De passage dans le Nord vaudois à l’occasion d’un camp organisé par ses soins, l’ex-international suisse Johan Djourou (photo) en a profité pour nous livrer ses impressions sur le prochain Euro féminin. Et bien plus encore.
Johan Djourou, tout d’abord, parlez-nous un peu de votre actualité en ce moment.
Alors, en ce moment, j’organise le camp Djourou Elite, à Yvonand, pour les jeunes de 9 à 16 ans, en salle, une première. Je participe également de très près à la préparation du prochain Euro féminin 2025 qui arrive tout bientôt. Je rejoins cette semaine l’équipe nationale suisse. Nous aurons deux matches de Ligue des nations au programme, un demain à Zurich contre l’Islande (ndlr: coup d’envoi 19h) et un autre mardi prochain en Norvège (ndlr: à 18h). Autrement, je suis actif en tant que consultant pour la chaîne DAZN, pour laquelle je couvre des affiches de Ligue 1. En parallèle à cela, j’entraîne une équipe féminine au FC Lancy, et enfin je développe les marques Brio Mathé et Pop Brothers and Sisters.
Vous êtes énormément impliqué dans le coaching, que ce soit avec l’équipe nationale féminine mais aussi avec l’équipe du Lancy FC, dont vous êtes en charge. Quel est le processus derrière tout cela?
Actuellement, je suis en train de réaliser mon diplôme A UEFA. J’utilise cela pour continuer mon apprentissage d’entraîneur et ainsi pouvoir travailler avec les filles actives qui ont un niveau relativement modeste, puisqu’elles évoluent actuellement en 4e ligue. Notre objectif est la promotion, mais c’est surtout le fruit d’un travail de trois ans, où j’ai repris une équipe de juniores FF15 pour les amener jusqu’en actives.
Etait-ce une volonté de votre part de vous lancer dans un projet sur du plus long terme à la tête d’une équipe?
Oui c’était quelque chose que je voulais. N’oublions pas qu’en général, les filles ont tendance à se lancer plus tard dans le football que les garçons, souvent vers l’âge de 11 ou 12 ans. J’ai eu beaucoup de joueuses dans ce cas-là, à Lancy, ce qui m’a permis d’implanter une base à l’équipe durant deux ans, pour ensuite permettre à celles qui étaient prêtes à rejoindre le groupe des actives. C’était en quelque sorte une façon pour moi de pouvoir suivre l’évolution de la graine que j’ai plantée en commençant ce projet et pouvoir continuer à challenger mon équipe au fur et à mesure de sa progression.
Le fait de devoir alterner entre le football amateur et le très haut niveau est-il difficile à gérer selon vous?
Ce qui me paraît être avant tout essentiel, c’est l’échange. Le dynamisme, l’énergie du groupe jouent un grand rôle, et en tant qu’éducateur, au même titre qu’en étant dirigeant au sein d’une fédération, on est responsable d’amener ces valeurs-là aux personnes que l’on côtoie. C’est ce qui fait que pour moi il n’y a pas vraiment de distinction entre l’élite et ce qui ne l’est pas. En revanche, ce dont je me suis rendu compte en intégrant le monde du foot amateur, c’est que l’aspect social prend forcément le dessus. Les filles ont toutes leurs études, leur vie, leur famille et on doit prendre en compte tous ces éléments-là, en restant à l’écoute. Bien évidemment que les entraînements et la qualité des joueuses varient, mais c’est une bonne chose de pouvoir être confronté à ces deux réalités en gardant à l’esprit que le but reste de donner les outils à celles et ceux qui ont vraiment envie d’aller plus loin.
Quelle est selon vous la plus grande différence entre le football masculin et le football féminin au plus haut niveau?
Si on y regarde de plus près, on constate que le football féminin est en train d’exploser véritablement en ce moment. Il n’avait pas autant d’exposition auparavant, ce qui rendait les choses plus compliquées pour les filles qui voulaient se lancer. Les infrastructures et le temps consacré aux femmes ont longtemps été un peu délaissés au profit des hommes, qui ont bénéficié des meilleurs entraîneurs, des plus belles pelouses, des meilleurs outils pour évoluer. Cela a logiquement freiné l’avancement des femmes dans le foot.
Vous avez été nommé coordinateur de l’équipe nationale féminine depuis l’été passé. Concrètement, en quoi consiste votre rôle au sein du staff?
Je suis avant tout un homme de terrain. Cela signifie que je suis très régulièrement présent avec l’équipe lors des rassemblements. Je donne des indications aux joueuses et suis présent si elles ont des requêtes, je les encourage. Nous débriefons également beaucoup avec la sélectionneuse Pia Sundhage par rapport aux sessions, pour voir quels détails peuvent bénéficier aux filles. On va dire que mon rôle est multicasquette.
