous avait sorti à l’heure de jeu. Que s’est-il passé ce jour-là?
Je n’étais pas présent mentalement. J’avais dû faire un aller-retour en Croatie les jours précédents après le brusque décès de ma cousine. J’ai d’abord pensé dire à Bekim «mets-moi sur le banc, parce que je ne me sens pas prêt, je ne suis pas bien», mais je me suis finalement dit que j’allais jouer. C’est un match à oublier.

Votre nonchalance fait aussi beaucoup parler.
Ce n’est pas volontaire, je suis comme ça. Je ne suis pas quelqu’un qui parle beaucoup, je suis du genre discret, introverti. Je pense que beaucoup de gens n’ont pas encore compris qui je suis vraiment, me prennent pour quelqu’un d’arrogant. Après, si j’écoute ce que mes coéquipiers ont à me dire, je ne suis pas non plus quelqu’un qui se laisse marcher sur les pieds.

On ne le sait pas forcément, mais c’est en Allemagne que vous avez commencé le foot…
Oui. Je suis né en Bosnie, mais avec ma famille, nous sommes rapidement partis en Croatie quelques mois, puis en Allemagne à cause de la guerre. C’est là-bas que j’ai commencé à jouer au foot, avec mon grand frère Darko, à l’âge de 4 ans. Nous sommes rentrés en Croatie deux années plus tard, et vers 13-14 ans, j’ai intégré une structure professionnelle à Zagreb, ce qui m’a permis d’évoluer en première division pour les jeunes, sous les couleurs de Croatia Sesvete. Ce n’était pas facile, car mon frère et moi avions quarante minutes de train à faire entre Ivanic-Grad, là où nous vivions et allions à l’école, et la capitale, où nous avions les entraînements tous les jours. Surtout que trois fois par semaine, nous avions deux entraînements dans la journée. Ma mère nous préparait toutes nos affaires et de quoi manger pour que nous ne devions pas repasser par la maison. Cela a duré cinq ans, mais c’est ce que le foot professionnel demande. J’ai beaucoup progressé là-bas.

Pourquoi avoir ensuite choisi de partir en Bosnie?
À 18 ans, mon manager m’a dit que ce serait plus facile pour moi de jouer avec l’équipe nationale M21 de Bosnie qu’avec celle de Croatie, car il y a beaucoup de talents. Je me suis donc engagé avec un club bosnien pour ma première année en seniors. Et comme cela se passe souvent dans le foot, mon manager me disait toujours «tu vas aller jouer ici, là-bas» et au final, ce n’était pas le cas. Je n’ai donc pas pu intégrer la sélection nationale. Mais mon frère si.

«Ma dernière saison en Bosnie a été vraiment bonne. Je me suis retrouvé parmi les meilleurs joueurs du championnat, et j’ai eu beaucoup d’offres. Mais rien ne s’est concrétisé.»

 

Après sept ans comme footballeur professionnel là-bas, vous débarquez en Promotion League. Expliquez-nous.
Ma dernière saison en Bosnie a été vraiment bonne, je me suis retrouvé parmi les meilleurs joueurs du championnat, et j’ai eu beaucoup d’offres. Mais après qu’on m’a demandé de patienter quelques semaines, le temps que le club qui m’intéressait vende un joueur, tout est finalement tombé à l’eau. Rien ne s’est non plus concrétisé avec les autres formations que j’ai approchées. Je me suis ensuite marié, et j’ai choisi de venir rejoindre ma femme, qui est Croate mais a toujours vécu en Suisse. J’ai contacté un pote, avec qui j’avais joué en Bosnie, qui évoluait à Carouge, il a montré mes vidéos au club, et c’est comme ça que j’ai commencé à jouer là-bas, à l’été 2019. Comme j’habite à Genève, cela m’arrangeait d’être dans une équipe proche de chez moi.

Six mois plus tard, vous vous engagiez pourtant avec Bavois…
Carouge voulait que je reste, mais le club n’avait pas de travail à me proposer. Et moi, j’avais besoin de trouver quelque chose, car ma femme était enceinte. Un ami m’a alors dit que Bavois cherchait quelqu’un, j’ai contacté le club et j’ai dit que je viendrais si on me donnait du boulot, car j’avais besoin de plus d’argent que ce que je gagne avec le foot.

