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La marche athlétique a rendu son dernier souffle

23 janvier 2022

Le CMY a prononcé sa dissolution. Autrefois club-phare, il n’a pas survécu à l’évolution des activités sportives.

«On aurait voulu organiser la Coupe de Noël une dernière fois, mais cela n’a pas été possible en raison des restrictions sanitaires. Nous avions l’habitude de louer une cabane Entre Thièle et Mujon, où nous logions aussi les athlètes venant de l’étranger. C’est dommage de finir comme cela…» On perçoit dans la voix de Daniel Brot une légitime déception, pour ne pas dire tristesse. Car il est l’un des tout derniers adeptes de marche athlétique du pays, et il a consacré une bonne partie de sa vie à la promotion de ce sport. Non seulement en le pratiquant, mais aussi en tant que dirigeant et organisateur.

Ainsi, après 55 ans d’existence, l’assemblée générale du Club de marche d’Yverdon (CMY) a prononcé sa dissolution. Il n’y avait en effet plus les forces nécessaires pour assurer la relève et le recrutement devenait de plus en plus difficile. Avec trois licenciés, et des frais fixes incontournables, il a fallu se rendre à l’évidence.

La disparition du CMY illustre l’évolution de la marche athlétique, dont il ne reste que quelques adeptes en Suisse. Et pourtant, ce sport olympique, parfois dénigré, a connu des heures de gloire. Il y a un peu moins d’un siècle, Paris-Strasbourg, 500 km parcourus en une septantaine d’heures, mobilisait les foules au passage des concurrents.

En Suisse, la classique Lausanne-Zurich (200 km) a réuni des centaines de participants. Le Tour du Léman faisait aussi partie des grandes classiques.

Un premier club a vu le jour à Yverdon-les-Bains au lendemain de la Deuxième guerre mondiale. Il était intégré à la Fédération suisse de marche (FSM), qui n’était pas reconnue par la Fédération suisse d’athlétisme (FSA). C’est d’ailleurs le président de la FSM, André Chuard, qui a créé et porté à bout de bras des années durant le Tour de Romandie à la marche, une épreuve qui a attiré nombre de champions du monde et olympiques, russes et chinois notamment.

Alors que la mobilité douce est dans toutes les conversations, elle n’a jamais été autant pratiquée que dans les années cinquante à septante. D’abord par nécessité, car peu de ménages disposaient d’une voiture. Alors on marchait ou on prenait le vélo pour les trajets plus longs.

C’est dans ce contexte que la marche rapide, dite athlétique, s’est développée et a connu ses heures de gloire. Les longues distances ville à ville faisaient rêver.

C’est dans ces circonstances que le CMY, à l’origine Club des marcheurs PTT d’Yverdon-les-Bains, est né en 1966, sous l’impulsion de Roland Martinet, qui pratiquait la marche athlétique, avec le concours de Jean De Blaireville, Marcel Fawer, Hugo Goumoens et Gérald Grob. Les facteurs étaient tout naturellement prédestinés à cette pratique…

Et c’est en lançant le Brevet suisse de marche athlétique, une épreuve populaire organisée autour de l’hippodrome, que le club a recruté des membres, en particulier des écoliers et juniors, hors du cercle de la Poste.

Le club local s’est rapidement développé pour devenir l’un des meilleurs du pays et une référence en matière de formation. La bonne entente avec l’Union sportive yverdonnoise (USY) et son emblématique président Louis Rouiller a permis au club d’organiser des épreuves sur piste, mais aussi une «américaine», épreuve de relais par équipes, autour de la place d’Armes.
On ne compte pas les centaines d’épreuves mises sur pied par les bénévoles du CMY, y compris des Championnats de Suisse sur toutes les distances, et des étapes du Tour de Romandie.

En matière de performances, le club a franchi une étape importante avec l’arrivée, au début des années huitante, de Dumitru Paraschiv, alors entraîneur national roumain, exfiltré par des membres du CMY.

Grâce à ses méthodes d’entraînement, l’ancien recordman du monde des 15 km a permis à Thierry Giroud de se qualifier pour les Championnats d’Europe juniors d’athlétisme qui se sont déroulés en 1985 à Cottbus, en ex-Allemagne de l’Est. Le jeune Yverdonnois a ensuite largement dominé la discipline en Suisse en s’imposant sur toutes les distances avec, à la clé, de nombreux records.

Puis sont venus les Sainte-Crix Aldo Bertoldi et René Haarpaintner, qui ont écrit des pages glorieuses de la marche yverdonnoise. Le premier nommé a notamment participé aux Championnats d’Europe d’athlétisme à Split en 1990 (20 km), puis aux JO de Barcelone sur 50 km, où il s’est qualifié avec le Fribourgeois Pascal Charrière.

Trente ans durant, il n’y a pas eu une seule fois où l’équipe nationale a évolué sans Yverdonnois. Ainsi, en 1987 déjà, Aldo Bertoldi et René Haarpaintner, sur 20 km, et Daniel Brot (50 km) ont représenté la Suisse à la Coupe du monde à New York. Cette même année, René Haarpaintner, qui vit aujourd’hui en Californie, a établi un nouveau record national des 10 000 m piste en 43’53.

Sur le plan local, le club a organisé durant vingt ans le Grand Prix international, qui réunissait des athlètes de nombreuses nations. Ainsi, en 1982, les Russes Perlov, Potashov et Popovitch montent sur le podium. Les deux premiers nommés remporteront, main dans la main, les Championnats du monde de Tokyo en 1991.

Il y aurait tant de choses à dire sur ces 55 ans d’histoire, qu’un livre ne suffirait pas. Mais c’est l’ultime occasion de rendre hommage aux dizaines de bénévoles qui ont rendu l’aventure possible, et que la famille Pochon représente idéalement, avec des enfants compétiteurs et des parents – Georges a présidé le club – engagés, telle Arlette, fidèle parmi les fidèles jusqu’au bout de l’aventure.

Isidore Raposo