Selon vous, quels sont les plus grands enjeux de l’organisation d’un Euro féminin en Suisse?
Ce qui est le plus important avec un événement de cette envergure, c’est l’héritage qui va en découler. Après, il ne faut plus que les filles aient peur de commencer le foot et qu’elles puissent oser se lancer dans un sport qui était parfois mal connoté auprès des parents. L’Euro doit nous permettre d’ôter ces codes et d’amener non seulement une ouverture mais aussi des nouvelles exigences. Que les footballeuses prennent conscience qu’elles ont les capacités et qu’en s’accrochant, le fait de devenir internationale n’est pas une utopie. Cela étant, ça doit aussi permettre de sensibiliser la population, car j’ai l’impression qu’encore très peu de gens sont au courant que l’Euro se tiendra en Suisse prochainement. C’est vraiment un travail global.
Pour avoir vécu la préparation à un grand tournoi comme l’Euro en tant que joueur, comment vit-on les mois précédant le coup d’envoi de la compétition?
C’est unique, surtout d’évoluer devant son public. Je pense que les joueuses vont véritablement commencer à en prendre conscience maintenant, avec ce rassemblement et l’échéance qui continue d’approcher à grands pas. Jusqu’à quatre ou cinq mois avant on ne s’en rend pas forcément compte. On joue, on s’entraîne avec des matches chaque week-end et parfois en semaine, donc on n’arrive pas forcément à se projeter très loin. C’est là qu’on intervient en tant que staff, cela va être à nous d’instaurer cette culture pour ce tournoi qui arrive, pour vraiment les faire réaliser que c’est une chance unique. Bien sûr il y a une certaine pression, la famille, les amis, on est attendus et on ne veut pas non plus être la risée de l’Europe en sortant dès le 1er tour d’un tournoi qu’on organise chez nous. Nous allons donc continuer à travailler et analyser tous les éléments à notre disposition pour être prêts le jour J.
La réussite de cet Euro passera-t-elle obligatoirement par une belle aventure sportive?
La réalité reste qu’on dira toujours que le résultat est la chose la plus importante. Bien sûr, si les stades sont remplis cela laissera un joli souvenir pour la suite, mais on est bien d’accord qu’on veut faire partie de cette histoire le plus longtemps possible.
Parlons un peu de l’équipe masculine également, qui a connu un après-Euro compliqué. Quel est votre regard sur la situation actuelle en vue des éliminatoires pour la prochaine Coupe du monde?
Nous avons toujours eu de très belles volées ces dernières deux décennies. Ce qui a fait que le supporter suisse est devenu certainement un peu exigeant. Il y a une époque pas si lointaine où si la Suisse ne se qualifiait pas pour une Coupe du monde, par exemple, cela ne choquait pas plus que cela. On a réussi avec des joueurs de grand talent et des excellents entraîneurs à faire de belles choses, mais il y a toujours des périodes comme cela dans une équipe, où l’effectif doit être rajeuni, où il faut changer certaines choses. Il faut aussi prendre la mesure du vide qui est laissé par certains joueurs partis à la retraite, comme Xherdan Shaqiri ou Yann Sommer et se demander si ceux qui sont arrivés avec un statut de grand espoir sont prêts à prendre leurs responsabilités. La Nati est un peu dans cette période grise. Je pense que l’Euro a été une belle surprise, avec un bel engouement et derrière, cela a été plus compliqué, mais il ne faut pas remettre en cause la prolongation de Murat Yakin, car au vu de ses résultats il n’y a pas de discussion à avoir. N’oublions pas que les autres nations s’améliorent aussi, donc il va falloir voir ce que l’avenir nous réserve.
On sait que vous suivez de près la Super League. Selon vous y a-t-il un favori qui se dégage pour le titre de champion? YS va-t-il se maintenir?
Lugano est très constant depuis quelques années avec de nombreux projets qui se développent. Servette, Bâle auront aussi un rôle à jouer, sachant qu’YB ne va pas bien. Selon moi, cela va se jouer sur la constance sur cette fin de saison. Concernant Yverdon, je pense que l’arrivée de Paolo Tramezzani, qui est un vrai meneur d’hommes, va permettre d’insuffler une belle énergie au sein du vestiaire. La signature d’un joueur majeur comme Antonio Marchesano va être bénéfique, mais on ne peut pas reposer nos attentes sur un seul homme. Les points pris à la maison, comme le week-end dernier contre Saint-Gall, seront déterminants pour permettre à YS de se maintenir en Super League.