Le président Jean-Michel Viquerat vous a donc embauché dans son entreprise.
Oui, pour la partie sanitaire et traitement des eaux. Même si j’ai aidé un peu dans l’entreprise de construction de mon père, en Croatie, c’était quelque chose de nouveau pour moi. Ajoutez à ça le fait que je ne parlais pas français et que je n’avais jamais travaillé à côté du foot, les débuts ont été difficiles!

À 28 ans et après avoir joué en première et deuxième divisions bosniennes, aspirez-vous à évoluer plus haut en Suisse?
J’avais eu des contacts pour jouer en Challenge League, mais c’était trop loin de Genève. Si j’ai une opportunité de jouer en Super League, pourquoi pas. En Challenge League, cela dépendrait surtout de l’offre, car je n’ai plus envie de ne rien faire de mes journées en dehors des entraînements, et de la durée du contrat, parce que je n’ai pas envie de me retrouver sans rien un an plus tard. Et je suis bien à Bavois: j’ai du boulot, je joue. Cela me suffit pour être content.

 

Bekim Uka: «Sa nonchalance en agace certains, mais pas moi»
Ce qui a convaincu Bekim Uka d’intégrer Marko Misic à son effectif? «Son aisance technique et son pied gauche. On a eu pas mal de gauchers à Bavois par le passé et, là, ça manquait un peu dans l’équipe. Sa nonchalance en agace certains, mais pas moi. C’est son style de jeu. On peut considérer ça comme un défaut, mais ma foi, personne n’est parfait et Marko a tellement d’autres qualités. Il sent le football, il joue juste.»
L’entraîneur du FCB s’est toutefois employé à lui expliquer qu’il ne fallait malgré tout pas oublier le travail défensif. «Je lui ai dit que quand on était dominés, il fallait se retrousser les manches et défendre. Mais ce n’est pas son fort, ça c’est sûr, rigole Bekim Uka. Il a joué dans des pays des Balkans, où l’accent est plus mis sur la technique que le reste, alors il faut aussi du temps pour s’habituer au changement. J’ai essayé de lui expliquer un peu comment ça fonctionne ici, ce que les gens attendent.»
Et le technicien de souligner que la prestation réalisée par l’ailier gauche jusqu’à présent cette saison le satisfait: «Marko parvient à faire la différence sur le plan offensif, il a inscrit six buts et compte plusieurs assists (ndlr: quatre) à son actif, alors ce n’est que du positif.»

 

Robin Enrico: «Il a un pied gauche que peu de joueurs ont dans la ligue»
«Marko nous a apporté un vrai plus au niveau des statistiques de buts. C’est vrai qu’il y a eu une intégration un peu difficile au niveau tactique, parce qu’on avait déjà Adrian Alvarez qui a un statut qui lui permet de défendre moins. Et du moment qu’on a eu un deuxième joueur qui défendait peu sur le terrain, ça a posé quelques problèmes, relève Robin Enrico. Mais on a eu des discussions et, au fur et à mesure, il en a pris conscience et a amélioré ça. Je suis d’accord avec lui quand il dit que ce n’est pas sa priorité, mais il y a un minimum à faire. Il doit y avoir un travail d’équipe, on doit défendre tous ensemble, comme on doit l’aider lui quand il attaque.»
Le portier bavoisan salue en revanche le coup de patte de Marko Misic: «Il a un pied gauche que peu de joueurs ont dans la ligue. Quand il est en position de frappe, que ce soit à l’entraînement ou au match, il est très, très dangereux. Il peut avoir plus de réussite, il a eu les occasions pour. Mais ce qu’il a réalisé pour une première saison à Bavois, c’est déjà très satisfaisant.»
Et en dehors du terrain? «Marko est quelqu’un d’assez discret, mais qui est intelligent, calme, posé. En tant que coéquipier, on a que du bien à dire sur lui.»

Muriel Ambühl