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«Je suis heureuse que les femmes se remobilisent!»
Yverdon, 29 avril 2019. Liliane Valceschini. © Michel Duperrex

«Je suis heureuse que les femmes se remobilisent!»

1 mai 2019 | Edition N°2488

En 1991, les femmes avaient fait grève, sous l’impulsion de Liliane Valceschini. à six semaines d’une nouvelle journée de débrayage, l’ancienne ouvrière évoque son combat de l’époque.

La grève des femmes de 1991, c’était elle. Dans son usine horlogère, à la vallée de Joux, Liliane Valceschini, 53 ans à l’époque, en avait eu marre. Marre que l’égalité salariale, pourtant inscrite dans la Constitution fédérale depuis 1981, ne soit toujours pas appliquée. Présidente du comité de la section combière de la Fédération suisse des travailleurs de la métallurgie et de l’horlogerie (FTMH), elle avait suggéré que les femmes débrayent durant une journée. Christiane Brunner, membre du secrétariat central de la FTMH, avait saisi la balle au bond et remué ciel et terre pour rendre cette grève possible. Le 14 juin 1991, Liliane Valceschini et ses collègues de L’Orient avaient levé le pied, suivies par près de 500 000 femmes dans tout le pays.

En ce 1er mai, journée internationale des travailleuses et des travailleurs, cette retraitée installée à Yverdon-les-Bains a accepté de revenir sur son combat de l’époque à l’occasion d’une table ronde consacrée aux thèmes de l’égalité des sexes et des discriminations sur le lieu de travail (lire encadré).

Comment vous est venue l’idée de cette grève?
C’était en 1990. J’étais bien engagée syndicalement parlant et nous avions eu une discussion à propos d’une entreprise qui prétéritait énormément les femmes. En rentrant, il m’est revenu en mémoire que le droit à un salaire égal pour un travail égal était inscrit depuis 1981 dans la Constitution fédérale et que, l’année suivante, cela ferait dix ans. J’ai pensé qu’on devait marquer le coup et, pourquoi pas, faire une grève. Mais en tant que petite militante à la vallée de Joux, je ne voyais pas comment pousser cette idée plus loin. Un jour, j’en ai parlé à Christiane Brunner, à Berne. Je lui ai dit: Imagine un peu que toutes les femmes de Suisse arrêtent de travailler; qu’est-ce qu’il se passerait?

A ce moment-là, étiez-vous syndiquée depuis longtemps?
Oui, je me suis syndiquée à 17 ans. Mon papa, ma maman et moi travaillions dans la même entreprise horlogère. Un jour, ma mère est allée demander une augmentation et le patron lui a répondu que son mari et sa fille étaient dans la même usine, et que son salaire devait lui suffire. Ça m’a tellement révoltée!

Liliane Valceschini espère que les hommes seront nombreux à soutenir la grève des femmes le 14 juin prochain. © Michel Duperrex

Liliane Valceschini espère que les hommes seront nombreux à soutenir la grève des femmes le 14 juin prochain. © Michel Duperrex

Lorsque vous avez parlé de grève, imaginiez-vous que cela aurait un tel écho?
Christiane Brunner a immédiatement mordu à l’hameçon. Moi, j’avais lancé ça comme on jette une bouteille à la mer, sans penser qu’elle susciterait autant de vagues!

Il a fallu un an pour mettre en place cette journée…
Sans Christiane Brunner, elle n’aurait jamais eu lieu. C’est elle qui a tout géré et elle a rencontré beaucoup de difficultés. Tout le monde était réticent à ce qu’on utilise le mot grève. C’était illicite en Suisse et ça choquait. Nous, c’était justement ce qu’on voulait: interpeller.

Le 14 juin 1991, vous étiez aux côtés de vos collègues, à la vallée de Joux. Comment cela s’est-il passé?
A cette époque, on avait déjà un horaire de travail libre. C’est-à-dire qu’on avait une tranche bloquée entre 8h et 11h et une autre entre 14h et 16h. J’ai suggéré que toutes les femmes travaillent seulement durant ces cinq heures-là. Donc ce n’était pas une grève illicite, mais c’était quand même un arrêt de travail significatif.

Est-ce que vous avez toutes débrayé?
Presque. Il y a toujours des gens qui ont peur des retombées. Mais on était très nombreuses. Et, à midi, nous sommes allées à un kilomètre de l’usine où une petite restauration avait été préparée dans une salle. L’originalité, c’est que des hommes avaient cuisiné!

Quels ont été les bénéfices de cette journée de grève?
Une prise de conscience chez nos collègues masculins. Les femmes se sont senties comprises. Le fait qu’elles soient autant à se mobiliser, ça a provoqué beaucoup de discussions, même au sein des foyers. Depuis, j’ai remarqué que les papas s’impliquent beaucoup plus dans l’éducation de leurs enfants.

Mais aujourd’hui, l’égalité salariale n’est toujours pas acquise…
Non, on ne l’a pas encore obtenue, sauf dans certains domaines, comme la fonction publique. Le pouvoir est aux mains des hommes, donc les lois sont faites pour eux.

Cette année, les femmes vont à nouveau débrayer le 14 juin prochain…
Je suis heureuse que les femmes d’aujourd’hui se remobilisent. J’espère qu’au lieu de 500 000, comme en 1991, elles seront un million! Il ne faut jamais baisser les bras!

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Regards croisés

Plusieurs syndicats, dont Unia, organisent une journée de mobilisation, ce mercredi 1er mai à Yverdon-les-Bains. Elle démarrera à 16h, sur la place Pestalozzi, avant un cortège à 18h et une partie officielle durant laquelle s’exprimera Nuria Gorrite, présidente du Conseil d’état. à 20h, une table ronde réunira Liliane Valceschini, Manuela Honegger Heller, féministe engagée, Sabrina Amigoni, artiste visuelle, et Mathilde Marendaz, membre du collectif de la grève des femmes.

Caroline Gebhard