L’institution a engagé un collaborateur sous enquête pour s’occuper des mineurs non accompagnés. Ce n’est pas du goût de l’Etat.
I. RO
Il est rare que le Tribunal cantonal s’exprime de manière aussi sévère, s’agissant par ailleurs d’une institution de droit public telle que l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (Evam). Le courroux des juges de la Cour de droit administratif et public (CDAP) a pour cause l’engagement d’un collaborateur qui fait l’objet d’une procédure judiciaire, mais plus encore l’acharnement de l’Evam à le défendre.
« Au vu de la gravité des faits faisant l’objet de l’enquête pénale en cours et des soupçons qui pèsent à ce jour sur le tiers intéressé, qui bénéficie certes de la présomption d’innocence, le processus de recrutement au sein de l’Evam, ainsi que les mesures prises pour éclaircir les faits et écarter des risques éventuels pour les mineurs non accompagnés, tout comme l’argumentaire développé dans le cadre du recours sont inquiétants et interrogent sur les qualités personnelles, les aptitudes éducatives et la formation du directeur de l’établissement et de ses collaborateurs à assumer leur tâche… »
Rarement dans les annales judiciaires a-t-on vu pareille semonce à l’égard de la direction d’un établissement qui, par ailleurs, fait correctement un énorme travail. Mais il est vrai que le cas particulier interpelle.
En effet, l’Evam a engagé au printemps de l’année dernière un ancien agent de détention en tant que surveillant des mineurs non accompagnés qui lui sont confiés par l’Etat. Le casier judiciaire fourni lors de la candidature, destiné aux particuliers, ne relevait aucune inscription et le second ne mentionnait aucune restriction d’exercer une activité en contact avec des mineurs. En septembre dernier, l’intéressé a même été promu à la fonction de référent surveillant MNA.
Les spécificités du poste font qu’il devait planifier les surveillants du domaine MNA – les mineurs non accompagnés sont âgés de 14 à 18 ans, hébergés en foyer ou appartements éducatifs –, former ses collègues et intervenir comme «personne ressource métier pour le domaine MNA » .
Une situation délicate
Or le collaborateur en question, alors qu’il était en service dans une prison vaudoise, aurait eu des relations sexuelles avec une détenue. Classée dans un premier temps, la procédure a été reprise à la demande de la Chambre de recours pénale. Il n’en reste pas moins qu’à ce stade, il bénéficie toujours de la présomption d’innocence.
Cela dit, l’engager dans une fonction qui, d’une manière ou d’une autre, le met en contact avec des mineurs, particulièrement vulnérables, ne paraît pas adéquat. Raison pour laquelle l’autorité de surveillance, la Direction générale de l’enfance et de la jeunesse (DGEJ), sur la base de ses propres sources, a demandé à l’Evam de se séparer de ce collaborateur, qui est prévenu d’actes d’ordre sexuel avec une personne hospitalisée, détenue ou prévenue, dans tous les cas dépendante.
Et c’est là que s’engage le bras de fer entre l’Evam et la DGEJ. L’employeur considère en effet que, faute de condamnation, on ne peut rien reprocher au collaborateur incriminé. Seule une mesure de précaution, portant sur l’obligation de ne pas se trouver seul en présence de mineurs sur les sites d’hébergement, a été mise en place. La DGEJ a requis de l’Evam qu’il prenne «dans les meilleurs délais les mesures pour mettre un terme à cet engagement » . Plutôt que de s’exécuter, l’Evam a recouru contre cette décision au Tribunal cantonal.
Des considérants sévères
Manifestement agacés par l’acharnement mis par l’Evam à défendre le collaborateur, les juges cantonaux ont dispensé une véritable volée de bois vert à l’établissement d’accueil des migrants. Ils relèvent notamment que le collaborateur a omis d’évoquer clairement la procédure dont il avait fait l’objet dans son précédent emploi, et qu’il a délivré un extrait de casier daté du lendemain de la procédure de classement (reprise depuis lors).
L’argumentation du recourant est battue en brèche par la CDAP, qui dénonce sa légèreté dans le cadre de l’engagement. Et les juges cantonaux de bétonner leur position avec le poids des mots : « Mais il y a pire. Le recourant ne semble pas prendre la mesure de la gravité des soupçons qui, s’ils étaient avérés, sont effectivement de nature à justifier la fin du contrat de travail avec son collaborateur. »
Et d’ajouter, faisant allusion à la procédure pénale : « L’état de vulnérabilité d’une détenue versus son gardien de prison ou les raisons qui pourraient pousser celle-ci à consentir, voire à provoquer une telle relation, pour autant que ces rapports soient confirmés au pénal, et même en l’absence de condamnation, ne semblent pas l’interpeller davantage. »
En résumé, rapports consentis ou pas, une ligne rouge a été franchie. Et placer l’ancien surveillant de prison au contact de mineurs, c’est jouer avec le feu !